Fille en colère sur un banc de pierre

Une merveille, ce livre ! Fille en colère sur un banc de pierre est une dégustation de toutes les pages. Ce qui est drôle, c’est qu’elle, l’autrice, Véronique Ovaldé, intervient dans le récit sans y être invitée car elle n’est ni une héroïne, ni la narratrice. Donc un style très original, vivant, libre et superbement poétique. Et puis ce n’est peut-être pas essentiel, mais la qualité du papier d’un blanc cassé très chic, sa texture, sa finesse juste comme il faut pour éviter les transparences, plus la typo d’une beauté classique, rendent la lecture encore plus agréable.
Ça commence par la fugue de deux fillettes, la plus jeune de six ans s’étant collée à sa sœurette de huit ans, la nuit, pour le dernier jour de la foire annuelle du petit village où leur père n’a jamais voulu les emmener. Toute l’île y va, c’est la fiesta incontournable, mais pas elles, les quatre filles, dont les deux autres, les aînées, ne sont pas de la partie. Description des fillettes qui ont toutes deux ans d’écart et portent un nom d’opéra, Aïda, Violetta, Gilda et … Mimi pour la petite dernière.
Le père est un rude bonhomme qui aurait dû faire le tour du monde et l’a commencé dans cette minuscule île au large de Palerme où il a trouvé du boulot au château de la comtesse. Puis celle qui allait devenir sa femme et la mère des filles, ce qui fait qu’il n’a plus bougé de là. Il est colérique, taciturne et fou d’opéra. Ne surtout jamais le contrarier ou lui désobéir.
Alors la vie de cette famille aurait pu suivre son cours tranquillement s’il ne s’était produit un drame : Mimi, la petite chérie de son papa, a disparu. Ce fameux soir où elle a lâché la main de sa sœur qui lui avait demandé de se retrouver à tel endroit si elles se séparaient. Hélas. Malgré les recherches, l’île est petite, on n’a rien retrouvé de la petite Mimi, pas une seule trace. Et sa maman est persuadée qu’elle reviendra un jour, c’est pourquoi elle n’est pas triste.
En attendant, dès le premier chapitre, on sait que la sœur fugueuse a été bannie de la famille qu’elle n’a pas revue depuis quinze ans et qu’elle vit à Palerme. Et que le père, le « vieux » comme on l’appelle, vient de mourir, et qu’à l’occasion de ses funérailles, il serait bon qu’elle revienne ne serait-ce que pour toucher sa part du petit héritage.
Le dénouement de l’histoire est une sacrée surprise, une fin tellement inattendue.
Une brève citation pour le plaisir : « Gilda est du genre à faire la modeste ( vous apprendrez à la connaître), du genre à dire qu’elle prendra la part de tarte qui restera quand tout le monde se sera servi, parce qu’elle sait que personne n’osera prendre la plus grosse et que, dans le plat, il n’y aura plus que celle -ci (surdimensionnée, dégoulinante de sirop et de fruits). »

Fille en colère sur un banc de pierre de Véronique Ovaldé, 2023 aux Editions Flammarion, 306 pages, 21 €

Texte © dominique cozette

Pour quelques dollars de moins

Abondance, le premier roman d’un hyper doué de la littérature américaine, finaliste au National Book Award, Jakob Guanzon, est, comme son nom ne l’indique pas, une histoire de manque terrible. Manque de moyens, principalement, lorsque que tu n’as pas assez de dollars pour fêter dignement les huit ans de ton fils dans un McDo, lui faire un beau cadeau puis aller passer une nuit, comble du luxe, dans un motel pouilleux où tu penses au plaisir d’un long bain brûlant, d’une soirée devant la télé et d’un vrai lit sans autre problème que la satisfaction de ton petit bonhomme. Car Junior et Henri, notre héros, pieutent dans une voiture, un pick up, c’est l’hiver, il fait un froid de gueux, le môme a de la fièvre, le réservoir de la caisse est presque vide mais demain est un autre jour puisque Henri a décroché un entretien d’embauche pour enfin gagner un peu d’argent.
Hélas, le rêve américain est devenu un cauchemar pour des millions de personnes. Pourtant, Henri n’est pas si mal né, à part « son connard de père » immigré qui a dû renoncer à ses ambition pour l’élever car sa mère est morte trop vite.
Puis les conneries de l’ado, les mauvaises rencontres, la dope et Michelle dont il tombe raide dingue dans le centre de réhab où ils se font soigner. Très mauvais choix. Une nana mal éduquée, brutale, toujours addictive, qui claque tout le fric qu’il gagne en substances et alcool… Ils vivent dans un mobil home pourri au sein d’une communauté précaire, le bébé se pointe et les difficultés aussi.
Je ne vais pas vous raconter les innombrables galères d’Henri, rien ne va jamais, tout s’écroule toujours et malgré sa moralité saine et sa profonde sensibilité, il ne pourra s’empêcher de rejoindre le mauvais côté de la vie et d’y ajouter de la violence.
Vous penserez que ce roman n’est pas à l’eau de rose, certes, il serait même plombant s’il n’était pas écrit avec autant de richesse, de crudité poétique, de métaphores. Les portraits qu’il fait des gens, passants ordinaires, sont un régal d’incitations à les peindre ou à les compléter par la vie qu’ils mènent et cette façon naturaliste qu’il a pour aborder la pauvreté borderline nous montre comme c’est stressant de se sentir toujours au bord du vide. Mais son écriture est tellement réjouissante qu’elle habille magnifiquement la misère qui, comme le chantait Charles, est plus belle au soleil. Pas de soleil, ici, mais beaucoup d’amour malgré tout.
Une chose importante : chaque tête de chapitre a pour titre la somme qu’il a en poche, des miettes de fric, la plus basse étant de 0,38 dollars.

Abondance de Jakob Guanzon (Abundance traduit par Charles Bonnot, 2021), 2023 aux éditions La Croisée. 326 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Les Fessebouqueries #618

Pour une fois — et gavez-vous en car ce n’est pas coutume — mon actu évoque le ballon rond, j’ai pas dit qu’il était bourré, le ballon, mais quand on lit ce qu’on lit sur le Graët et quand on voit ce qu’on voit sur la Fifa, on ne se demande plus pourquoi on ne boira plus à la Fontaine de Just. On apprend aussi que Dussopt est un athlète absolu, on savait qu’il était déjà champion du baratin, et que Véran, si nous défilons mardi, nous prédit les dix plaies d’Egypte dont la pire, je vous le rappelle, est pustules et furoncles. Arghhhhh. Mais comme le gourverne ment, pardon, le gouvernement ment, passons outre et trinquons à notre printemps qui n’a pas encore percé la poche des eaux. Allez, on pousse !!! Et chin chin !

  • GD : Olivier Dussopt, vrai homme, se lève à 5 h 15, enchaîne 50 pompes et autant d’abdominaux avant 6 h 30, suit un régime protéine à base de steaks tartares. Vrai homme est un dur à cuire.
  • PA : Accusé de harcèlement sexuel, Noël Le Graët quitte la FFF mais retrouve un poste à la FIFA… C’était ça ou entrer au gouvernement.
  • WS : – Quelles sont vos expériences ? – J’ai été contraint de quitter mon ancien emploi à cause d’accusations de harcèlement sexuel et d’incompétence. – Bienvenue à la FIFA.
  • FG : Bonne nouvelle pour les secrétaires de la FFF, Noël Le Graët a démissionné. Mauvaise nouvelle pour les secrétaires du Bureau Parisien de la FIFA, Noël Le Graët est récasé…
  • JK : « Hé hé hé… Qui c’est qui va peloter des p’tits culs au bureau parisien de la FIFA ? C’est bibi ! » (Le Graet).
  • EB : Noël Le Graët détrône Jean-Jacques Goldman et devient la personnalité préférée des Français.
  • TE : Maître Balkany, avocat pénaliste : Pierre Palmade n’a rien à faire en prison.
  • JG : L’imagination des chaînes dites « d’info » est sans limite : inviter Balkany pour parler de Palmade. Bientôt, sur vos écrans, Henri Désiré Landru viendra évoquer la mémoire de Jack l’éventreur. Et Marc Dutroux rendra hommage à Michel Fourniret.
  • CEMT : Patrick Balkany a raison, si tout ce qui est reproché à Pierre Palmade est vrai, sa place n’est pas en prison mais au gouvernement.
  • NP : C’est marrant parce que si tu remplaces « Mettre la France à l’arrêt » par « maintenir la réforme des retraites alors que les français sont massivement contre » ça marche aussi. Mais je dis ça, je dis rien.
  • DC : — Il s’appelait Just Fontaine. — Ah bon, il n’avait pas de prénom ? — Je viens de vous le dire, Just Fontaine. Votre prénom c’est François, c’est juste ? Eh bien lui c’est pareil, c’est Just.
  • CBCC : Just Fontaine. Vue la pénurie d’eau, il s’est éteint.
  • OM : Donc si je comprends bien c’est au tour des sénateurs, qui ont un régime spécial de retraite de mettre un terme aux autres régimes spéciaux de retraite.
  • GD : Encore un effort et on va apprendre que le minimum retraite à 1200 euros ne concerne finalement que 3 personnes, dont la tata d’Olivier « Steak tartare » Dussopt.
    • CEMT : Encore deux semaines et Olivier Dussopt admet que la réforme des retraites ne profitera qu’à deux personnes, Elisabeth Borne et la mère de Gérald Darmanin.
  • RDB : « Mettre le pays à l’arrêt, c’est prendre le risque d’une catastrophe écologique, agricole, sanitaire voir humaine dans quelques mois » (Véran). Si VoUs fAiTeS dEs MaNiFs La CoLèRe DiViNe s’AbAtTrA sUr NoUs Et iL nE pLeUvRa pLuS jAmAiS.
  • OM : Eh oui, les gens ne le savent pas mais l’extinction des dinosaures est due à une grève de la RATP…
  • APR : « Le prix du gaz n’a pas fait grimper le prix de l’électricité. Ce sont les consommateurs qui ont demandé à payer plus cher pour être sûrs de ne pas être coupés. » (Agnès Panier-Runacher, ministre de Macron).
  • CEMT : Olivier Véran : « Et si vous allez manifester le 7 mars, des nuages de sauterelles s’abattront sur la France, la peste fera son retour et des fleuves de sang couleront dans les rues. »
  • EMM : Guerre en Ukraine : le geste généreux de Brigitte Macron qui débloque une aide d’un million d’euros… De son propre patrimoine ? Non, bêta ! De l’argent de tous les Français, voyons !
  • MH : Mon livre sur les préservatifs paraîtra chez Jean-Claude Latex.
  • OR : « Les filles, c’est vraiment comme les footballeurs italiens, tu les touches à peine, elle se roulent par terre et elles simulent ! » (Achraf Hakimi)
  • HD : Suite à l’affaire Palmade le gouvernement décide de déposer un projet de loi permettant, au titre l’EAFB expérience acquise sur FB, d’être dispensé de passer le concours de l’Ecole Nationale de la magistrature.
  • SF : Les Chinois nous espionnent avec Tik Tok. Jamais les Américains feraient ça avec Youtube, Google, Gmail, Facebook, Instagram, etc…
  • OM : Les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour BFMTV : aucun contenu pédopornographique n’a été retrouvé dans les appareils de Pierre Palmade.
  • NP : Il y a deux sortes de cons plotistes : ceux qui croivent qu’il y a un complot et ceux qui sachent qu’il y a un complot.
  • MBC : Olivier Véran : « Si les grévistes mettent la France à l’arrêt, ce serait une catastrophe environnementale pour ma place au gouvernement. »
  • LC : J’ai failli m’étouffer en avalant de travers et mes fils m’ont demandé de faire moins de bruit. On est d’accord que c’est le signal pour commencer à mettre de l’argent de côté pour ma future chambre en Ehpad, non ?
  • TV : On vient d’entendre des gens pleurer dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs.

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RAPPEL : Je collecte au long de la semaine les posts FB et les twitts d’actu qui m’ont fait rire. Les initiales sont celles des auteurs, ou les premières lettres de leur pseudo. Illustration ou montage d’après photo web © dominique cozette. On peut liker, on peut partager, on peut s’abonner, on peut commenter, on peut faire un tour sur mon site, mon blog, mon Insta. Merci d’avance.

Manifesto ou tard

Ce n’est certes pas le meilleur jeu de mot de la semaine, c’est juste pour appuyer le fait que cette grande écrivaine et poétesse britannique, Bernardine Evaristo, a obtenu le Booker Prize 2019 à l’âge de soixante ans. Evidemment, ça donne des ailes, d’être reconnue et c’est à la suite des nombreuses interviews dans le monde entier, où on l’incitait à raconter son parcours, qu’elle a eu l’idée de le coucher dans un livre, Manisfesto.
Ce livre est construit par chapitres thématiques, c’est pratique d’une certaine façon. Ça commence forcément par sa famille et ses origines dont on n’est pas surpris d’apprendre qu’elle est métissée. D’un côté, une mère britannique et de l’autre un père nigérian. Ils font huit enfants et assez tôt, elle en a marre des frangins qui occupent la place. Elle sera heureuse de dégager à dix-huit ans dans un lieu à elle. Un bien grand mot car elle n’a eu de cesse d’emménager dans des squatts et des colocs sans aucun confort mais lui offrant une totale indépendance, sa chère liberté.
Très tôt, elle écrit des poèmes puis rencontre le théâtre et fonde à 23 ans le Théâtre des Femmes Noires. Ses écrits, beaucoup de poèmes, des livres, ne seront publiés qu’à l’âge de 35 ans, et en attendant elle bouillonne, vibre, bouge, se heurte bien sûr au racisme (l’incrédulité récurrente des gens lorsqu’elle leur annonçait qu’elle était écrivaine), déménage sans arrêt, mène une vie de rebelle, se vêt de façon voyante.
Un chapitre est consacré à ses amours, parfois anodines, elle a oublié les prénoms de ses liaisons de jeunesses, parfois tumultueuses, notamment celles avec une lesbienne dominante perverse narcissique qui lui a coûté plusieurs années. Et explique comment elle est passé de l’hétérosexualité du début à l’homosexualité pour revenir ensuite à l’amour pour les hommes. Elle en a d’ailleurs épousé un avec qui elle vit toujours, épanouie, dans sa chère banlieue sud de Londres.
Et puis elle explique son processus créatif dans le détail, son parcours sinueux fait de hauts et surtout de très bas et nous démontre sa hargne à ne jamais rien lâcher. Le sous-titre du livre est N’abandonnez jamais. C’est ainsi qu’elle est, femme énergique, enthousiaste, positive et joyeuse.

Manifesto N’abandonnez jamais de Bernardine Evaristo, 2023, traduit par Françoise Adelstain (Manifesto or never giving up) aux Editions Globe. 272 pages, 19,90 €

Texte © dominique cozette

Une drôle de façon de parler du négus

Turco. Voici un livre follement drôle et attachant de Sylvain Chantal, un type super sympa qui vit sur une pénichette sans aucun confort, sur l’Erdre, à Nantes. Quelques temps avant de mourir, vla-ty pas que sa grand-mère lui apprend que son oncle à elle, donc le grand-oncle de l’auteur, était le chauffeur de Hailé Selassié. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il s’agit du négus, le roi des rois, empereur d’Ethiopie qui fut considéré par les rastafari jamaïcains comme le messie envoyé de Dieu .
Cette nouvelle est fantastique pour le petit-fils qui ne connaissait rien à cette partie de la famille de sa grand-mère qu’il visitait souvent. Notre auteur, devant le rôti-patates de mémé, n’en revient pas et, après quelques clics sur Internet, il retrouve le fil de cette lignée dont le fameux « chauffeur » (en fait bien plus important que ça puisqu’il sera nommé chef de la garde impériale de Sélassié) Francesco de Martini.
De fil en aiguille, il va faire la connaissance de plusieurs personnes de la famille de mémé, au Liban, puis à Rome où son cousin Antonio de Martini le reçoit avec un faste complice et lui confie beaucoup de documents, dont les photos de quatrième de couv qui confirment son récit. C’est bien lui, ce grand-oncle, qui a sauvé le négus d’un coup d’état en défonçant avec son char la barrière de la résidence impériale pour l’embarquer loin des tracas.
Néanmoins, Turco n’est pas un manuel historique, ni un biopic . Bien sûr, Sylvain Chantal y relate tout ce qu’il sait sur ce grand-oncle farfelu, espion, aventurier pour le moins, et qui a longtemps côtoyé Sélassié mais il y glisse d’abondantes anecdotes sur sa famille, ses rencontres, sa grand-mère, son ex, ses essais infructueux sur Tinder pour un hypothétique câlin, ses misères, et toutes sortes de gags qu’il subit dans son petit logement fluvial.
Les jeux de mots abondent, les détails de la vie courante ne nous sont pas épargnés et la franche rigolade nous guette dès les premières pages. Juste une petite citation : » […] tonton se trouve Grande-Giovani come di Fronte, que je traduirais approximativement par Gros-Jean comme devant. J’ai tapé Grande-Giovani come di Fronte en italique; je ne sais pas si à Rome ils l’auraient écrit de la sorte, mais à Pise, c’est certain. » Moi, cet humour m’éclate. Bref, un livre qui déridera les plus ronchons d’entre vous.

Turco de Sylvain Chantal. 2022 au Dilettante. 220 pages, 18 €.

Texte © dominique cozette

Prêts pour un petit suicide en douceur ?


Oui, vous avez bien lu. A quatre-vingts ans, Kay et Cyril doivent prendre le fameux médoc qui vous emmène en douceur dans l’au-delà. Ils ont décidé ça à la cinquantaine, lorsque le père de Kay a fini par mourir suite à un interminable Alzheimer bien crade et bien repoussant. C’est le thème du nouveau roman de Lionel Shriver (c’est une écrivaine pour ceux qui l’ignorent qui a commis de nombreux et fort passionnants livres dont Il faut qu’on parle de Kevin). Je l’adore.
Celui s’intitule A prendre ou à laisser. Ils ont trois enfants dont une fille genre pénible, un premier de la classe genre mou-mou et un petit dernier genre glandeur-profiteur. Sinon lui est médecin, il connaît donc bien les médocs et elle infirmière, d’abord, puis a changé pour décoratrice. Chez l’autrice, les caractères et la psychologie sont terriblement fouillés. Pas de raccourcis, pas de travers laissés dans l’ombre. L’humain, elle s’y connaît jusqu’au moindre détail.
Alors donc les années s’écoulent, assez vite, jusqu’au fameux anniversaire des quatre-vingts ans de Cyril, Kay les a déjà eus, date butoir, on n’y coupe pas, alors qu’elle se demande si c’est bien raisonnable d’agir ainsi. Elle n’est pas très convaincue de la décision prise il y a si longtemps. Ils sont en forme même si lui fait semblant d’aller mal et de souffrir de divers troubles du vieillissement, et si elle a quelques trous de mémoire comme tout le monde. Mais les choses sont en route, ils ont dépensé leurs économies et même mis une hypothèque sur leur maison afin que profiter au maximum de leurs dernières décennies. Et ce fameux soir, on y est, ils ont ont mis les petits plats dans les grands, choisi un bon vin et mis de beaux habits.
Mais comme elle a peur de survivre à son mari, des fois qu’elle supporte mieux le médoc que lui, il lui propose de prendre la pilule la première tandis qu’il la tiendra dans ses bras. Et lorsqu’elle sera morte, ce sera à lui de partir.
Mais les choses ne se passent pas vraiment comme ça. D’ailleurs, les choses peuvent aussi arriver autrement, il y a des possibilités à envisager, une douzaine, et c’est ce que nous raconte l’autrice avec tout son talent de dramaturge mâtiné cocasse.

A prendre ou à laisser de Lionel Shriver, traduit par Catherine Gibert (Should we stay or should we go, 2021). 2023 aux Editions Belfond. 286 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Assemblage

Drôle de livre que ce roman de Natasha Brown, Assemblage, qui, comme son nom l’indique, est une sorte de collage de petits flashes, courts chapitres ou pas, digressions, comme un puzzle si on veut, qui trace la vie de l’héroïne, une jeune femme britannique noire. C’est assez déstabilisant, cette façon peu linéaire de raconter son histoire, parfois même difficile à comprendre, carrément elliptique, il n’en reste pas moins que c’est un livre très intéressant sur le ressenti d’une femme qui, arrivée à de très hautes fonctions à la City, doit continuer à effacer sa couleur pour être acceptée. Et son genre, bien sûr. Car c’est aussi une femme dans un monde d’hommes dont certains lui reprochent d’en être arrivée là pour satisfaire à des quotas de diversité quand eux-mêmes auraient mieux mérité le poste. Toujours, elle doit rester coite, jamais d’agressivité, toujours du contrôle.
Chaque jour une nouvelle opportunité de merder. Chaque décision, chaque réunion, chaque rapport. Il n’y a pas de succès, seulement des échecs évités. L’appréhension […] Un rien pourrait s’avérer la ruine de tout.
Son amant, rencontré dans sa boîte, l’admire, il est blanc et il tient à ce qu’elle vienne avec lui à la très chic garden party que donnent ses parents pour leur trente ans de mariage. Elle hésite, sachant qu’elle n’a pas sa place partout, mais s’y rend néanmoins. Et c’est vrai que quoi qu’elle fasse, quelle que soit la fortune qu’elle amasse avec son job, elle ne sera jamais comme ces Anglais aristocratiques ou grands bourgeois qui possèdent leurs terres depuis si longtemps, qui exhibent leurs lignées par des tableaux solennels accrochés dans leurs superbes demeures, et tout à l’avenant, cette vie qu’ils ont toujours connue, jamais frustrés, jamais privés de quoi que ce soit, en partie grâce à eux, les anciens esclaves dépouillés de leurs terres et de ses richesses, spoliés, dominés depuis si longtemps par leurs prédateurs.
Oui, très intéressant ce court texte morcelé, impressionniste, déconstruit qui donne à réfléchir, et déjà très encensé par la critique internationale.

Assemblage de Natasha Brown, 2021, traduit de l’anglais par Jakula Alikavazovic, 2023 aux Editions Grasset. 154 pages, 17 €

Texte © dominique cozette

 

Offenses

Un livre qui pique, le dernier tout petit de Constance Debré. Offenses, donc, c’est bien trouvé. L’histoire est simple : un jeune homme ordinaire d’une cité ordinaire où ne vivent que des mal nés, victimes de la violence, de la laideur, de l’indifférence, de la lose, tue une vieille dame, une voisine assez chiante mais qu’il aidait à l’occasion, lui faisant quelques courses et gardant souvent la menue monnaie, pas grand chose, mais elle s’en est aperçue et ça lui a fait monter le sang. Il a essayé de la calmer mais tout cela a dégénéré et il a attrapé le couteau de cuisine qui traînait là pour la trucider. Puis il est retourné chez lui, son petit frère l’a aidé à se changer, à planquer les fringues, et plus tard, quelques jours aprè, les flics sont venus l’arrêter. Il avait prévu, organisé une petite soirée pour dire au revoir à ses potes.
On apprend qu’il dealait, à l’occasion, mais qu’un de ses frères lui avait volé l’argent. Il a réuni une certaine somme mais il lui manquait juste quelques centaines d’auros pour boucler l’affaire et calmer les fournisseurs qui ne lui voulaient pas de bien. Or, on apprend que la seule personne qui s’occupait plutôt pas trop mal de la vieille c’était lui. Pas ses grands enfants qui l’évitaient, ni personne d’autre. On apprend qu’il a été élevé plutôt d’une drôle de façon par sa mère qui a porté une grave accusation sur lui, plus jeune. On apprend ses galères.
Mais l’intéressant du propos est que ce jeune criminel, c’est nous. Nous tous. Car dans cette société injuste, les nantis ont délégué tout ce qu’ils avaient de pourriture sur les classes inférieures : Contrairement à ce qu’il prétend le capitalisme ne rémunère pas le risque. C’est pour ça qu’il le délègue. Il le délègue à ceux qui sont perdants avant d’être vaincus. Le dealer délègue le risque à la nourrice (NB : celui qui planque la dope), comme le patron à l’ouvrier, comme le général au bidasse. Le système délègue le risque à celui dont la perte ne changera rien. Ceux du dessus ignore le risque, ils vivent dans un monde sans risque. [•••] Le risque n’a rien à voir avec le mal. La prison c’est ça, c’est quand le risque se réalise. Le risque que vous avez créé. Et que vous avez délégué. Même pour vos lignes de coke du samedi soir et vos pétards du dimanche, le risque c’est nous. Vous peut-être que vous irez en cure de désintoxication et nous en prison….
Autre point de vue qui pique : le coupable est aussi une victime. Lui aussi subit un choc post-traumatique, sa propre violence le traumatise. Debré écrit que ce sont les spécialistes qui le disent et que ça ne plaît pas à tout le monde. On préfèrerait que le coupable n’ait pas d’état d’âme.
Lorsqu’il est dans le box, il regarde la façon dont sont vêtus juges, avocats, procureurs. Leurs robes, leur hermine. C’est une farce.
Lui et tous ceux du bas sont l’enfer pour que ceux du haut vivent dans leur paradis. Il se pose des tas de questions pendant qu’on le juge. Mais il sait qu’il paie pour les autres.
Un livre très coup de poing, sec comme son autrice qui, n’oublions pas, a été avocat pénaliste dans une vie antérieure.

Offenses de Constance Debré, 2023, aux éditions Flammarion. 124 pages, 17,50€

Texte © dominique cozette

Offenses, Constance Debré, crime, drogue, société,

Les sources

Le nouveau roman de Marie-Hélène Lafon, les Sources, a pour thème les violences conjugales. Cest un tout petit roman âpre et sec qui conte le mariage raté d’une femme dans les années 60, dans un trou du Cantal, avec un voisin, un homme pas si mal. Mais il se révèle très brutal au fil du récit, elle en prend pour son grade. Et puis, il lui fait gosse sur gosse, ses trois petits lui bouffent le temps, elle n’est pas toujours prête quand ils doivent partir déjeuner chez les parents le dimanche, et la rouste n’est pas loin. Les enfants se tiennent aussi à carreau car le père fait peur. Pourtant ce n’est pas un homme qui boit. Il s’est mis à détester sa femme quand elle a commencé à grossir, trois grossesses coup sur coup avec trois césariennes, ça n’aide pas à rester jeune et belle. C’est un homme qui fait bien le boulot et qui s’acquitte au mieux des tâches professionnelles, paysan et producteur de fromage, et plus tard, des pensions des enfants. Et il en est fier ou plutôt, il se lui viendrait pas à l’esprit de ne pas faire son devoir.
Mais il n’a pas d’état d’âme concernant sa famille. Il agit comme il le sent, point barre. Dans ces années-là, de toute façon, il n’était pas tellement question d’étaler ses histoires conjugales. Ça restait à la maison.
C’est dans la seconde partie du livre qu’on entend la voix de cet homme qui se pense honnête et ne regrette jamais ce qu’il fait. C’est un dur à l’ouvrage, un dur à cuire, un dur du cœur.
Les Sources n’est pas un livre psychologique, tout est factuel, à l’os comme on dit, et pourtant, on voit bien les choses, les gens, la ferme. Sec et concis, rugueux, sans aucun sentimentalisme.

Les Sources de Marie-Hélène Lafon, 2023 aux Editions Buchet Chastel. 120 pages, 16,50 €

Texte © dominique cozette

Oui, oui, oui ! pour Nein,nein,nein !

Complètement déjanté comme s’il écrivait sous acide avec un cerveau d’une souplesse tortueuse incroyable m’apparaît Jerry Stahl que je découvre à l’occasion de Nein, nein nein, sous-titré la dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar. Il ne se drogue plus car son foie est cartonné, fichu, bon à jeter vu qu’il a chopé l’hépatique C au bout d’une piquouze de saleté de shoot, il ne boit plus et suit une hygiène alimentaire exemplaire pour ne pas mourir. Donc végétarien. Il a écrit des livres, des films, a été marié plusieurs fois, et souffre de dépression chronique. C’est pour cette dernière raison qu’il décide de se rendre dans un voyage organisé autour des camps de concentration autrichiens et allemands en autocar. Drôle d’idée pour un asocial comme lui, mais après tout, il est juif (ils sont deux seulement dans le car ) et veut voir de près la tragédie de son peuple élu (ironique, ici).
Pour que vous ayez une idée du style de l’auteur, voici un extrait : Comme chez nombre de femmes quadra ou quinquagénaires que j’ai vues en Pologne, je constate chez les sœurs une ressemblance inquiétante avec Charles Bronson. (Etrangement, j’ai croisé pas mal de jeunes hommes qui pourraient servir de doublure joues à Mélania, bien que, contrairement à Bronson, qui était à moitié polonais, Mme Trump soit 100% slovène). Passé un certain âge, d’après mes observations empiriques menées depuis le trottoir, les Polaks des deux sexes subissent une transition pour se muer en Santa Klaus Kinski. Il y en a des centaines que je pourrais citer car c’est sa façon d’écrire, il n’arrête pas.
Sauf quand il se trouve dans les camps. Là, il devient grave, enfin il essaie mais ne peut éviter les quelques cons qui font leurs malins en disant des inepties. Dur. Ou en s’empiffrant de junk food aux cafeterias ou restos à l’intérieur des camps, comme si on était chez Disney. Et c’est carrément gerbant.
La fête de la bière à Münich, un cauchemar car il est au régime sec parmi les atroces odeurs des buveurs et de leur vomi, des mecs ivres… N’empêche qu’il nous en apprend pas mal en discutant avec Schlomo, son « copain » de car qui porte son pantalon sous les tétons (cf Chirac) avec qui il a des discussions sur pas mal de sujets, politique, religieux. Ils sont très au fait tous les deux de la questions juive et de ses extensions.
Evidemment, le ton change au fur et à mesure de ses haltes, de l’énumération des exactions, des tortures et autres infamies infligées aux condamnés.
C’est un livre qui peut déranger, ça dépend comment c’est pris. Mais je l’ai trouvé très brillant, hormis le fait que beaucoup de ses allusions à la culture américaine, entre autres, m’ont échappé.

Nein, nein nein, sous-titré la dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar, 2023 pour la traduction française de Morgane Saysana, aux éditions Rivages. 352 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

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