
Filumena est une vieille Corse qui vit dans un tout petit village en bord de mer, et que ses pieds font souffrir au-delà de tout, mais qui doit sortir de chez elle pour aller chercher ses chères cigarettes et ses chers mots croisés.
Le bureau de tabac est situé à trois cents mètres de son immeuble, entre le bar Antoine et la boulangerie Antoine, tout près de l`épicerie Antoine. C’est-à-dire au bout de l’enfer.
Filumena attend midi, l’heure où toutes ces dames sont affairées en cuisine, les courses dans le frigidaire et les couronnes bleues allumées sous les cocottes. Elle est sauvage, ne veut croiser personne, préfère vivre avec tous les gens dans sa tête, qui sont morts pour la plupart.
Au long de cette traversée, elle en croise pourtant quelques-uns et en profite pour nous faire part de tout ce qu’elle en pense, d’untel et d’unetelle. Et de tout ce qu’elle a vécu.
L’écriture de cette histoire est exceptionnelle, d’une poésie irrésistible qui fait chanter cette petite vie de peu et son décor. Joël Bastard, l’auteur, je ne sais pas s’il est corse mais il en parle si bien qu’on s’y croit. Odeurs, parfums, personnages, animaux, on passe avec lui quelques heures d’heureux moments, de vacances foisonnant de sensations.
Filumena se souvient avec émotion de son mari mort trop tôt avec qui elle a habité Versailles où il était gardien (ou jardinier, je ne sais plus), puis de son travail dans une usine à Marseille, de la renaissance d’un bref amour qui l’a conduite quelques jours à Paris près du parc de Belleville. Mais surtout de son alter ego, sa grande amie décédée aujourd’hui avec qui elle partageait tout, même de loin car celle-ci est partie faire ses études à Corte alors que notre héroïne, aînée de dix enfants, a abandonné l’école très tôt pour les élever, les torcher etc…
C’est un livre impressionniste sensible comme les tableaux du même nom, c’est une vraie friandise pour l’esprit. Magnifique.
Filumena de Joël Bastard, 2024 chez Belfond. 206 pages, 20€
Texte © dominique cozette