Amour pas mort

Reste est le dernier livre d’Adeline Dieudonné qui m’avait déjà scotchée avec La Vraie vie, roman terrible. Celui-ci ne l’est pas moins. Je dirais même plus. L’histoire est simple : l’amant (marié) d’une femme de quarante ans meurt noyé dans le lac qui borde leur chalet d’amour. Ils étaient là pour deux ou trois jours, sous la protection d’un ami qui leur filait les clés. Elle ne veut pas y croire. Elle le ramène au chalet, l’étend sur le lit et se love contre lui. Elle le caresse, tente de le réchauffer. Et ne peut pas se décider à prévenir qui que ce soit car on lui enlèvera son amour, on le mettra dans un endroit clos, froid et elle ne supporte pas cette idée. Alors elle va continuer à vivre encore avec lui.
Elle sait que sa femme, ne le voyant pas revenir, va s’inquiéter, ce qui lui fera perdre la partie. Alors elle le porte comme elle peut dans sa voiture, l’allonge sur la banquette et l’emmène elle ne sait pas où. Vers le barrage où elle fait quelques rencontres.
Et bien sûr, le corps finit par sentir, se couvrir de taches, cela ne la rebute pas. D’autres obstacles, et non des moindres, vont se mettre en travers de la route mais toujours, elle va continuer à assumer le vol du corps et à l’adorer.
Ce livre, c’est une lettre, un récit destiné à la femme de son amant, qu’elle ne connaît pas mais dit aimer, se déculpabilisant de le lui emprunter parfois car elle ne lui enlève rien.
Ainsi, on fait connaissance avec elle, son environnement, son ex-mari, leur fille, son boulot, ce qui fait d’elle ce qu’elle est : cultivée, raisonnable, solide et équilibrée. L’inverse de ce qu’elle nous montre. Une sorte de monstre. Elle en est consciente, bien sûr. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est une belle cérémonie dans la nature, ou au bord du lac, le corps de son amour serait dans une barque en feu que l’on pousserait au large. Elle rêve, elle est folle d’amour, et bizarrement, ne ressent pas la douleur de la perte. Un drôle d’amour, une drôle de nana qu’on lit avec un certain ravissement. (Qui n’est pas sans me faire penser à ce beau film dérangeant, Lune Froide de Patrick Bouchitey et son sujet tabou de l’amour avec une morte, d’après Bukowski).

Reste d’Adeline Dieudonné, 2023 aux éditions l’Iconoclaste. 284 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

La vraie vie, aïe aïe aïe, quel livre !

Si je dis aïe aïe aïe à la vraie vie d’Adeline Dieudonné, c’est parce que ce livre formidable est terrifiant. Mais ça démarre assez tard. D’abord, tout se passe moyennement bien dans ce petit pavillon merdeux de ce petit lotissement merdeux à part la violence du père qui tape régulièrement la mère, une « amibe », selon la narratrice, fillette de dix à treize ans qui se réfugie dans l’amour énorme qu’elle éprouve pour son petit frangin, petit être adorable. Jusqu’à ce qu’un terrible accident se produisent sous leurs yeux. Peu à peu, le cerveau du petit gars va se remplir de saletés, il va dériver dans d’odieuses activités. Pour que tout redevienne normal, elle décide de se consacrer à la remontée du temps, à comprendre comment on peut construire une deLorean puisque, techniquement, c’est possible. Son atout : elle est très intelligente et férue de physique, quantique ou non, et autres sciences compliquées. Pour prendre des cours particuliers avec une « tête », elle fait du baby-sitting et tombe en amour avec le papa. Son petit frère continue à très mal se comporter, son père est de plus en plus violent et sa mère toujours aussi peu intéressante.
Puis lorsqu’elle atteint sa puberté, son père semble la voir. De même qu’il a pactisé avec son fils en l’amenant au tir et à la chasse, il prévoit que sa fille fera partie d’une sorte de partie de survie nocturne, en pleine forêt, avec chacun ses armes pour se défendre. Sauf qu’elle n’est pas dans la catégorie de ceux qui chassent.
Livre très âpre, dur, palpitant, terrible. Sur la quatrième de couv, il est écrit « d’une plume drôle et fulgurante… ». Drôle ? Je n’ai rien senti de tel. Ce qui n’enlève rien aux qualités de ce premier roman d’une jeune Belge prometteuse.
Pour en savoir plus, son intervention dans la Grande Librairie ici.

La vraie vie par Adeline Dieudonné aux éditions L’iconoclaste. 268 pages. 17 €.

Texte © dominique cozette

 

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