L'autre moitié de soi ou comment ma jumelle m'a lâchée

Brit Benett est … heu… ce qu’on ne sait plus comment appeler pour ne pas froisser, noire, Noire, renoi, black, Black, de couleur, métisse, racisée, d’origine afro-américaine, en gros ce que les Américains — elle est américaine — considèrent comme non blanche. C’est  vers le milieu de son superbe roman, L’autre moitié de soi, que j’ai eu la curiosité d’aller voir de quelle côté du nuancier elle se situait car la couleur est ici le personnage principal du livre, porté par les jumelles.
Les jumelles, Desiree et Stella, homozygote à ce détail que la première, aînée de sept minutes est beaucoup plus délurée que l’autre. Elles ont passé leur enfance dans une petite ville du Sud des Etats-Unis où les Noirs avaient l’ambition d’être le plus clair possible. Elles ont assisté, petites, au lynchage à mort de leur père par des Blancs qui venaient de temps en temps casser du nègre. Un jour de leur 15 ans, pour fuir cette ambiance malsaine, Desiree entraîne sa sœur dans une fugue définitive qui va les emmener à la Nouvelles Orleans. Là, elles vont se débrouiller pour survivre. Elles ont la peau très claire et de beaux cheveux bouclés, ça aide. Mais l’une d’elle se fait virer parce que sur sa fiche, elle a inscrit « coloured ». A partir de là va commencer la scission entre elles deux. Elles ne se racontent plus tout, se mentent même. Desiree entre au FBI où elle déchiffre avec talent les empreintes digitales et Stella devient la secrétaire très discrète et compétente du boss d’une grosse boîte, un type bien. Peu à peu, il va s’enticher d’elle et réciproquement, et l’embarquer dans sa nouvelle boîte à Boston. Pour sa famille, elle disparaît sans laisser de trace. Malgré les recherches d’un des meilleurs détectives.
Desiree en est fortement affectée. Elle épouse un homme si noir qu’il en est bleu et ils ont une fille de la couleur du père. Mais il est d’une violence extrême, alors elle fuit avec sa fille. Malgré tout, elle s’efforcera de suivre des études pour une meilleure vie.
On verra par la suite, que sa sœur a suivi une route contraire et mène l’existence enviable d’une femme Blanche richement entretenue par un mari formidable, avec tout ce que ça comporte de mensonge, de cachoteries et de reniement de soi-même.
C’est passionnant car, malgré la déségrégation, le racisme est toujours aussi virulent dans ce pays, et l’inégalité pèse énormément sur le destin des gens. Sans vouloir spolier, on verra ces deux jumelles, dans leur vie respective, faire face aux problèmes liés à la couleur, choisie ou subie, qui marque leur identité qu’elles vont d’ailleurs transmettre. C’est une vision de la vie américaine pas toujours évoquée dans la littérature (et le cinéma), puisque la plupart des autrices qu’on connaît ici sont blanches. Autrices, oui, car il se mêle au problème de la race le vaste problème du genre, Brit Benett se positionnant comme féministe assumée.
Le livre s’étend sur la génération d’après les jumelles sans oublier les anciens, pour nous offrir une saga qui nous tient en haleine du début à la fin. Superbe.

L’autre moitié de soi de Brit Benett (The vanishing half) 2020 aux éditions Autrement. Traduction par Karine Lalechère. 480 pages, 22,90 €

Texte © dominique cozette

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