Pauline Dubuisson au microscope

Qui n’a pas vu la Vérité de Clouzot avec la magnifique BB se débattant contre les juges et la société ? Mais Pauline Dubuisson n’avait pas grand chose à voir avec Dominique, l’héroïne du film, superficielle, fêtarde, cynique. Philippe Jaenada, pour écrire La Petite femelle, a écumé tout ce qu’il pouvait trouver sur le sujet.  C’est un pavé. Un réjouissant pavé.Il a tout revu, relu, interrogé des survivants, retrouvé la vie de gens qui l’avait côtoyée. Il a pratiquement autopsié la sphère dans laquelle s’est débattue cette jeune femme. Beaucoup de livres ont relaté sa vie mais à travers le prisme de la « justice » injustement représentée par trois hommes hargneux, réacs et misogynes (dont Me Floriot qui se venge sur elle d’avoir été trop coulant avec une meurtrière précédente) et les journalistes qui suivent aveuglément ces phallocrates qui négligent d’évoquer la moindre piste pouvant alimenter quelque circonstance atténuante.
Pauline Dubuisson n’a pas de soeur (exit Marie-José Nat) et ne passe pas ses soirées à bringuer avec les mecs de St Germain des Prés. Elle a été élevée à la dure par un père qui trouvait ses trois fils mollassons. Il lui a appris surtout de ne jamais montrer ses sentiments ce qui aura une énorme incidence lors du procès où on la traite d’insensible. Elle est très intelligente et travaille si bien qu’elle s’ennuie à l’école. Son adolescence se passe pendant la guerre de 40 et son père, qui ne parle pas allemand, l’envoie chez l’occupant. Comme elle est précoce et belle, elle tombe sous le charme de l’un d’eux. Donc elle couche très jeune et, scandale, avec l’ennemi. Elle sera tondue à la libération et tellement humiliée qu’elle s’installera loin de chez elle, à Lyon. (Elle est de Malo dans le Nord).
Elle s’inscrit en médecine à Lille et c’est là qu’elle rencontre Félix, un très beau et très gentil puceau. Forcément, il en pince plus que de raison pour cette créature qui a très mauvaise réputation mais avec qui il s’envoie en l’air avec passion. Il veut même l’épouser.
Quant à sa mort, c’est comme dans le film : elle voulait se suicider devant lui car il ne voulait plus d’elle (il s’était fiancé à une jolie oie blanche et le mariage devait suivre) mais il a voulu l’en empêcher et a pris la balle. Et deux autres. C’est sa version à elle. Jeanada rejoue la scène avec sa femme dans le tout petit espace de la chambrette et conclue qu’il est impossible qu’elle ait voulu le tuer.
Même si on connaît l’histoire, Jaenada recrée le suspense avec ceux qui s’acharnent sur Pauline, qui ne lâchent rien, qui veulent sa tête (la peine de mort existe encore). L’écrivain a réussi à nous dire TOUT ce qu’il y a à savoir sur elle et c’est impressionnant le nombre de témoignages qu’une enquête peut déterrer. Des petites choses sans importances, des gens à peine croisés, des objets achetés, donnés, jetés, tout est retrouvé et décrypté.
Mais le plus beau, dans cet énorme récit, c’est le flot de digressions qu’aime faire l’auteur, soit pour placer un trait d’esprit, soit pour citer un exemple personnel se rapportant à l’histoire, soit pour creuser le portrait d’un personnage qui lui tient à cœur, notamment les prisonnières amies avec Pauline dont il va narrer longuement les exploits les ayant envoyées en prison. C’est plaisant. Parfois, il arrive à entremêler plusieurs parenthèses, jusqu’à trois, comme des poupées russes se renfermant les unes dans les autres. Il nous montre aussi comment le film de Clouzot (très à charge) a détruit la vie d’après de Pauline d’une manière irréparable. Dans ses fameuses digressions, on apprend que Hugues Auffray devait jouer le rôle de Sami Frey mais qu’il a lâché après trois jour de tournage, écœuré par la violence de Clouzot.
C’est un livre absolument remarquable, une belle histoire des mœurs de cette époque où les femmes libres — celles qui refusaient de se marier pour s’occuper d’un bonhomme — étaient livrées à la vindicte populaire.

La Petite femelle de Philippe Jaenada, 2015. Aux éditions Points, 738 pages, (avec photos à la fin), 9,10 €.
NB : L’édition de poche possède un post-scriptum dévoilant quelques précisions importantes reçues à l’issue de la première édition.

Texte © dominique cozette

 

 

Oubliez-moi !

Vu Tabatah Kash (je ne sais pas comment ça s’écrit) chez Biraben. Je l’ai trouvée touchante. Pornostar dans les 80’s,  elle est partie aux USA lorsqu’elle a eu assez d’argent. Pour « refaire sa vie ». Son seul désir, vivre normalement avec son mec, faire des gosses et voilà. Elle s’est renommée Céline, elle a eu deux enfants. Et puis, raconte-t-elle, des gens mal intentionnés ont fouillé la poubelle et ont fait remonter son passé sulfureux. Elle, c’est pas que ça l’aurait dérangée, c’est pour ses enfants. Il a fallu qu’elle leur explique pour pas qu’ils soient mis brutalement au courant. Et puis son mari est mort. Il dirigeait une affaire porno, hot quelque chose. Alors elle est rentrée en France avec ses gosses et a repris l’affaire.
La journaliste explique que maintenant, avec les réseaux sociaux, il ne peut y avoir de droit à l’oubli. Tout ce que tu fais est inscrit et peut ressortir quand tu as 79 ans (note qu’à 79 ans, on s’en tape un peu). Alors qu’avant, on pouvait arrêter tout, se faire oublier et disparaître.
Elle oublie que ce jour, c’était les 80 ans de BB qui elle, a voulu disparaître du paysage il y a 40 ans. En finir avec le cirque médiatique, les paparazzi, s’occuper de ses chers animaux. Impossible.
Moi je dis que pour faire oublier ce qu’on a fait comme conneries jadis, il suffit de sévir en politique. Tu peux faire les pires choses, sortir avec tes casseroles, avoir été condamné, hors-la-loi, mêlé à des affaires bien louches,  tu fais juste comme si rien n’était. En fait, le droit à l’oubli en politique, c’est quand le principal intéressé oublie. Ou fait mine d’oublier. Le reste, c’est de la gnognotte.

Texte et image © dominique cozette

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