Les sources

Le nouveau roman de Marie-Hélène Lafon, les Sources, a pour thème les violences conjugales. Cest un tout petit roman âpre et sec qui conte le mariage raté d’une femme dans les années 60, dans un trou du Cantal, avec un voisin, un homme pas si mal. Mais il se révèle très brutal au fil du récit, elle en prend pour son grade. Et puis, il lui fait gosse sur gosse, ses trois petits lui bouffent le temps, elle n’est pas toujours prête quand ils doivent partir déjeuner chez les parents le dimanche, et la rouste n’est pas loin. Les enfants se tiennent aussi à carreau car le père fait peur. Pourtant ce n’est pas un homme qui boit. Il s’est mis à détester sa femme quand elle a commencé à grossir, trois grossesses coup sur coup avec trois césariennes, ça n’aide pas à rester jeune et belle. C’est un homme qui fait bien le boulot et qui s’acquitte au mieux des tâches professionnelles, paysan et producteur de fromage, et plus tard, des pensions des enfants. Et il en est fier ou plutôt, il se lui viendrait pas à l’esprit de ne pas faire son devoir.
Mais il n’a pas d’état d’âme concernant sa famille. Il agit comme il le sent, point barre. Dans ces années-là, de toute façon, il n’était pas tellement question d’étaler ses histoires conjugales. Ça restait à la maison.
C’est dans la seconde partie du livre qu’on entend la voix de cet homme qui se pense honnête et ne regrette jamais ce qu’il fait. C’est un dur à l’ouvrage, un dur à cuire, un dur du cœur.
Les Sources n’est pas un livre psychologique, tout est factuel, à l’os comme on dit, et pourtant, on voit bien les choses, les gens, la ferme. Sec et concis, rugueux, sans aucun sentimentalisme.

Les Sources de Marie-Hélène Lafon, 2023 aux Editions Buchet Chastel. 120 pages, 16,50 €

Texte © dominique cozette

Oui, oui, oui ! pour Nein,nein,nein !

Complètement déjanté comme s’il écrivait sous acide avec un cerveau d’une souplesse tortueuse incroyable m’apparaît Jerry Stahl que je découvre à l’occasion de Nein, nein nein, sous-titré la dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar. Il ne se drogue plus car son foie est cartonné, fichu, bon à jeter vu qu’il a chopé l’hépatique C au bout d’une piquouze de saleté de shoot, il ne boit plus et suit une hygiène alimentaire exemplaire pour ne pas mourir. Donc végétarien. Il a écrit des livres, des films, a été marié plusieurs fois, et souffre de dépression chronique. C’est pour cette dernière raison qu’il décide de se rendre dans un voyage organisé autour des camps de concentration autrichiens et allemands en autocar. Drôle d’idée pour un asocial comme lui, mais après tout, il est juif (ils sont deux seulement dans le car ) et veut voir de près la tragédie de son peuple élu (ironique, ici).
Pour que vous ayez une idée du style de l’auteur, voici un extrait : Comme chez nombre de femmes quadra ou quinquagénaires que j’ai vues en Pologne, je constate chez les sœurs une ressemblance inquiétante avec Charles Bronson. (Etrangement, j’ai croisé pas mal de jeunes hommes qui pourraient servir de doublure joues à Mélania, bien que, contrairement à Bronson, qui était à moitié polonais, Mme Trump soit 100% slovène). Passé un certain âge, d’après mes observations empiriques menées depuis le trottoir, les Polaks des deux sexes subissent une transition pour se muer en Santa Klaus Kinski. Il y en a des centaines que je pourrais citer car c’est sa façon d’écrire, il n’arrête pas.
Sauf quand il se trouve dans les camps. Là, il devient grave, enfin il essaie mais ne peut éviter les quelques cons qui font leurs malins en disant des inepties. Dur. Ou en s’empiffrant de junk food aux cafeterias ou restos à l’intérieur des camps, comme si on était chez Disney. Et c’est carrément gerbant.
La fête de la bière à Münich, un cauchemar car il est au régime sec parmi les atroces odeurs des buveurs et de leur vomi, des mecs ivres… N’empêche qu’il nous en apprend pas mal en discutant avec Schlomo, son « copain » de car qui porte son pantalon sous les tétons (cf Chirac) avec qui il a des discussions sur pas mal de sujets, politique, religieux. Ils sont très au fait tous les deux de la questions juive et de ses extensions.
Evidemment, le ton change au fur et à mesure de ses haltes, de l’énumération des exactions, des tortures et autres infamies infligées aux condamnés.
C’est un livre qui peut déranger, ça dépend comment c’est pris. Mais je l’ai trouvé très brillant, hormis le fait que beaucoup de ses allusions à la culture américaine, entre autres, m’ont échappé.

Nein, nein nein, sous-titré la dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar, 2023 pour la traduction française de Morgane Saysana, aux éditions Rivages. 352 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Trois sœurs en quête de justice

Trois sœurs est un récit fait par Laura Poggioli qu’on est en droit de penser véridique, malgré le terme de roman sur la couv. Il se joue à Moscou où la police découvre trois jeunes filles près du corps sanglant de leur père. Les trois filles, de belles brunettes qui n’ont même pas un an d’écart, viennent de tuer celui qui a pourri toute leur vie, celle de leur frère et celle de leur mère. Celle-ci a rencontré son bourreau à l’âge de 17 ans, lui en avait plus. Elle venait de sa cambrousse, ne savait rien faire, il l’a prise en commençant par la violer, l’a épousée et lui a fait quatre enfants dans la foulée. Lui, c’est un ogre, un homme d’une violence inouïe qui fait peur à tous, qui boit mais qui s’occupe de la messe et de l’église tous les dimanches. C’est pour ça qu’il est bien vu de beaucoup de monde.
Laura Poggioli, l’autrice, est une amoureuse de la Russie, elle s’y sent chez elle, y a beaucoup vécue et y a même rencontré son grand amour, un étudiant comme elle, beau, éduqué, cultivé. Mais qui, très vite, a dérapé dans la violence, l’humiliant devant ses amis, la dévalorisant constamment, la battant. Pourquoi reste-t-elle avec lui, alors ? Parce qu’elle a peut-être des restes de maltraitance d’un prof durant son adolescence, ou parce qu’elle croit qu’il va redevenir gentil… C’est peut-être cela qui l’a conduite à s’intéresser au sort des trois jeunes filles.
Donc un père qui a d’abord violenté sa femme, puis durant la période conjugale, se défoulant sur elle comme il l’a fait aussi sur ses enfants qui ne pouvaient plus sortir à cause des marques. Il qui a chassé la mère et s’est rabattu sur ses filles, des coups, des coups, de la peur, toujours, et puis les viols. Et la suppression de l’école. Les filles ont tout fait pour attirer l’attention sur leur maltraitance mais aucune des institutions concernées, scolaires, policières ou sociales, ne s’en sont émues.
Il se trouve qu’en Russie, et c’est là où le livre est très intéressant, les violences domestiques ne doivent absolument pas sortir de la maison. Cela ne regarde personne hors les protagonistes. Le proverbe qu’on renvoie aux plaignantes est « s’il te bat, c’est qu’il t’aime ». C’est pour cela que les sœurs n’ont pas trouvé d’aide lors du vivant de leur père, c’est pourquoi elles sont considérées comme des meurtrières par beaucoup car la légitime défense n’existe pas. De plus, une loi contre la dépénalisation des violences domestiques a été votée en 2017, un an avant les faits. #Metoo n’a pas trouvé place en Russie car l’explosion des mouvements féministes est, pour les Russes, synonyme de décadence.
Leur sort n’est pas encore réglé mais elles se disent mieux en prison que chez elles avec leur père.

Trois sœurs de Laura Poggioli, 2022, aux Editions l’Iconoclaste. 260 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Sauras-tu ne pas t’énerver en lisant cette BD ?

Mediator, un crime chimiquement pur est toute l’histoire de ce médicament, un coupe-faim, et de ses dérivés (et dérives) qui font la fortune du laboratoire Servier et continuent à semer la mort auprès de milliers de victimes qui voulaient juste perdre quelques kilos. Qui en ont rendu d’autres gravement handicapés, ou tellement souffrantes qu’elles ont été poussées au suicide.
La lanceuse d’alerte, Irène Frachon, n’est pas la première a avoir soupçonné le rôle mortifère de la molécule mais ceux d’avant elle ont eu moins de colère, moins d’endurance qu’elle pour oser se battre contre un aussi grand magnat du médicament pour lequel les portes du pouvoir s’ouvraient sans problème. Servier, certes, est mort, mais ses cadres ont perpétué son « œuvre » en s’opposant à ses détracteurs par tous les moyens (chantage, fric, mensonges, armadas d’avocats, appui des puissants — c’est le cabinet de Sarkozy qui a commencé à le défendre, et plus tard, alors que l’affaire était en cours, c’est encore Sarkozy qui lui a remis la plus haute distinction de la république, la Grande Croix de la Légion d’Honneur).
Les auteurs de cette BD sont Irène Frachon, Eric Giacometti et François Duprat. Ce n’est pas toujours simple à lire car il y a des embrouilles très techniques créées par le labo pour empêcher la molécule d’être interdite en France, alors qu’elle l’a été très tôt dans la plupart des pays. Ils ont aussi procédé à des transformations, changement de noms, masquage de la présence  de la tueuse. Et ce livre illustre clairement le fait que la justice, les pouvoirs publiques et les institutions médicales ont fermé les yeux si longtemps en toute connaissance de cause.
Ça va vous énerver de constater à quel point on peut nous rouler dans la farine quand on est riche, puissant et qu’on a des amis dans tous les ministères. Une partie du  scandale est que Servier a roulé la Sécu en lui faisant rembourser le poison, que l’agence du médicament a fermé les yeux, a donc été complice, que le labo et son armada d’avocats, journalistes médicaux ou médecins véreux, ont tout fait pour « gagner du temps », d’infernales années pour les victimes qui continuaient à tomber.
Les procès intentés contre le laboratoire ont tous été gagnés, mais de façon minimaliste, les indemnisations comme les peines et amendes infligées sont dérisoires et surtout, tous les accusés ont été relaxés. Pire :   le délit d’escroquerie a été carrément oblitéré.
Tout cela est très énervant, l’indépendance de la médecine est mise à mal et après on s’étonne que beaucoup doutent de sa probité et refusent les vaccins. Devant un tel scandale, le plus grand avec celui du sang contaminé, comment rester de marbre. Il y a encore bien d’autres mesures très énervantes qui ont été prises en faveur du gros labo (un beau cadeau fiscal au labo pour qu’il puisse construire une nouvelle usine à poison…)
Cette affaire n’est pas finie puisque que le procès en appel doit se tenir prochainement. On en espère beaucoup.
Lisez ce livre dont je parle très mal, allez voir les interviews d’Irène Frachon, toujours aussi déterminée à ne rien lâcher. Une femme formidable.

NB : un film avait déjà été réalisé sur cette affaire, La Fille de Brest par Emmanuelle Bercot.

Mediator, un crime chimiquement pur BD par Irène Frachon, Eric Giacometti et François Duprat. 2023 aux Editions Delcourt. 200 pages, 23,95 €.

Texte © dominique cozette

Quelle histoire biscornue !

La réalité dépasse la fiction dans l’histoire et la généalogie de Maria Larrea dans son récit Les gens de Bilbao naissent où ils veulent. Au début, on a du mal à y croire, mais pourtant si, tout est vrai. Ça se passe à Bilbao, comme le dit le titre. Sa grand-mère paternelle est une prostituée obèse qui, enceinte d’un client et très pieuse, garde le bébé, un garçon, et confie son éducation aux Jésuites. Il est le père de la narratrice. Mais plus tard, ado, quand il va voir sa mère sur le trottoir, son monde s’écroule.
De l’autre côté, sa grand-mère maternelle ne veut surtout pas de cette petite fille qui s’est nichée en douce dans son ventre, elle accouche vite fait et va déposer la môme dans un couvent. La fillette est sage, travaille bien et surtout, elle est ravissante, bien que petite. Mais un jour, quand elle a dix ans, sa mère la reprend pour qu’elle s’occupe des petits qui sont nés entre temps, et puis qu’elle soulage les excès sexuels de son père, violent.
Chacun des deux vit sa vie de façon assez improbable vu leur passif mais lorsqu’ils se rencontrent, très jeunes, ils sont submergés par un coup de foudre réciproque. Ils fuiront le régime franquiste et s’installeront à Paris. Elle devient femme de ménage et lui, gardien du théâtre de la Michodière. Mais lui aussi est violent et il boit. Leur fille, la narratrice, quant à elle, se rend bien compte qu’il y a décalage entre sa vie et celle de ses amis de classes, des bourgeois en fait. Il lui faut se montrer à la hauteur, être soignée, polie. Elle est admise à la Fémis. Et là, elle rencontre Jodorowski, le réalisateur barré, fondu de tarot. Subjuguée, elle s’y met, rencontre une tireuse de cartes qui lui fait une double annonce qui va bouleverser sa vie. Dès lors, elle se met en quête du passé de ses ascendants, fait tout ce qui est possible pour connaître le secret de sa naissance.
C’est passionnant, cette histoire qui a existé et enflammé les faits divers ibériques. Bilbao devient l’endroit où elle sent qu’il s’est passé quelque chose de déterminant dans sa vie et celle d’autres personnes. Une histoire qui nous tient en haleine !

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Larrea. 2022 aux éditions Grasset. 224 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Un très grand amour

“Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais”. Ainsi commence ce petit livre, Lettre à D. Histoire d’un amour, écrit par un homme qui a aimé et aime encore sa femme qui souffre d’une maladie douloureuse. Il raconte leur histoire et surtout tout ce qu’elle lui a donné, voire sacrifié de façon totalement généreuse, pour qu’il poursuive sa carrière alors qu’elle en avait une plus belle devant elle.
Malgré ses échecs, elle l’a toujours soutenu, et tellement qu’il est parvenu au sommet de ses ambitions.
Mais il regrette. Il regrette énormément. Il regrette de l’avoir, dans un de ses livres, celui qui l’a lancé, de l’avoir plus ou moins humiliée en minimisant son importance, son amour et son rôle, en bon macho qu’il a été.  Il regrette parce qu’elle n’a pas été aimée de lui comme elle l’aurait mérité. Dans cette lettre, il analyse son comportement haïssable, essaie de se souvenir comment il a pu agir ainsi, à cette époque. Pour finir par sa déclaration incandescente. Très beau témoignage.
(J’apprends en faisant quelques recherches qu’ils se sont donné la mort ensemble un an plus tard.)

Lettre à D. Histoire d’un amour, par André Gorz. 2006. 80 pages, est en poche chez Folio,

Texte © dominique cozette

 

Un livre pour rire en ramant

Roman Fleuve est l’excellent titre du livre de Philibert Humm car l’épopée se passe sur un fleuve nommé la Seine. Effectivement, trois copains tendance bras cassés décident de la descendre jusqu’à la mer. C’est l’histoire vraie d’une aventure farfelue contée avec un style quelque peu erroné, je veux dire plein de rodomontades, d’expressions surannées, de passés simples et d’imparfaits de subjconctif servis parfois mal-t-à propos pour ajouter au côté saugrenu de l’affaire.
Acheté sur le Bon Coin (coin) par manque de moyens, voici un canot vieillot, peu avenant, qui aurait appartenu à Véronique Sanson selon le revendeur,  Slim Batteux, musicien que j’ai personnellement approché lors de séances de pub (et dont la femme était à l’agence et la fille portait un nom indien, ce n’est pas dans le livre). Il ne peut transporter que deux personnes mais ils sont trois, il faut dire que le troisième, sorte de grosse feignasse qui prétend souffrir du dos pour éviter toutes les corvées, est assez pénible comme ami et compagnon. Ils ont ajouté à l’embarcation une tringle à rideau comme mât et un rideau de douche comme voile. Ce n’est pas avec ça qu’ils vont battre des records. Sinon, ils sont deux à ramer à tour de rôle.
La descente, en rien comparable à Délivrance, quoique…, ne se passe pas sans heurts. Nos trois jeunes hommes vont devoir faire face à un naufrage avec perte de denrées, d’objets inutiles ou précieux, à des bivouacs dans des conditions pourries, vont faire des rencontres plutôt sympathique mais parfois proches de la garde à vue et surtout, vers la fin et malgré l’interdiction de naviguer sur leur coque de noix qu’ils ont appelée Bateau, cohabiter avec d’effroyables et énormes tankers.
Ce livre est très drôle mais aussi instructif car l’auteur nous y apprend des tas de choses historiques, géographiques, artistiques et autres, nous raconte des anecdotes à se plier, nous parle de Jerome K. Jerome forcément, du mascaret, cette fameuse vague tueuse qui déferlait sur la Seine, des vendeurs du Vieux Campeur, de son aversion pour les cygnes, d’Orphée, d’Icare… En bref, et bien au sec dans notre lit ou notre fauteuil, on ne s’ennuie jamais en lisant cette poilade que je vous recommande chaleureusement. Et ça ne rame pas, je vous assure.

Roman Fleuve de Philibert Humm, 2022 aux éditions Equateurs. 288 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

Monsieur Romain Gary passionnant

Monsieur Romain Gary, sous-titré Ecrivain réalisateur, 108 rue du Bac, Paris VIIe Babylone 32-93* est le deuxième tome de la trilogie de Kerwin Spire, spécialiste de l’écrivain qu’il suit à la trace pour nous donner une œuvre extraordinairement vivante. Je n’ai pas lu le premier mais vais me précipiter dessus car l’écriture et la relation des faits sont formidables, comme si on était une petite souris (le rêve de tout le monde) dans le bureau du général de Gaulle ou sur le plateau où il tourne son premier film d’après un de ses textes, avec Jean Seberg dans une scène érotique qui sera en partie censurée. Jean Seberg qu’il est en train de perdre…
Mais d’abord, il y a leur rencontre et le début de leur amour, secret, car ils sont tous deux mariés. La femme de Gary ne lâchera pas facilement le morceau mais avec beaucoup d’argent à la clé, elle finira par accepter que son mari devienne celui d’une autre.
Nous sommes en 1960, Gary revient de L.A où il était consul, situation à laquelle il va renoncer pour se consacrer à l’écriture, sa passion. Sans toutefois quitter les coulisses du pouvoir, passionné qu’il est par de Gaulle, dont il fut Compagnon de la Résistance, et Malraux. Seberg tourne beaucoup et beaucoup à l’étranger. Il voyage énormément pour la rejoindre, il est scotché par sa beauté.
On s’installe dans son bureau où il écrit, il écrit. Sa pièce de théâtre en laquelle il avait mis tous ses espoirs sera descendue en flèche par tous les critiques importants de Paris. Mais il continue à produire, des essais, des romans, c’est une figure de St Germain des Prés, il est admiré, il a eu le prix Goncourt quelques années avant avec Les Racines du ciel. On partagera aussi sa déception cinématographique et assistera à la prise de position de Jean pour la cause des Noirs qui fera d’elle une indésirable surveillée par le FBI et démolie par l’opinion publique.
« Kerwin Spire, pour rendre plus authentique son récit , s’est rendu à L.A pour mettre ses pas dans ceux de Gary, retrouver des témoins de cette époque (notamment son ancienne secrétaire Odette de Bénédétis qu’il courtisa mais celle-ci refusa de lui donner l’enfant qu’il sollicitait ), les lieux où il vécut : il a également consulté les Archives diplomatiques. Il en résulte une narration réaliste, originale, attachante, empreinte d’humour qui met en scène un homme généreux, un fin diplomate, un homme simple, disponible, mais brillant et plein d’aisance, qui révèle aussi un peu plus les tourments de cet homme facétieux, mystificateur, polymorphe dans ses identités . » (note piquée à Babelio).
Chaque chapitre nous réserve des surprises, un peu comme si on partageait son intimité, de Gaulle est drôle, les petits bouts de dialogues sont irrésistibles.Un livre extrêmement plaisant à déguster.
*Babylone 32-93 était son numéro de téléphone, pour les jeunes qui ne savent pas ce que signifie cette expression.

Monsieur Romain Gary, Ecrivain réalisateur, par Kerwin Spire, 2022 aux éditions Gallimard. 230 pages. 20,50 €

Texte © dominique cozette

La force des femmes et celle de Denis Mukwege

La force des femmes de Denis Mukwege (prononcer moukouégué) est le livre formidable d’un homme formidable. D’avance, je vous demande d’excuser la médiocrité de mon article qui tient au fait qu’il y a tellement de sujets, tellement de densité qu’il est très difficile d’en rendre compte. Mais je vous assure que ce livre est absolument essentiel si vous voulez en savoir plus sur l’état de la lutte contre les violences faites au femmes dans le monde entier, que ce grand  homme aborde en tentant de faire évoluer les lois et les mentalités.
Il consacre sa vie à la défense des femmes, à leur protection, à leur réparation, à leur réinsertion, c’est un profond féministe qui ne comprend pas comment des hommes peuvent infliger autant de cruauté aux femmes et aux fillettes, voire aussi aux toutes petites filles. Car la République Démocratique du Congo — qui porte très mal son nom — est l’état où le viol, comme arme de guerre, mais aussi civil, est championne, avec l’Inde.
Médecin, Mukwege s’est spécialisé dans la chirurgie gynécologique, après cinq ans d’études et de pratique en France et, malgré un poste enviable qu’on lui proposait, il a préféré retourner dans l’inconfort de son pays pour aider celles qui sont torturées sans aucune compassion. Les femmes, là-bas, ne sont pas considérées, elles peuvent mourir d’un accouchement difficile, qui s’en soucie. Même pas le mari. C’est pourquoi il a décidé de construire avec de pauvres moyens un hôpital dans un village où toutes celles qui sont blessées sont accueillies avec humanité et soignées.
Ce livre ne se limite pas aux soins et à son hôpital, il s’intéresse au sort des femmes du monde entier — un long chapitre décrit le peu de cas qu’on fait dans nos pays occidentaux des plaintes pour viol  — propose des solutions, est souvent convié à l’ONU, il y donne des conférences pour sensibiliser le monde entier au problème. Il a été couronné du prix Nobel de la Paix en 2018, ce qui a rendu sa parole plus audible.
Mais ce n’est pas tout. Mukwege veut comprendre aussi ce qu’il se passe dans la tête des tortionnaires et des hommes violents. Il consacre une bonne partie de son livre à l’étude du masculinisme, la part de l’éducation et des religions.
Il ne faut pas s’étonner que cet homme dérange. En premier dans son pays qui non seulement ne l’a jamais soutenu mais lui met des bâtons dans les roues. Par ailleurs,Trump et quelques autres dirigeants de pays totalitaires ne lui ont jamais donné leur voix pour faire avancer ses projets.
Il évoque largement aussi la non-reconnaissance des millions de femmes maltraitées, violées et tuées durant les guerres, alors qu’on s’apitoie facilement sur les grands blessés de guerre. Encore une profonde injustice.
Pour finir, ce médecin que certains pays s’arrachent, revient toujours dans son pays inconfortable car les femmes le réclament et qu’il ne peut les abandonner à leur sort. Il n’en tire rien, il ne peut pas sortit sans escorte vu qu’il a été menacé et agressé plusieurs fois. Ce livre a été achevé avant le recul du droit à l’IVG aux Etats-Unis et aussi aux crimes de guerre (viols…) perpétrés par les soldats de Poutine. On peut imaginer son découragement face au recul du respect que les hommes portent aux femmes.

La force des femmes par Denis Mukwege, 2021, traduit de l’anglais par Marie Chuvin et Laetitia Davaux. Aux éditions Gallimard. 400 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

L’enfance de Neal Cassady

C’est pas tout récent, bien sûr, mais je continue à m’intéresser à toute la mouvance de la Beat Generation comme d’une famille dans laquelle je me suis invitée. Parce qu’ils se connaissent tous, ils écrivent les uns et les unes, sur les autres, même leurs femmes et leurs amoureuses s’y sont mises, je m’y sens un peu comme chez moi. Enfin, dans l’écrit s’entend. Neal Cassasy a écrit Première Jeunesse peu après sa rencontre avec Kerouac et Ginsberg, qui est le premier tiers de sa biographie et sera publié en 1971, trois ans après sa mort misérable.
Une partie du livre trace sa généalogie, ses parents, grands-parents, avec précision, je me demande comment ils ont fait. Ensuite, c’est Neal qui prend sa plume et commence à se raconter à l’âge de trois ans, quand sa mère, surchargée d’enfants relous, se sépare de son deuxième mari alcoolo, père de Neal (il s’appelle Neal d’ailleurs) et lui file le gamin. Ça ne va pas être rose, il vit dans un univers de moins que rien, de cassos, d’alcoolos et de brutes mais il s’y fait, même quand il doit ramasser son père ivre mort pour le ramener dans l’espèce de foyer si l’on peut dire, où ils vivent. Son père a fait une formation de coiffure mais est incapable de bosser, sauf parfois le samedi, quand le salon pouilleux d’à côté est plein. Ce jour-là, il ne boit pas mais on imagine qu’il tremble donc je suppose qu’il ne tient pas les ciseaux.
Le gamin vit parmi ces abrutis des bas-fonds de Denver, néanmoins, il ira à l’école, et en sortant, passera son temps dans le cinoche puant et pourri du quartier. Il est sidéré par le film « le Comte de Monte Cristo  » à tel point qu’il empruntera le livre à la bibliothèque et deviendra un lecteur invétéré. Ce qui explique qu’il écrive avec un tel brio.
Il fait des phrases très longues et plutôt alambiquées et, à la fin de texte, sa veuve explique qu’il était dingue de Proust et qu’il s’entraîner à écrire comme lui. Etonnant.
Et puis un jour, le père sera déchu de la garde et c’est un des grands frères (premiers enfants de sa mère) qui prendra la relève, un type violent et cruel. Mais ils sont toujours à la marge.
Après ce texte ont été publiés des fragments de ses écritures qui confirment son talent d’observateur mais aussi son goût très prononcé pour les digressions, c’est assez drôle car il s’en aperçoit et tente d’y mettre un frein. Il écrit sans vergogne ses conquêtes féminines, ses abus de toutes sortes, ses innombrables vols de voiture. Un vraie curiosité pour qui aime ce personnage et ses amis. C’est mi-cocasse et mi-tragique mais très instructif sur cette période de la nouvelle conquête de l’ouest.

Première Jeunesse de Neal Cassady (The First Third), traduit par Gérard Guégan, après une préface du très important libraire-éditeur qu’était Lawrence Ferlinghetti. Edition 10/18. 310 pages. (Photo de la couv : Allen Ginsberg).

Texte © dominique cozette

 

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