Je me suis dit comme ça : ils ne se sont pas foulés, les éditeurs, pour le titre. Mais comme je me suis trompée ! Jewish cock, qui veut dire approximativement la bite juive, soit le sgueg circoncis, est le titre EN français, mes ami.es. Le titre originel du livre de Katharina Volckmer est The Appointment qui signifie, si je ne Mabuse docteur, le rencart. Ne nous arrêtons pas à ce détail mais c’est sûr que Jewish cock, ça respire plus la rigolade coquine, d’autant que dans une de mes librairies préférées était apposé un petit mot qui disait « lu d’une traite ».
J’aurais dû me méfier. Je lis le soir au lit et quand je sens mes petites paupières s’abaisser, je me dis comme ça je vais aller jusqu’à la fin du paragraphe. Or, de paragraphe, point. Bon, alors jusqu’à la fin du chapitre. Mais ohhhh ! Pas de chapitre. Ce livre est un monologue, le monologue d’une nana logorrhéique, une sorte de monologue de son vagin, ce mot étant cité dix fois par page ce qui est normal puisqu’elle est dans le cabinet du docteur Seligman qui, la tête entre ses cuisses durant toute cette histoire, farfouille dans son organe qu’il va transformer en bite. Mot cité très souvent aussi car elle ne désire qu’une chose : en avoir une et devenir enfin ce qu’elle pense qu’elle doit être : un Juif. Circoncis tant qu’à faire.
Elle nous dit tout sur elle : issue de parents plus ou moins nazis, grosse mère beurk beurk à laquelle elle ne voudra jamais ressembler, père je ne sais plus, elle fuit l’Allemagne et toute cette horreur pour s’installer à Londres. Mais elle ne pourra pas échapper à l’héritage d’un grand-père Heil H. donc retour chez les siens.
Un beau jour, peut-être moche je ne sais pas, elle attaque un collègue à l’agrafeuse. Elle est virée et sommée de se faire soigner. D’où la rencontre avec un psy tragiquement médiocre. Sinon, elle a une sorte de compagnon, K., un type rencontré dans les WC où elle pissait aussi, marié, spécial, pleurnichard, caniphobe et maniaque. Elle rêve de connaître monsieur Shimada, un Japonais créateur de sextoys sur mesure. Elle conchie la religion « Dieu devait avoir un pénis de la taille d’une cigarette » et évoque maintes fois la masturbation. Et parle d’ailleurs de tout.
Une citation pour vous donner le ton : « Mon incapacité à m’asseoir correctement parce que je n’ai jamais compris pourquoi il y avait deux façons de s’asseoir selon qu’on avait une bite ou pas. Et je m’emmêlais tout le temps les pinceaux, parce que la logique de la chose m’échappait complètement dans la mesure où une fille a de fait moins à cacher qu’un homme, mais ça c’était avant que je comprenne qu’une bite est une sorte d’épée, un objet de fierté et de comparaison, tandis qu’un vagin est quelque chose de faible, quelque chose qui n’engage pas à la confiance. Quelque chose qui sera toujours un objet de baise, qui peut être violé et inséminé, qui peut couvrir de honte un foyer et une famille. Quelque chose qui a besoin d’être protégé sans que personne ne remette jamais en cause ce besoin de protection, ne se demande comment il se fait que les rues ne soient pas sûres la nuit et que les filles aux cheveux courts ressemblent aux garçons et pas l’inverse. J’ai toujours trouvé tout ça terriblement déconcertant et je me suis souvent dit que c’était plutôt les bites qu’il faudrait cacher, que c’était l’arme plutôt que la plaie qu’il faudrait interdire. »
C’est cru, trash, immoral, iconoclaste et déconnotique à souhait. Bref on rigole à gorge déployée devant cet espèce de truc improbable et totalement déjanté.
Jewish cock de Katharina Volckmer, traduit par Pierre Demarty. 2021 chez Grasset. Au Livre de Poche pour 7,70 €
Texte © dominique cozette