Un sacré champion

Je n’aurais jamais ce livre sans y avoir été poussée par l’enthousiasme du Masque et la Plume. Le Nageur écrit par l’excellent PIerre Assouline conte le destin exceptionnel d’un petit homme (au départ), Alfred Nakache, né à Constantine, pétri de modestie, de bons sentiments, d’empathie, mais aussi d’humour et de gaité. Et qui est devenu, à force de travail, d’entêtement, de rigueur, un immense champion dans de nombreuses catégories de nages. Il a participé, bien que juif (car l’antisémitisme régnait déjà en Allemagne) aux J.O de Berlin en 1936 puis à ceux de Londres en 1948.
Mais que s’est-il passé entre ces deux dates ? Une horreur. Dénoncé par son rival, qu’il est décidé à tuer vaille que vaille, il a été embarqué, ainsi que sa femme et leur fillette de deux ans à Auschwitz. Il ne les reverra jamais. Puis il sera envoyé à Buchewald et grâce à sa réputation d’athlète (qu’il n’est plus, dans son corps amaigri), il sera muté à l’infirmerie ce qui lui permettra de sauver des prisonniers. Mais avant qu’il occupe ce « poste » vaguement confortable (tout est relatif), Assouline décrit la façon dont il a été traité, comme des milliers d’autres, maltraité, torturé, humilié. Il s’en est sorti grâce à une volonté de fer. Résister à tout prix.
Lorsque la guerre est finie, lorsqu’il sait que ses deux amours ne reviendront plus, le rire l’a déserté. Tous ceux qui l’ont aimé n’ont de cesse de le soutenir, de l’entourer. Il reprendra certes la natation, il ne sera bien sûr plus champion mais s’occupera d’enfants et continuera à faire son kilomètre dans le port de Cerber, Pyrénées orientales, où il se noiera, une mort sur mesure. La boucle est bouclée.
Quand on parcourt la somme des livres, documents, et autres sources consultés pour l’écriture de cet ouvrage, on comprend pourquoi il est est si vivant, pourquoi il fourmille de tant de détails passionnants, pourquoi il est si prenant. Il est superbe.

Le Nageur de Pierre Assouline, 2023 aux éditions Gallimard, 256 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Amour pas mort

Reste est le dernier livre d’Adeline Dieudonné qui m’avait déjà scotchée avec La Vraie vie, roman terrible. Celui-ci ne l’est pas moins. Je dirais même plus. L’histoire est simple : l’amant (marié) d’une femme de quarante ans meurt noyé dans le lac qui borde leur chalet d’amour. Ils étaient là pour deux ou trois jours, sous la protection d’un ami qui leur filait les clés. Elle ne veut pas y croire. Elle le ramène au chalet, l’étend sur le lit et se love contre lui. Elle le caresse, tente de le réchauffer. Et ne peut pas se décider à prévenir qui que ce soit car on lui enlèvera son amour, on le mettra dans un endroit clos, froid et elle ne supporte pas cette idée. Alors elle va continuer à vivre encore avec lui.
Elle sait que sa femme, ne le voyant pas revenir, va s’inquiéter, ce qui lui fera perdre la partie. Alors elle le porte comme elle peut dans sa voiture, l’allonge sur la banquette et l’emmène elle ne sait pas où. Vers le barrage où elle fait quelques rencontres.
Et bien sûr, le corps finit par sentir, se couvrir de taches, cela ne la rebute pas. D’autres obstacles, et non des moindres, vont se mettre en travers de la route mais toujours, elle va continuer à assumer le vol du corps et à l’adorer.
Ce livre, c’est une lettre, un récit destiné à la femme de son amant, qu’elle ne connaît pas mais dit aimer, se déculpabilisant de le lui emprunter parfois car elle ne lui enlève rien.
Ainsi, on fait connaissance avec elle, son environnement, son ex-mari, leur fille, son boulot, ce qui fait d’elle ce qu’elle est : cultivée, raisonnable, solide et équilibrée. L’inverse de ce qu’elle nous montre. Une sorte de monstre. Elle en est consciente, bien sûr. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est une belle cérémonie dans la nature, ou au bord du lac, le corps de son amour serait dans une barque en feu que l’on pousserait au large. Elle rêve, elle est folle d’amour, et bizarrement, ne ressent pas la douleur de la perte. Un drôle d’amour, une drôle de nana qu’on lit avec un certain ravissement. (Qui n’est pas sans me faire penser à ce beau film dérangeant, Lune Froide de Patrick Bouchitey et son sujet tabou de l’amour avec une morte, d’après Bukowski).

Reste d’Adeline Dieudonné, 2023 aux éditions l’Iconoclaste. 284 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Une immense leçon de vie

Le titre n’est pas très vendeur, Un peu plus loin n’évoque pas grand chose pour nous, mais pour son auteur Guilhem « Pone » Gallart, cela doit signifier un énorme pas à faire, je ne sais pas. Je l’ai découvert dans une émission de radio par son épouse Wahiba, une femme pleine de vitalité, qui faisait la promo de « Pone », un des pseudonymes de son mari qui est définitivement couché chez lui dans un lit médicalisé et ne peut plus bouger.
Il a écrit ce livre avec sa pupille, imaginez le temps que ça pris, c’est extrêmement bien « rendu » au niveau du langage actuel car Pone est un mec très actuel. Il a fait un milliard de choses avant d’être figé. Il a fréquenté la scène tag, une vrai passion, puis le hip hop, il a fondé des groupes, a été leur producteur, dont Fonky Family (moi, je n’y connais rien) dont il a réalisé les albums, et bien d’autres aussi, dont il a assuré les mixages et mastering avec des pointures souvent américaines.
Puis il a monté des affaires, sécurité, événementiel, boîtes et restaus, tout cela entre Toulouse, sa ville familiale, et Marseille, la capitale du rap et de tout de qui pulse la nuit. Il s’est confronté à pas mal de mauvais joueurs (le mot est faible) puis, lorsqu’il a rencontré sa femme, il s’est rangé, ils ont fait deux filles dont il est raide dingue puis hélas,en 2015, il a choppé cette épouvantable maladie dont on ne ressort pas, la maladie de Charcot. Il a failli mourir plusieurs fois mais sa force vitale l’a sauvé, et même si son existence n’est pas idéale, il jouit d’être vivant, d’aimer et d’être aimé.
Rendez-vous compte qu’il a écrit un livre de recettes (simples) alors qu’il est nourri par sonde, qu’il a composé des dizaines de musiques alors qu’il ne peut plus se servir d’un clavier, qu’il a refondé son groupe qui a joué sur scène, mais sans lui bien sûr, et qu’il a écrit ce gros livre qui raconte toutes ses aventures d’électron libre depuis ses quinze ans. Il a aussi crée une asso pour aider les gens à propos de cette foutue maladie, et bien d’autres chose. C’est incroyable. Et ce livre l’est, même si je ne connais pas les noms des graffeurs, rappeurs, groupes etc… j’ai trouvé passionnante cette plongée dans une jeunesse marseillaise bouillonnante et créative. Un récit hallucinant.

Un peu plus loin de Guillhem « Pone » Gallart, 2023 aux éditions JCLattès. 362 pages, 20,90 €

Texte © dominique cozette

Jewish cock

Je me suis dit comme ça : ils ne se sont pas foulés, les éditeurs, pour le titre. Mais comme je me suis trompée ! Jewish cock, qui veut dire approximativement la bite juive, soit le sgueg circoncis, est le titre EN français, mes ami.es. Le titre originel du livre de Katharina Volckmer est The Appointment qui signifie, si je ne Mabuse docteur, le rencart. Ne nous arrêtons pas à ce détail mais c’est sûr que Jewish cock, ça respire plus la rigolade coquine, d’autant que dans une de mes librairies préférées était apposé un petit mot qui disait « lu d’une traite ».
J’aurais dû me méfier. Je lis le soir au lit et quand je sens mes petites paupières s’abaisser, je me dis comme ça je vais aller jusqu’à la fin du paragraphe. Or, de paragraphe, point. Bon, alors jusqu’à la fin du chapitre. Mais ohhhh ! Pas de chapitre. Ce livre est un monologue, le monologue d’une nana logorrhéique, une sorte de monologue de son vagin, ce mot étant cité dix fois par page ce qui est normal puisqu’elle est dans le cabinet du docteur Seligman qui, la tête entre ses cuisses durant toute cette histoire, farfouille dans son organe qu’il va transformer en bite. Mot cité très souvent aussi car elle ne désire qu’une chose : en avoir une et devenir enfin ce qu’elle pense qu’elle doit être : un Juif. Circoncis tant qu’à faire.
Elle nous dit tout sur elle : issue de parents plus ou moins nazis, grosse mère beurk beurk à laquelle elle ne voudra jamais ressembler, père je ne sais plus, elle fuit l’Allemagne et toute cette horreur pour s’installer à Londres. Mais elle ne pourra pas échapper à l’héritage d’un grand-père Heil H. donc retour chez les siens.
Un beau jour, peut-être moche je ne sais pas, elle attaque un collègue à l’agrafeuse. Elle est virée et sommée de se faire soigner. D’où la rencontre avec un psy tragiquement médiocre. Sinon, elle a une sorte de compagnon, K., un type rencontré dans les WC où elle pissait aussi, marié, spécial, pleurnichard, caniphobe et maniaque. Elle rêve de connaître monsieur Shimada, un Japonais créateur de sextoys sur mesure. Elle conchie la religion « Dieu devait avoir un pénis de la taille d’une cigarette » et évoque maintes fois la masturbation. Et parle d’ailleurs de tout.
Une citation pour vous donner le ton : « Mon incapacité à m’asseoir correctement parce que je n’ai jamais compris pourquoi il y avait deux façons de s’asseoir selon qu’on avait une bite ou pas. Et je m’emmêlais tout le temps les pinceaux, parce que la logique de la chose m’échappait complètement dans la mesure où une fille a de fait moins à cacher qu’un homme, mais ça c’était avant que je comprenne qu’une bite est une sorte d’épée, un objet de fierté et de comparaison, tandis qu’un vagin est quelque chose de faible, quelque chose qui n’engage pas à la confiance. Quelque chose qui sera toujours un objet de baise, qui peut être violé et inséminé, qui peut couvrir de honte un foyer et une famille. Quelque chose qui a besoin d’être protégé sans que personne ne remette jamais en cause ce besoin de protection, ne se demande comment il se fait que les rues ne soient pas sûres la nuit et que les filles aux cheveux courts ressemblent aux garçons et pas l’inverse. J’ai toujours trouvé tout ça terriblement déconcertant et je me suis souvent dit que c’était plutôt les bites qu’il faudrait cacher, que c’était l’arme plutôt que la plaie qu’il faudrait interdire. »
C’est cru, trash, immoral, iconoclaste et déconnotique à souhait. Bref on rigole à gorge déployée devant cet espèce de truc improbable et totalement déjanté.

Jewish cock de Katharina Volckmer, traduit par Pierre Demarty. 2021 chez Grasset. Au Livre de Poche pour 7,70 €

Texte © dominique cozette

La grève du sexe

Bon alors, moi ce bouquin d’Ovidie, La Chair est triste hélas m’a fait beaucoup rire, du moins la première partie. Le même rire goguenard qu’ont les hommes pour se moquer des femmes, même s’ils les aiment. Car tous les travers de nos chers mâles et ce que nous leur sacrifions pour leur plaire, parce qu’ils dominent tout, sont rassemblés de façon ironique et irrésistible. Qu’on est connes, faut dire. Si, si, j’insiste. Voici d’ailleurs la 4ème de couv : « J’ai repensé à ces innombrables rapports auxquels je m’étais forcée par politesse, pour ne pas froisser les ego fragiles. À toutes les fois où mon plaisir était optionnel, où je n’avais pas joui. À tous ces coïts où j’avais eu mal avant, pendant, après. Aux préparatifs douloureux à coups d’épilateur, aux pénétrations à rallonge, aux positions inconfortables, aux cystites du lendemain. À tous ces sacrifices pour rester cotée à l’argus sur le grand marché de la baisabilité. »

Bon, ceux et celles qui ne le savent pas, Ovidie a arrêté tout rapport sexuel depuis quatre ans (sauf avec elle-même) par lassitude. Marre d’être mal baisée (oui, on est toutes des mal baisées et ce n’est pas une insulte aux femmes, en fait) malgré tous les efforts qu’il faut faire pour leur faire plaisir. Comme sa copine obligée de faire une pipe à son mec TOUS les matins sinon il ne lui cause plus. On sait que c’est un système vénal où les femmes se vendent plus ou moins contre quelque chose, sécurité, valorisation, situation, etc, que les femmes ne baisent jamais gratuitement avec les hommes pour une simple raison : ils baisent mal. Ovidie est très drôle aussi sur le cunni car ils ne savent même pas où est le clito et s’activent vaillamment sur les poils. Plus loin : et tous ces mecs de gauche qui baisent comme des mecs de droite sans jamais politiser l’intime… Bon, tout ça quoi.
Puis la deuxième partie qui est plus une bio explicative, psy : elle voit d’ailleurs une psy et semble se justifier de certaines pensées par ce livre. Elle explique ce qu’elle voudrait pour améliorer les relations hétéro mais c’est impossible finit-elle pas conclure. Partie un peu moins inspirante, mais ça se lit vite. Comme c’est écrit car dit-elle dans l’avant-propos, ce n’est ni un essai, ni un manifeste, tout au plus un exutoire, un texte cathartique en écriture automatique. Un livre qui fera rire toutes les femmes et hurler leurs mecs. Enfin, je n’en sais rien…

La Chair est triste hélas par Ovidie, 2023 aux Editions Julliard, sous-édition fauteuse de trouble initiée par Vanessa Springora. 156 pages, 18 €.

Texte © dominique cozette

Un régal absolu

Je ne connaissais pas Bill Bryson, cet auteur d’une drôlerie totale que l’on range, du moins chez Joseph Gibert, au rayon des écrivains voyageurs. Car il nous raconte les us des coutumes des pays qu’il visite. En tout cas, c’est ce qu’il se passe dans American rigolos Chroniques d’un grand pays, commandées par un grand journal britannique à la fin du siècle dernier. L’auteur vient de passer vingt ans en Grande Bretagne, il est marié à une Anglaise et ils ont quatre enfants. Et puis ils sont revenus s’installer dans son pays, les Etats-Unis, en Nouvelle Angleterre, au nord-est du pays, région très froide l’hiver, sauvage et belle.
Ce livre réunit 75 chroniques irrésistibles sur la vie, les mœurs de ses compatriotes qui, après cette longue absence, le déroutent totalement.
Tout y est abordé, les chroniques font cinq pages, ça se lit, se laisse, se reprend. Mais non, je n’ai pas pu le laisser tellement c’est drôle, étouffant mes fous rires dans le lit pour ne pas réveiller mon homme. Il a un tel talent pour scanner et commenter tout ce qu’il trouve, de la bouffe merdique américaine que son atavisme réclame à la peine de mort qui coûte plus qu’une blinde à la société. L’administration idiote, les supermarchés et leurs millions de produits, son abominable coiffeur, sa propre femme qui réclame des choses insensées … pour un Américain. La censure et le politiquement correct en prennent pour leur grade (définition du puritanisme par M. L. Mencken : « la crainte perpétuelle que quelqu’un, quelque part, puisse être heureux »). Sur le PNB, mode de calcul idiot fondé sur les dépenses des états, « le héros national de la nation américaine est un cancéreux en phase terminale empêtré dans un coûteux divorce ».
Puis sur la manie de vouloir tout ce qui rend la vie la plus confortable possible, Bryson attire notre attention sur « un tourniquet automatique à cravates avec éclairage » pour 39,95 dollars, évitant la tâche exténuante de la choisir manuellement. Et tout à l’avenant : le mode d’emploi des ordinateurs, les pubs mensongères, les suppressions de service ou de personnel dans notre propre intérêt, la gentillesse conne des élans (il y en a beaucoup vers chez lui), la difficulté de connaître toutes les lois et règlements quand on passe d’un état à un autre. Et beaucoup de chiffres et statistiques nous apprenant des tas de choses. Avec un humour déconcertant.
Le fait qu’il ait écrit beaucoup de livres de ce genre me console d’avoir fini celui-ci grâce auquel je me réjouissait de me mettre au lit ou me réveillais plus tôt me donner la pêche.

American rigolos Chroniques d’un grand pays par Bill Bryson (Notes from a Big Country, 1998). Petite Bibliothèque Payot, 2003, traduit par Christiane et David Ellis. 380 Pages. 9,20€…

Texte © dominique cozette

Hey, toi, mec viril, tu nous coûtes un pognon de dingue

Lucile Peytavin est historienne, spécialiste du travail des femmes dans l’artisanat et le commerce. En 2016, elle rejoint le Laboratoire de l’égalité, où elle travaille sur la lutte contre la précarité des femmes. Le Coût de la virilité est son premier essai.
En France, les hommes sont responsables de l’écrasante majorité des comportements asociaux : ils représentent 84% des auteurs d’accidents de la route mortels, 92 % des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux personnes au collège, 90 % des personnes condamnées par la justice, 86 % des mis en cause pour meurtre, 97 % des auteurs de violences sexuelles, etc. La liste semble inépuisable.
Elle a surtout un coût. Un coût direct pour l’Etat, qui dépense chaque année des dizaines de milliards d’euros en services de police, judiciaires, médicaux et éducatifs pour y faire face. Et un coût indirect pour la société, qui doit répondre aux souffrances physiques et psychologiques des victimes, et subit des pertes de productivité et des destructions de biens. Pourtant, cette réalité est presque toujours passée sous silence.
Lucile Peytavin s’interroge sur les raisons de cette surreprésentation des hommes comme principaux auteurs des violences et des comportements à risque, et tente d’estimer les conséquences financières de l’ensemble de ces préjudices pour l’Etat et donc pour chaque citoyenne et citoyen. Quel est le coût, en France, en 2020, des conséquences de la virilité érigée en idéologie culturelle dominante ?
Il est impossible de résumer ce livre. Lucile Peytavin a fouillé toutes les sources possibles et fiables : 26 pages de notules pour les références et les sources. Et des calculs complexes pour séparer la part du viril dans les données.
On sait tous et toutes que l’éducation et la culture sont pour une grande part responsables de l’héroïsation de la virilité, dès la naissance de l’enfant. L’autrice cite des pays nordiques qui ont tenté de la déconstruire, à l’école par exemple, et ça n’a pas donné beaucoup de résultats. Un critique du Figaro rétorque à ce livre qu’il oublie l’apport de l’homme (pas le viril, hein, l’homme) pour le progrès versus la femme. Je réponds à ça qu’il n’a eu de cesse d’étouffer les divers talents des femmes, savantes et artistes, que l’on commence petit à petit à reconnaître.
En tout cas, ce petit livre (pas cher) est super intéressant et nous inciterait à agir différemment avec nos p’tits gars. Mais je me vois mal offrir une poupée en poussette à mon petit-fils.

Le coût de la virilité par Lucile Peytavin. 2021? Aujourd’hui au Livre de Poche. 162 pages, 7,70 €.

Quel est donc ton tourment ?

Ce drôle de titre est la traduction approximative du titre original « What are you going through » qui vient d’une question que posait souvent Simone Weil, la philosophe. Sigrid Nunez a fait un drôle de livre qui parle de tout et de rien, qui use de digressions comme pas possible, raconte des polars qu’elle lit parce qu’ils se trouvent dans une chambre airbnb, parle d’une conférence menée par son ex et de beaucoup d’autres choses qui retardent le moment où le problème de son amie se pose à elle. Ça peut plaire ou déplaire complètement, c’est juste bizarroïde, moi j’ai apprécié, comme si je lisais une revue intéressante.
Je laisse le pitch à Babelio qui le fera mieux que moi, désarmée :
« Une femme rend visite à une amie atteinte d’un cancer en phase terminale. Brillante, énergique mais terriblement seule, cette amie lui formule une demande capitale : l’accompagner en vacances, durant lesquelles, un jour, sans prévenir, elle prendra une pilule mortelle pour mettre librement fin à sa vie. La femme accepte ; s’ensuit l’histoire extraordinaire – profonde, surprenante et drôle – d’une amitié de toute une vie confrontée au défi ultime : l’accompagnement jusqu’aux portes de la mort.
Quels mots utiliser, formuler pour être à la hauteur de l’événement ? Que dire de ces souvenirs qui composent une vie ? Petit à petit l’inhabituel et la gêne laissent place à l’empathie et à l’apaisement, laissant un immense champ de réflexion aux lecteurs sur ce que « faire ses adieux » signifie. Avec sagesse, humour et perspicacité, Sigrid Nunez revient avec un roman sur les relations humaines à l’ère moderne et leur nature ambivalente.
Quel est donc ton tourment ? nous offre un portrait bouleversant et provocateur de notre façon de vivre aujourd’hui. »

Quel est donc ton tourment, par Sigrid Nunez. (What are you going through ? 2020) 2023 aux Editions Stock. Traduit par Mathilde Bach. 256 pages, 20,90 €

Texte © dominique cozette & Babelio

le choix, quand on l’a.

Isabelle Hanne, journaliste a vécu cinq ans aux Etats-Unis. On s’en rend compte tant les informations de son roman sont précises et sincères. Dans ce premier roman, le choix, elle campe plusieurs personnages qui s’affrontent autour du thème de l’avortement. Nous sommes bien sûr au Texas, patrie des ultra-cons (servateurs) autour d’une clinique où des médecins ne font que leur métier dont avorter des femmes qui n’ont pas choisi d’avoir un bébé. Les pro-choice. Le délai est très court, six semaines, et la religion est hyper présente et stressante. Du côté des pro-life, la violence monte. Ils balancent des enregistrements de battements de cœurs de fœtus, ils harcèlent, ils abordent les femmes dès qu’elles sortent de leur voiture. C’est une bataille de tous les instants. Dans un camp comme dans l’autre.
Nous suivons avec compassion la mésaventure de Marta qui a déjà élevé un gamin seul et refuse de garder celui-ci. D’ailleurs, il n’y a pas de père. Mais lorsqu’elle débarque sur le parking de la clinique, le leader des pro-life, Mark, la reconnaît, il est fou amoureux d’elle et tentera de l’empêcher de détruire la petite vie en elle. Il y a aussi une très jeune fille, Leah, shootée puis violée lors d’une soirée. C’est la fille d’un puissant politique pro-life, ce qui rend l’affaire très difficile. Et le médecin, un homme de devoir très courageux car souvent menacé, et, ironie du sort, qui ne peut pas avoir d’enfants avec sa femme.
Les arguments des ultra-cathos volent bas mais sont omniprésents dans la culture de cet état et on ne peux s’empêcher de penser à ce gros nase de Trump qui a placé ses équipes (à vie) à la Cour Suprême qui est devenue l’organe le plus réac de l’Administration (d’ailleurs, entendu ce matin aux infos que ces gens font tout pour interdire la pilule du lendemain dans le pays tout entier. Ça promet).
Donc, les filles et les femmes qui ne s’y sont pas prises à temps n’auront qu’une solution : aller dans l’état voisin, dans une rare clinique qui accepte cette intervention.
Et puis un beau jour, endoctrinés par leurs préceptes religieux mal interprétés, deux jumeaux pro-life très actifs dans le groupe, vont finir par s’armer pour régler le problème.
Livre passionnant, tendu, caillant, on redoute que ce mouvement s’étende quand on voit comment les droites prennent le pouvoir un peu partout dans le monde. Seul défaut que je déplore : pourquoi l’autrice parsème-t-elle toutes ses pages de mots et expressions en anglais, ça ne se justifie en rien et, pour qui le pratique mal, ça peut même être gênant car rien n’est traduit. Et c’est dans toutes les pages… Bon, on s’habitue.

Le Choix, par Isabelle Hanne, 2022 aux éditions Goutte d’Or. 350 pages, 19,50€.

Texte © dominique cozette

Fille en colère sur un banc de pierre

Une merveille, ce livre ! Fille en colère sur un banc de pierre est une dégustation de toutes les pages. Ce qui est drôle, c’est qu’elle, l’autrice, Véronique Ovaldé, intervient dans le récit sans y être invitée car elle n’est ni une héroïne, ni la narratrice. Donc un style très original, vivant, libre et superbement poétique. Et puis ce n’est peut-être pas essentiel, mais la qualité du papier d’un blanc cassé très chic, sa texture, sa finesse juste comme il faut pour éviter les transparences, plus la typo d’une beauté classique, rendent la lecture encore plus agréable.
Ça commence par la fugue de deux fillettes, la plus jeune de six ans s’étant collée à sa sœurette de huit ans, la nuit, pour le dernier jour de la foire annuelle du petit village où leur père n’a jamais voulu les emmener. Toute l’île y va, c’est la fiesta incontournable, mais pas elles, les quatre filles, dont les deux autres, les aînées, ne sont pas de la partie. Description des fillettes qui ont toutes deux ans d’écart et portent un nom d’opéra, Aïda, Violetta, Gilda et … Mimi pour la petite dernière.
Le père est un rude bonhomme qui aurait dû faire le tour du monde et l’a commencé dans cette minuscule île au large de Palerme où il a trouvé du boulot au château de la comtesse. Puis celle qui allait devenir sa femme et la mère des filles, ce qui fait qu’il n’a plus bougé de là. Il est colérique, taciturne et fou d’opéra. Ne surtout jamais le contrarier ou lui désobéir.
Alors la vie de cette famille aurait pu suivre son cours tranquillement s’il ne s’était produit un drame : Mimi, la petite chérie de son papa, a disparu. Ce fameux soir où elle a lâché la main de sa sœur qui lui avait demandé de se retrouver à tel endroit si elles se séparaient. Hélas. Malgré les recherches, l’île est petite, on n’a rien retrouvé de la petite Mimi, pas une seule trace. Et sa maman est persuadée qu’elle reviendra un jour, c’est pourquoi elle n’est pas triste.
En attendant, dès le premier chapitre, on sait que la sœur fugueuse a été bannie de la famille qu’elle n’a pas revue depuis quinze ans et qu’elle vit à Palerme. Et que le père, le « vieux » comme on l’appelle, vient de mourir, et qu’à l’occasion de ses funérailles, il serait bon qu’elle revienne ne serait-ce que pour toucher sa part du petit héritage.
Le dénouement de l’histoire est une sacrée surprise, une fin tellement inattendue.
Une brève citation pour le plaisir : « Gilda est du genre à faire la modeste ( vous apprendrez à la connaître), du genre à dire qu’elle prendra la part de tarte qui restera quand tout le monde se sera servi, parce qu’elle sait que personne n’osera prendre la plus grosse et que, dans le plat, il n’y aura plus que celle -ci (surdimensionnée, dégoulinante de sirop et de fruits). »

Fille en colère sur un banc de pierre de Véronique Ovaldé, 2023 aux Editions Flammarion, 306 pages, 21 €

Texte © dominique cozette

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