Dors de ton sommeil de brute

Dors de ton sommeil de brute est un livre très étrange. Moi qui n’aime pas trop les histoires paranormales, je suis servie, cependant celle-ci m’a passionnée. C’est le cinquième roman de Carole Martinez.
Eva ne voulait pas d’enfant. Mais son mari, à force de persuasion et de chantage, réussit à la faire changer d’avis. La maternité est une révélation pour cette femme. Mais le mari, se sentant délaissé, devient violent. Alors Eva le fuit en ne laissant aucun indice derrière elle, et avec sa fille Lucie, s’installe dans une masure paumée des étangs camarguais, sans réseaux, sans voisinage. Ah si, une espèce de géant qui sauve une oie sauvage blessée et auquel va s’attacher immédiatement la fillette. Ce n’est pas du goût de sa mère mais Lucie est têtue et volontaire, rien ne peut se faire si elle ne l’a pas décidé.
Dans cet environnement où la nature foisonnante se pare de tous ses attraits, la vie pourrait se poursuivre sereinement si une curieuse épidémie ne venait bouleverser toute la surface du globe : les enfants sont pris du même rêve, au fur et à mesure de la rotation de la terre, un rêve dévastateur qu’on ne peut expliquer. Sauf quand on s’y connaît un peu en mythologie comme le géant voisin. Car très vite, d’autres rêves d’enfants vont venir balayer violemment la surface de la terre et peu à peu, on va comprendre ce qu’il se passe. Une intrigue pleine de suspense.

Dors de ton sommeil de brute de Carole Martinez, 2024, aux Editions Gallimard. 400 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

J’emporterai le feu

J’emporterai le feu est le troisième tome de l’admirable trilogie Le pays des autres de Leïla Slimani. On peut n’avoir pas lu des deux premiers pour suivre celui-ci qui concerne la troisième génération de la famille mais ce serait dommage de s’en priver.
Slimani a un talent fou pour nous embarquer à chaque chapitre dans une nouvelle aventure de ses personnages qui vont de la première génération, une Alsacienne, Mathilde, ayant épousé un Marocain, Amine, venu avec son bataillon en France pendant la guerre. Puis à leurs enfants, tous élevés au Maroc puisque Mathilde y a suivi son époux, et enfin aux deux filles du héros de ce livre, Mehdi, aussi dissemblables que possible, Mia et Inès.
La réussite improbable de Mehdi dans le domaine bancaire puis sa chute inexplicable, aléas des régimes autocratiques où n’importe qui peut vous envoyer en prison sans un bonne raison, rythme la vie de la famille. L’épouse Mehdi a elle aussi bien réussi puisqu’elle est médecin gynécologue et que c’est elle qui fait bouillir la marmite quand il le faut, ce qui ne l’empêche pas de rester très attachée à son homme même quand celui-ci, dans ses traversées du désert, passe son temps à fumer dans son canapé en regardant la télé et en ne participant en rien à leur vie.
On s’attache particulièrement aux filles, Mia d’abord, très intelligente et mature qui déteste l’assignation au genre féminin, donc vrai garçon manqué et lesbienne, que son père destine à lui succéder à la banque, elle fera mieux que ça. Pas de demi-mesure avec elle, elle est maladivement jalouse de la petite Inès, une beauté, allant jusqu’à une tentative de meurtre sur elle. Les gamines sont douées, ne semblent poser aucune problème bien que le sexe les travaille et que le pays où elle vivent ne les y autorise pas vraiment. La jeune Inès aura d’ailleurs une aventure interdite avec un de ses professeurs.
Comme beaucoup de jeunes, elles finiront par quitter le nid et aller à la rencontre d’autres cultures, l’une à Londres, l’autre à Paris.
Roman très riche, plein de rebondissements et surtout d’enseignements, fluide et de lecture très agréable (oui, bon, je ne sais pas dire mieux)

J’emporterai le feu de Leïla Slimani, tome 3 de la trilogie Le pays des autres, 2025 aux Editions Gallimard, 430 pages, 22,90 €

Texte © dominique cozette

Fracassé

Né en 1954, Hanif Kureishi est un scénariste et écrivain anglais qui s’est fait connaître par le scénario de My beautiful laundrette et ensuite par son roman le Buddha de banlieue. Il écrit de nombreux autres livres.
Dans cet ouvrage bouleversant, Fracassé, il relate son dramatique accident survenu à noël 2022 où, tombé d’une chaise lors d’un malaise, il se réveille à l’hôpital à Rome entièrement paralysé. Entièrement dépendant. Il lui reste la parole. Sa femme, Isabelle, est italienne et elle abandonne un métier passionnant dans une maison d’édition pour rester très de lui toute la journée, lui donner la becquée, rameuter tous les amis afin qu’il ne soit jamais seul. Et surtout recueillir son témoignage, ce qui n’est pas une tâche facile. Il ne parle pas italien, ce qui ne favorise pas l’amitié avec le personnel soignant.
Ce livre est une compilation de « dépêches » sur ses états d’âmes, pensées et autres informations concernant ce qu’il vit dans cet enfer, mêlé à de nombreuses anecdotes et souvenirs de la vie d’avant, celle qu’il ne vivra plus jamais, et ses nombreuses amitiés dont celle avec Salmann Rushdie. Cependant, il ne nous épargne rien de toutes les humiliations corporelles et d’amour-propre qu’il est obligé de subir. Son corps ne marche plus, même les fonctions les moins nobles doivent être vigoureusement exécutées.
Après quelques mois, il n’en peut plus d’être loin de chez lui alors, avec la complicité de sa femme et de son ex, mère de ses grands fils, il est transféré à Londres, dans un autre hôpital. Le plus, c’est qu’il peut se faire toutes sortes de complices parlant la même langue. Et que la plupart de ses relations vivent ici. Mais les progrès de rééducation sont pratiquement nuls. Sauf qu’il peut juste pousser une manette pour conduire un fauteuil électrique, aller dans la salle commune ou dans le parc. Là aussi, Isabella est tenue de faire en sorte qu’il ne passe jamais cinq minutes sans visites, et qu’elle doit superviser les travaux dans leur maison de Londres (cauchemar pour elle) pour qu’il puisse y circuler un jour.
Il est décidé à faire des progrès mais ça se présente très mal, ça n’arrive pas. Finalement, il pourra vivre chez lui dans un contexte médicalisé, avec du personnel soignant, et retrouver le plaisir de ses promenades au bord de l’eau, poussé par l’un ou l’autre de ses proches. Et continuer à distiller les histoires, discussions et pensées sous la dictée de bénévoles.
Ce témoignage est poignant, forcément, terriblement dur mais aussi truffé de piques d’humour et de traits d’espoir bien que les choses ne semblent pas avancer. C’est aussi un bel exemple de patience et d’opiniâtreté, comment faire autrement que de vivre ainsi, coûte que coûte, dépendant de tout mais aidé par tous. Dur.

Fracassé par Hanif Kureishi, 2025 chez Christian Bourgois, traduit par Florence Cabaret.

Texte © dominique cozette

Sacrée Bunche

Avec la parution de Sacrée Bunche, c’est peut-être la plus importante partie de l’œuvre d’Aline Kominsky-Crumb, qui est enfin publiée en français. Pionnière de la bande dessinée underground et féministe américaine, celle qui fonda le comics Twisted Sisters avec Diane Noomin, et qui dirigea la revue Weirdo à la fin des années 1980, fut l’autrice d’une œuvre transgressive, profonde et novatrice qui a influencé plusieurs générations de créatrices et d’artistes.

De son enfance suffocante sur l’île de Long Island, à un premier mariage désastreux avec « le furet », en passant par son installation dans le San Francisco underground des années 1970, c’est avec un ton grinçant et une bonne dose d’ironie qu’Aline Kominsky-Crumb se met en scène sous le nom de la « bunche ». Féministe, son œuvre l’est résolument, et rien n’échappe au sécateur de son autodérision dévastatrice : rapport au corps et à l’apparence physique, montagnes russes de la libido et de l’estime de soi, violences sexuelles, grossesse non désirée, maternité, rêves, fantasmes et culpabilité, Aline Kominsky-Crumb se raconte crûment et sans tabou.

Dans un dessin vibrant, expressif et grotesque, parfois proche de la caricature, défilent des personnages hauts en couleur. Les cases sont saturées de motifs, les visages apparaissent en gros plan, se tordent en grimaces et ricanements, tandis que les corps se déforment au gré des récits. Une œuvre hors norme et jubilatoire !

Traduite par Sophie Crumb, avec l’aide de Jean-Pierre Mercier, cette anthologie rassemble près de 50 ans de bandes dessinées confessionnelles et déjantées, des années 1970 jusqu’au début des années 2020.

Ce texte est celui de l’Association.

NB : Si vous aimez Crumb, vous kifferez celle qui fut sa femme et la mère de leur fille. Lui vit toujours dans son petit bled du sud…

Un Moriarty tout chaud sorti du four

On peut ne pas aimer Liane Moriarty, moi je kiffe plutôt car ses romans dodus à l’eau de cactus présentent un suspens qu’il me plaît à apprécier quand j’en ai le loisir. Ce sont des bouquins à lire vite sinon on se perd dans la touffeur des situations ou des personnages. Car ils sont gros. Celui-ci, au titre épouvantable Ici et maintenant, ne faillit pas à la règle. Plusieurs familles, personnes ou groupes de personnes sont en lice pour nous intéresser avec, pour tronc commun, une dame âgée tout ce qu’il y a de plus ordinaire, qui va semer la zizanie dans leur tête. Ça se passe dans un avion en Australie, il est à l’arrêt et cette dame, Cherry, se prend à aller vers chacun de ses voisins, leur donnant, sans plus de détails, la date et la cause de leur mort. Pour certains, c’est très bientôt, pour d’autres, c’est inenvisageable, pour d’autres encore, c’est dans le cours des choses.
Nous allons suivre ces entités touchées plus ou moins par cette sinistre prophétie, découvrir ce qu’il vont tenter pour échapper au funeste destin, et même si quelques-uns n’y croient pas, ça fout la trouille. L’une de ces entités, une très jeune femme, comptera ironiquement parmi les morts annoncées justement parce qu’elle agit pour lui échapper. Autre entité : un couple tout neuf auquel on annonce que le mari va tuer sa femme. Une autre : le bébé qu’elle attend va mourir noyé à sept ans. Un vieux couple de près de cent ans qui va mourir bientôt (oui, bon)… Toutes sortes de prédictions mal venues qui vont infléchir le cours de la vie de ces gens.
De la « voyante », on ne saura rien au début, découvrant peu à peu la singularité de son parcours et les raisons qui l’ont poussée à faire ces révélations. On y apprendra un métier que je ne connaissais, des éléments de statistiques et comment les interpréter, et on y découvrira la vie en Australie et autour.
J’ai trouvé ce livre intéressant, pas très ardu, dont on peut se dire qu’il fait réfléchir comme certaines citations simplistes qui parsèment de leur bon sens nos réseaux sociaux. C’est déjà ça…

Ici et maintenant de Liane Moriarty, traduit par Béatrice Taupeau, aux éditions Albin Michel 2025. 576 pages, 22,90 €

Texte © dominique cozette

Les stripteaseuses ont toujours …

Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques est le titre complet du dernier opus de Iain Levinson, auteur écossais vivant aux Etats-Unis. Ses livres présentent l’intérêt de décrire une façon de vivre, une époque, un métier… dans un lieu précis.
Ici, il s’agit du boulot d’avocat commis d’office dans un tribunal américain, de nous apprendre que les lois et le droit varient considérablement d’un état à un autre, que ce qu’on croit légal ne l’est que de l’autre côté du fleuve etc… Il y a cinquante systèmes judiciaires aux Etats-Unis plus le système fédéral, un vrai casse-tête. Levinson nous montre aussi comment sont négociées les peines façon marchands de tapis avec la complicité des procureurs. C’est assez drôle.
Et puis il y a une histoire. Une histoire policière, rare chez cet auteur dont son héros il se laisse embringuer dans une proposition qui ne paraît pas malhonnête mais qui l’est forcément : un directeur d’une boîte de strip-tease pour camionneurs, Marcus, en périphérie de la ville lui offre mille dollars pour une heure. Une heure de quoi ? Une heure de conseil aux strip-teaseuses, dans la boîte où il se tient à leur disposition, à une table précise, dans le fracas d’une musique excessive. Ensuite, l’avocat a l’obligation de passer la nuit dans le motel en face, propriété du même Marcus et de ne parler à personne de ce qu’il fait ici. Les danseuses n’ont pas vraiment besoin de lui en fait, et il constate que deux autres personnes sont engagées comme lui : un plombier et une dame chic. Mystère et boule de gomme.
L’avocat a bien le sentiment de participer à une activité louche mais il peine à trouver quoi. Il fut jadis un brillantissime lanceur d’alerte mais il a préféré défendre la veuve et l’orphelin, les petits malfrats isolés, voleurs et picoleurs plutôt que de se faire un fric de ouf dans de grands cabinets.
Bref, c’est un petit livre intelligent et distrayant que nous a tricoté Levinson.

Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques de Iain Levinson, 2024, aux éditions Liana Levi, 240 pages, 22€.

Texte © dominique cozette

Bristol ça rigole

Très drôle, ce Bristol de Jean Echenoz. Je ris à toutes les pages tellement le style de ce roman est déjanté. Le héros en lui-même, Bristol, ne fait pas rêver mais ce sont ses pérégrinations, ses rencontres, ses ratages qui réjouissent. Déjà quand il sort de son immeuble situé rue des Eaux à Paris, un corps tombe du cinquième étage sans qu’il s’en aperçoive. Il est dans ses pensées car il prépare son film en tant que réalisateur très médiocre qui le conduira à accepter une comédienne un peu terne qui disparaîtra mystérieusement après le tournage en Afrique où il rencontre une sorte de chef de gang qui viendra le squatter plus tard chez lui… Tout le petit monde qui circule dans ce livre vit une histoire pas banale, ces gens n’ont rien à voir les uns avec les autres et, comme le serpent qui se mord la queue, ça finira par de drôles de liens sans queue ni tête. Ou avec, on ne sait pas.
C’est la façon de raconter tout ça qui m’a proprement enthousiasmée, avec sa horde de mots, de termes, de tournures qu’on a peu de chances de croiser au détour d’une ligne de tout autre écrivain.e.
Bref, j’ai pris mon pied !
(Je relis, que c’est mal écrit ce post. Bon, tant pis, excusez ma flemme pour le refaire)

Bristol de Jean Echenoz, 2025 aux Editions de Minuit, 268 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

Journal d’un exilé

Journal d’un exilé est le premier roman d’Amadou Barry. Cet auteur vient de Guinée. Il raconte la vie d’un exilé (il préfère ce terme à celui de migrant), Dramé, qui arrive en France après de grosses difficultés dans son pays et déchante très vite. Sans papiers, tu n’es rien et il s’en rend vite compte.
Il atterrit dans « le tunnel » aux abords de Paris où sont alignées tout plein de tentes qui constituent des carrés, celui des Afghnas, celui des mineurs etc…
Il tente de se rapprocher de certains et se rend compte qu’ils ne sont pas prêts à se confier, à parler d’eux-mêmes. Des taiseux. Cependant, l’un d’entre eux, Fodié, Ivoirien et intellectuel car il a des diplômes, lui propose de partager sa tente sans aucun échange. Quelle générosité. Et là, Dramé se rend compte que l’instruction, ça a du bon pour argumenter, lui qui a arrêté l’école trop tôt comme un idiot. Fodié lui enseigne beaucoup de choses, la philo par exemple, et l’incite à lire. Sa tente est d’ailleurs emplie de livres dont le très important Procès de Kafka qui n’est pas sans rpport avec ce qu’ils doivent affronter. Fodié analyse tellement bien les choses, l’état actuel de l’Afrique, leur situation par rapport à la politique, le racisme, l’attitude à toujours garder etc… que Dramé ne cesse de l’encourager à écrire son livre. Il ne le fera pas et il aura enfin ses papiers, mais c’est à ce moment-là qu’il meurt, laissant Dramé désemparé parmi tout le bordel de cette vie de merde.
Entre temps, ils auront connu les dealers qui font une promo effrénée de leur drogue (et ça marche auprès des mineurs qui deviennent enragés dès leur premier manque), les bagarres desquelles il vaut mieux s’éloigner, une nana seule mais costaude, sachant imposer le respect, et d’autres personnages hauts en couleurs. Il aura pu se faire embaucher à la volée pour des boulots durs et mal payés.
Dramé n’est pas un perdreau de l’année, il critique de façon très cash notre culture, les faux-semblants ou alibis que nous nous donnons pour avoir la conscience tranquille : « Vous devez entendre nos cris, vous allez voir nos gueules. Ces gueules que vous fuyez en signant un chèque pour une association, ou une pétition. Je n’ai plus envie de me taire, et je sais que je ne suis pas le seul. Nous ne voulons plus servir de défouloir à vos politiciens en mal de popularité ni être votre souffle-douleur ni des boucs émissaires. »
Un livre très humain, dur, qui ne remonte pas forcément le moral en ces temps délétères.

Journal d’un exilé d’Amadou Barry, 2024, aux éditions Julliard. 254 pages, 21,50 euros.

Texte © dominique cozette

Jacques Gamblin raconte sa mère

Mère à l’horizon est un roman de Jacques Gamblin. « Un hommage bouleversant à la mère, où le rire n`est pourtant jamais loin, prêt à déferler sur la grève.
Je n`ai plus que la mémoire de l`instant
, dit-elle.
Elle reste assise de longues heures, les rideaux à peine ouverts.
Elle veut bien voir le dehors mais que le dehors ne la voie pas.
Elle se met du rouge à lèvres quand elle reçoit une visite.
Son premier baiser, elle l`a donné entre les casseroles et les pinces multiprises.
Elle rêvait de jouer le jazz.
Un jour, elle est montée à la grande échelle.
Comment tu vas te déguiser au prochain carnaval ?
Elle répond : En courant d`air.
Elle a commencé à perdre l`audition il y a quelques années. La mémoire a suivi et couru à sa perte. Sans bruit. Sans choc. Avec la vie qui change de volume.
Pour combler les phrases qu`elle ne prononce plus, j`écris. J`attrape son silence au vol, le fais rebondir, pour l`aimer encore, autrement, pour l`aimer mieux.
Un hommage bouleversant à la mère, où le rire n`est pourtant jamais loin, prêt à déferler sur la grève. »

NB : ce texte est la quatrième de couv, je l’ai lu il y a quelques temps, mais je me souviens de sa poésie, la beauté de sa langue et l’amour qui s’en dégage. Très belle écriture.

Mère à l’horizon de Jacques Gamblin, 2024 chez Robert Laffont. 144 pages,
18,50 €

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Une belle histoire corse

Filumena est une vieille Corse qui vit dans un tout petit village en bord de mer, et que ses pieds font souffrir au-delà de tout, mais qui doit sortir de chez elle pour aller chercher ses chères cigarettes et ses chers mots croisés.
Le bureau de tabac est situé à trois cents mètres de son immeuble, entre le bar Antoine et la boulangerie Antoine, tout près de l`épicerie Antoine. C’est-à-dire au bout de l’enfer.
Filumena attend midi, l’heure où toutes ces dames sont affairées en cuisine, les courses dans le frigidaire et les couronnes bleues allumées sous les cocottes. Elle est sauvage, ne veut croiser personne, préfère vivre avec tous les gens dans sa tête, qui sont morts pour la plupart.
Au long de cette traversée, elle en croise pourtant quelques-uns et en profite pour nous faire part de tout ce qu’elle en pense, d’untel et d’unetelle. Et de tout ce qu’elle a vécu.
L’écriture de cette histoire est exceptionnelle, d’une poésie irrésistible qui fait chanter cette petite vie de peu et son décor. Joël Bastard, l’auteur, je ne sais pas s’il est corse mais il en parle si bien qu’on s’y croit. Odeurs, parfums, personnages, animaux, on passe avec lui quelques heures d’heureux moments, de vacances foisonnant de sensations.
Filumena se souvient avec émotion de son mari mort trop tôt avec qui elle a habité Versailles où il était gardien (ou jardinier, je ne sais plus), puis de son travail dans une usine à Marseille, de la renaissance d’un bref amour qui l’a conduite quelques jours à Paris près du parc de Belleville. Mais surtout de son alter ego, sa grande amie décédée aujourd’hui avec qui elle partageait tout, même de loin car celle-ci est partie faire ses études à Corte alors que notre héroïne, aînée de dix enfants, a abandonné l’école très tôt pour les élever, les torcher etc…
C’est un livre impressionniste sensible comme les tableaux du même nom, c’est une vraie friandise pour l’esprit. Magnifique.

Filumena de Joël Bastard, 2024 chez Belfond. 206 pages, 20€

Texte © dominique cozette

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