Brigitte Fontaine décortiquée

Un sacré mouchard que Benoît Mouchart (oui, c’est peu facile) mais avant de se lancer dans cette monographie magistrale sur Brigitte Fontaine, la poétesse qu’il admire le plus, et il a des arguments, il a déjà participé à la réalisation de deux films sur elle, qu’il a rencontrée et qu’il fréquente assidument depuis vingt ans. Son gros livre à écriture serrée le prouve. Il y a décortiqué la carrière entière, pratiquement, de la chanteuse, musicienne, actrice, romancière, dramaturge, poétesse… et l’a fait commenter, œuvre par œuvre, par Brigitte Fontaine qui revient sur soixante ans d’une carrière riche, féconde, incroyable, éblouissante parfois mise à bas aussi. Et c’est passionnant pour qui aime cette artiste de voir retracé son chemin, de l’entendre parler de ses textes (chansons, poèmes, romans ou théâtre) dont de nombreux extraits sont cités ici, ce qui nous permet à nous béotiens (je parle pour moi qqui ne la connais qu’un peu), d’appréhender son esprit profond ou rigolo, violent ou soyeux, provoquant ou rond, révolté ou… non pas d’antonyme.
Brigitte Fontaine n’a peur de rien, elle se fout de son image, elle dit tout haut ce qu’elle ne pense jamais tout bas, elle écrit tout, sans arrêt, c’est de la lave qui sort de sa plume, de son cœur ou de son cerveau.
Elle a côtoyé un nombre impressionnant de musiciens, écrivains, chanteurs/euses, artistes de tout poil, tous éblouis par sa verdeur, sa modernité, sa force, son talent… n’en jetez plus. Beaucoup est dit aussi sur son époux, compositeur, compagnon, l’inénarrable Areski avec qui elle mène une barque parfois fracassée mais jamais submergée. Beaucoup des personnalités qui ont œuvré avec elle donnent aussi leur commentaire sur leur complicité.
Ce livre foisonne non pas d’anecdotes à la Voici mais de propos ou explications sur les multiples facettes de cette étonnante créatrice dont jaillissent éternellement les flots d’écrits : une trentaine d’œuvres écrites publiées, une dizaine de pièces de théâtre et un nombre effarant de disques, spectacles, émissions de radio à son actif. Oui, effarant.
Le travail de Benoît Mouchard n’est pas sans rappeler celui qui a contribué à écrire le fabuleux Gainsbook qui disséquait tout l’œuvre de Serge.
Au fait, celui sur Brigitte s’appelle tout simplement Brigitte Fontaine.

Brigitte Fontaine par Benoît Mouchart aux éditins Hoëbeke 2024. 416 pages,
27 €.

Texte © dominique cozette

La suite palpitante d’un roman palpitant

L’héroïne de Colm Toibin s’appelle Eilis Lacey, elle est irlandaise et vit dans un bled de l’île où tout se sait et où rien ne se passe. Dans son premier livre, Brooklin, écrit il y a vingt ans, Colm Toibin décide de l’envoyer faire sa vie à Brooklin, chaperonnée par un prêtre. Elle est comptable. Et là-bas, elle rencontre son mari au bal, Tony, plombier italien affublé d’une grande famille unie. Italienne quoi.
Vingt ans plus tard, le romancier nous raconte la suite dans Long Island. Tous les membres de la famille sont maintenant regroupés dans quatre maisons sur la même aire, les enfants y sont nés et y grandissent. Oui, la vie pourrait être sympa si un jour, un bonhomme n’était venu frapper à la maison de la belle-mère italienne en lui annonçant que Tony, le beau plomber, avait collé sa femme en cloque et que dès que le bébé sera né, il viendrait le déposer chez elle ou sa belle-fille, car lui n’en veut pas.
Eilis, quand elle apprend ça, fait savoir qu’il n’est absolument pas question que ce bébé entre dans la famille, elle ne le supportera, et s’y tient malgré la vague tolérance de la belle-mère pour qui de bébé est un nouveau petit-fils. Evidemment, une crise s’instaure dans le couple car Tony, lâchement, ne peut pas vraiment prendre position contre sa mère. Alors, comme la mère d’Eilis va fêter ses 80 ans, Eilis décide d’aller la voir en Irlande, ce n’est pas du luxe après vingt ans. Car alors, elle était revenue pour enterrer sa sœur adorée. Et elle avait rencontré le beau Bill. Mais pour Tony , elle s’était enfuie comme une voleuse pour retrouver Brooklin. Sans rien expliquer.
Son retour est évidemment le prétexte à ce que se rouvre la blessure du beau Bill, jamais refermée, qui vient de s’engager très discrètement avec Nancy, la vieille amie d’Eilis. Eilis n’est pas mise au courant, elle revoit Bill elle aussi en secret. Tout est fait pour qu’un drôle de méli-mélo amoureux se tricote entre les protagonistes.
C’est évidemment passionnant, belle écriture, fine analyse de ce qu’ils ont tous dans la caboche et toujours des faits inattendus qui vont faire basculer les choses, bref, on ne sait jamais où l’on va. Mais on y va avec un réel plaisir et on en redemande. On aimerait bien une suite, quand même, cher Colm !

Long Island de Colm Toibin, 2024, traduit pas Anna Gibson, aux éditions Grasset. 396 pages, 24 €.

Texte © dominique cozette

Le frère d’Edouard

L’effondrement est le dernier opus d’Edouard Louis confronté à la mort de son demi-frère, de même mère que lui, retrouvé un jour par terre, chez lui, terrassé par les abus de toutes sortes qu’il a pratiqués pour oublier qu’il était un raté et le serait toujours. Edouard Louis n’aime pas ce grand frère depuis longtemps, mais ce n’est pas réciproque. Le frère sans nom de cette histoire a toujours protégé Edouard, mal souvent, et a toujours admiré son opiniâtreté à faire des études puis sa réussite. Mais lui n’a pas su. Ses rêves étaient trop grands pour lui : il voulait briller, être célèbre. Il a quand même tenté de pratiquer des métiers qui l’auraient sorti de sa misère mentale : boucher, compagnon du devoir … Mais non seulement, il était moqué par sa famille mais surtout, il ratait. Alors forcément, il retombait dans l’alcool, le clope à outrance, la précarité.
Un homme a cru en lui mais là encore, ses retards, ses absences, ses addictions ont découragé ce chef d’entreprise qui lui a quand même offert un local pour y vivre, vous savez, les bureaux vitrés qu’il y a dans les garages. Treize mètres carrés, froid, puant l’huile de moteur puis bientôt la clope, les relents d’alcool, la mauvaise hygiène.
Contrairement à ses autres livres, Louis n’explique pas cette déchéance par un phénomène de classe mais par le rejet de ses parents et probablement la Blessure (dont il ignore tout mais qu’il subodore) qui l’a marqué à tout jamais. Pour appuyer ses tentatives d’analyse du frère, l’auteur s’est penché sur les études de psychanalystes renommés, d’où il présume de l’échec de la vie du personnage par son vécu familial.
Pour raconter ce frère qu’il n’a plus voulu voir durant des années, E. Louis a contacté ses proches notamment les femmes avec qui il a eu des histoires suivies. Oui, quand il buvait, il devenait très violent, raison pour laquelle elles l’ont fui. Mais la dernière femme parle au contraire de sa gentillesse, de sa tendresse, ce qui confère au personnage une mosaïque de sentiments.
Et puis on voit l’auteur dans sa famille, pour l’enterrement, chez la mère dans la Somme avec ses frères et sœurs et leurs dissensions, leurs réactions, leurs liens en fait.
Une sale histoire narrée qui commence ainsi : « Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. » Tout est dit, sauf que c’est encore mieux dit dans le livre.

L’effondrement par Edouard Louis, 2024 aux éditions du Seuil. 240 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Jacaranda

Après avoir fait un malheur avec Petit Pays, l’auteur-compositeur-interprète Gaël Faye nous régale avec Jacaranda, son deuxième roman tout aussi passionnant, couronné par le prix Renaudot.
Comme vous le savez peut-être, Gaël Faye est fils d’une Rwandaise et d’un Français, c’est un métis, ce qui a de l’importance dans ce livre où il est considéré comme un petit blanc lorsqu’il est au Rwanda. Difficile de s’intégrer. D’autant plus qu’il est né en France où sa mère s’est réfugiée en 1973, quand sévissaient déjà de sordides émeutes entre les différentes populations.
L’histoire commence lorsque Milan a douze ans, il est en sixième, il ne connaît rien de ses origines car sa mère n’en parle jamais, mais là, en 1994, le génocide explose dans tous les médias et le gamin, malgré toutes ses questions, n’aura aucune réponse concernant son pays d’origine, la vie de sa mère et même sa famille restée là-bas .
Arrive alors chez eux, sans qu’il y soit préparé, Claude, un gamin, il a le même âge mais est tout petit, il porte un gros pansement sur le crâne, il est effrayé et n’arrête pas de pleurer. Milan le prend sous son aile, il est trop heureux d’avoir comme un petit frère dont il faut s’occuper attentivement, d’autant plus qu’il ne parle que sa langue. Mais un autre jour, toujours sans qu’on l’ait prévenu, Claude n’est plus là. La mère dit qu’il a dû rentrer au pays pour être auprès de sa famille. Sans autre explication. Milan est dévasté.
Puis les parents divorcent. Milan a alors seize ans et sa mère a décidé d’aller enfin au Rwanda avec lui visiter sa famille (dont elle se garde bien de parler). Sur place, Milan revoit Claude qui est devenu jeune homme, plutôt bien dans sa peau et qui parle français. Comme la mère est partie voir sa grand-mère et son arrière grand-mère pendant toutes les vacances, Milan vit assez librement avec trois lascars qui boivent de la bière, stockent des disques et des livres au « Palais », endroit où l’un d’eux, Sartre, recueillait les orphelins. Ce lieu est toujours très vivant, plein de jeunes qui aiment faire la fête et s’enivrer. Milan commence a tisser des liens forts avec toutes ses rencontres et la tante chez qui il dort. Elle vient d’avoir un bébé, une petite fille qui aura de l’importance dans sa vie.
L’histoire nous entraîne dans la suite de la vie de Milan qui devient un homme. On commence à apprendre en même temps que lui l’histoire du pays colonisé, la cause des massacres, et la difficulté de vivre pour ses habitants, tueurs, victimes ou rescapés, condamnés à se réconcilier dans une paix de façade. Quatre générations joueront un rôle dans la construction mentale de la mythologie de notre héros.
Dès de début on s’attache aux personnages, sauf à la mère qui reste fermée pratiquement jusqu’au bout. On se réjouit des liens entre Milan et les jeunes Rwandais mais on se remémore forcément la terrible cruauté des tueries passées.
Au fait, le jacaranda est un arbre puissant, flamboyant, qui tient une belle place dans cette histoire.

Jacaranda de Gaël Faye, 2024, aux éditions Grasset, 228 pages, 20,90 €

Texte © dominique cozette

L’Amérique de Douglas Kennedy

En quatrième de couverture, le dernier livre de Douglas Kennedy, Ailleurs chez moi, est présenté ainsi (extrait) : Lors d’un salon littéraire en France, alors qu’il déjeune avec quelques écrivains locaux, Douglas Kennedy est apostrophé par l’une des convives qui lui lance qu’elle le trouve  » plutôt raffiné pour un Américain « .
Piqué au vif par ce qui n’était en somme qu’une flatterie maladroite, Douglas s’interroge : être américain, c’est quoi ?
Le début d’une quête sincère à la poursuite du grand mystère de l’âme américaine. Du New York d’après-guerre à une petite ville texane trumpiste, de souvenirs d’enfance en réflexions politiques, d’anecdotes hilarantes en citations littéraires, de notes de jazz en films inoubliables, un voyage étourdissant, passionnant, édifiant, drôle, émouvant, avec un guide de luxe : Douglas Kennedy himself…

Et c’est vrai que ce livre est passionnant, Kennedy raconte bien son pays d’origine dans le prisme d’anecdotes plus ou moins personnelles. Puisqu’il vit souvent ailleurs qu’à New-York, principalement en France, en Grande-Bretagne ou a Berlin, son regard est affuté par cet éloignement, cette distance qui lui permet un meilleur aperçu des sujets qu’il traite ici par thématiques : le New-York de son enfance, l’université, le jazz dont il est un vrai spécialiste, la religion, le puritanisme, la politique bien sûr et la crainte du retour de Trump (ça y est), le conformisme, les deux grands partis qui s’imbriquent souvent l’un dans l’autre. Et puis il nous conte ses visites dans des petites villes qu’il a choisies pour leur « bas coût » et où l’on peut acheter une maison à 30 000 dollars, ou leur folklore comme la Nouvelle Orléans d’où tout est parti, le jazz, la fantaisie, la tolérance envers les gays…
Je ne me sens pas apte à développer plus avant ce voyage très varié que j’ai entrepris avec lui et qui m’a donné beaucoup de plaisir. C’est un peu court comme critique me direz-vous mais il y a des jours où la paresse me terrasse, et qu’y puis-je.

Ailleurs chez moi de Douglas Kennedy, 2024 aux Editions Belfond, traduit par Chloé Royer. 260 Pages, 22 €

Texte © dominique cozette

Y a du Duras dans l’air de Fabienne Périneau

Oser sortir et crier est un roman bouleversant de Fabienne Périneau. Il est catégorisé roman mais en fait c’est sa vie d’actrice en gros mais pas que, qui naît de sa rencontre avec une pièce de Marguerite, Agatha, jamais jouée car MD ne veut pas. A dix-huit ans, Fabienne force pour rencontrer MD et la convaincre qu’elle est Agatha. Et elle a même le jeune comédien avec qui elle va former le couple frère-sœur. Tellement convaincante que MD leur ouvre la voie. La pièce va se jouer avec succès.
Et la vie continue. Après des amours heureuses ou moins, lui revient en mémoire, comme débloqué, l’inceste que lui a fait subir son frère du milieu. Et c’est exactement l’histoire de la pièce qu’elle n’avait pas comprise ainsi : elle n’y avait vu qu’un amour impossible. Alors elle se met à détester Duras, la pièce…
Une rencontre qui semble formidable se fait : un homme attentionné, certes qui vit un peu à ses crochets et a des goûts de luxe, mais très amoureux d’elle. C’est en fait un pervers jaloux qui la met sous son emprise, lui prend son argent, l’emprisonne. Période très noire.
Je ne m’étalerai pas sur tout ce qu’elle dit dans ce livre (qu’on peut écouter dans le blog En marge de France Inter avec Giulia Foïs.
Mais quand un autre homme entre dans sa vie, un homme qui la convainc de porter plainte contre ce frère qui a brisé la petite fille qu’elle était, le chemin se fait dans sa tête. Elle commence à en parler dans sa famille, ses frères et sa mère, mais ça ne passe pas du tout : on ne gâche pas une famille ainsi, c’est une vieille histoire etc… Le garçon reste le chouchou de la mère et plus personne ne veut recevoir cette fille qui raconte des choses qui fâchent. Ce qui ne l’empêche de porter plainte et se brouiller définitivement avec les siens.
Le livre n’est pas pleurnichard, il parle beaucoup de théâtre, de personnes avec le prénom et l’initiale du nom (faciles à retrouver), il est bourré d’anecdotes, il est passionnant.
(Fabienne a depuis rejoint des assos sur le défense des femmes…)

Oser sortir et crier de Fabienne Périneau, 2024 aux éditions Récamier. 224 pages, 20€.

Texte © dominique cozette


La femme de ménage

La femme de ménage est un thriller habilement agencé par Freida McFadden. Un sacré thriller. Dès le prologue, on est au courant : il y a du pas beau à voir à l’étage et le narrateur ou la narratrice a du souci à se faire.
Puis le roman démarre, trois mois avant cette fâcheuse découverte. Millie réussit un entretien d’embauche pour être femme de ménage chez une femme adorable, Nina, mariée à un riche homme superbe, sympathique et ils ont une fillette, exécrable… très mal élevée, qui fait tourner Millie en bourrique avec des caprices insupportables, sous les yeux indifférents de sa mère. Sa mère qui a aussi des comportements glauques avec « la bonne » alors qu’elle peut être si gentille la plupart du temps.
Millie ne peut pas se rebeller. Avant d’être entrée dans cette superbe maison, elle dormait dans sa voiture. Elle était sortie de prison, une peine de dix ans mais on ne sait pas pourquoi, et était sous contrôle judiciaire. Au moindre problème, hop, de nouveau au mitard. Elle n’en mène donc pas large mais est forcée de s’en accommoder même si sa chambre est une sorte de placard au grenier, qui ferme à clé de l’extérieur uniquement et dont la fenêtre ne peut s’ouvrir…
A la ville, des rumeurs courent sur cette mère qui serait folle (facile à croire vu son comportement) et aurait tenté de tuer sa fillette qu’elle adore. Une fillette toujours habillée de superbes robes blanches à fanfreluches sans aucun rapport avec la vie que mènent les autres fillettes.
Il y a aussi un jardiner, très bel homme qui ne parle pas anglais et n’a pas le droit d’entrer dans la maison. Encore une fois, bien que séduite, Millie se tient à carreau, malgré l’envie d’un petit câlin après un désert sexuel de dix ans.
Quant au mari, il est adorable, même avec elle, même quand sa femme est méchante. Il tente d’arrondir les angles, il la regarde de façon appuyée car oui, elle est jeune et belle même si elle fait attention à ne pas en jouer, à rester transparente.
Enfin, il y a cet immense problème : il rêve d’enfants, la petite fille n’étant pas sa fille, mais hélas, sa femme ne peut plus en avoir…
La tournure que prend cette histoire, cruelle, est absolument pétrifiante et inattendue. Malgré quelques passages un peu faciles au niveau crédibilité, l’autrice nous emmène dans une aventure implaccable dont il est difficile de s’échapper tant qu’on ne sait pas comment ça va se résoudre. Brrrr…

La femme de ménage de Freida McFadden, 2022. Traduit par Karine Forestier. Aux éditions J’ai Lu. 416 pages, 8,60 €

Texte © dominique cozette

De l’Irlande à Brooklyn

Brooklyn est le deuxième roman de Colm Toibin, auteur du très prisé Le Magicien. Il raconte une histoire palpitante située dans les années cinquante, qui commence dans un bled irlandais où vit Ellis Lacey, avec sa mère, sa grande sœur Rose, une belle femme qui travaille, joue au golf mais surtout, rapporte l’argent à la maison. Les trois frères sont partis travailler à Londres. La jeune Ellis ne trouvant pas d’emploi, est engagée chez une femme qui tient un commerce, une sale patronne qui profite de la situation de pauvreté de ses employés. L’avenir est peu joyeux quand une de leurs relations, un prêtre qui vit à New-York, propose à la jeune fille de l’y rejoindre car là, il y a du travail pour qui est sérieux. Il connaît une logeuse chez qui elle pourra s’installer en toute sécurité. Entre le désespoir de quitter sa famille et l’espoir de gagner de l’argent pour l’aider, Ellis balance. La traversée en paquebot en troisième classe vaut son pesant de vomi (oui oui). A New-York, elle travaille comme vendeuse dans un grand magasin, souffre du mal du pays, ne se livre pas. S’ennuie le soir car n’aime pas les autres filles qui partagent la pension. Ni la propriétaire qui les surveille toutes d’un peu près.
Puis en acceptant d’aider le prêtre à organiser une grande fête de noël pour les pauvres, elle fait des rencontres. Notamment celle d’un jeune homme qui l’invite à danser, un Italien (ce n’est pas très bien vu) qui a « malgré tout » de bonnes manières et sait la charmer en douceur. La relation devient sérieuse alors qu’elle doit retourner en Irlande pour de graves raisons familiales. Avec ce un voyage en bateau d’une semaine, on n’y va pas comme ça ou on en revient pas d’un saut de puce. Elle va devoir rester en Irlande quelques temps pendant lequel il va se passer des événements qui vont orienter le destin de la jeune fille.
On se promène dans ce livre à une époque sinistrée où les filles et les femmes commençaient à vouloir s’émanciper. Rien n’était pourtant gagné et l’étau autour d’elles toujours bien serré.
Beaucoup de suspense dans cette histoire assez lente, très descriptive mais dont on bout de connaître la suite. Ce livre a été écrit en 2009. Mais une suite vient de sortir, qui s’intitule Long Island et se passe vingt ans plus tard, j’ai hâte de l’acheter, j’attends juste qu’il soit en poche car mon budget bouquins n’est pas illimité.

Brooklyn de Colm Toibim (2009), traduit par Anna Gibson, au Livre de Poche. 380 pages, 8,90 €.

Texte © dominique cozette

Le romantisme érotique d’Emma

Il ne s’agit pas d’Emma Bovary mais d’Emma Becker qui avait eu le cran de passer un an dans une maison close pour y écrire un livre sur la prostitution. Que je n’ai pas lu. Elle ne manque pas de cran non plus, cette belle autrice pour évoquer, au jour le jour, sa passion amoureuse dans Le Mal joli. Une passion amoureuse axée d’abord sur le désir pour la queue (je ne travestis pas ses mots) de son nouvel amant, un beau noble de St Germain des Prés, coureur de jupons, de coups d’un soir, comme elle, et écrivain comme elle. Ce qui est bien pratique pour se trouver des plages de rencontres, signatures, festivals de livres, etc… et s’envoyer en l’air avec une fougue absolument délirante. Absolument délirante, parfaitement.
Antonin, son amant, entretient une relation un peu lâche depuis cinq ans et est père d’une ado. Emma, plus contraignant, est mariée et mère de deux enfants en bas âge. Pas très pratique tout ça d’autant plus qu’elle vit dans le Sud.
C’est elle qui le cherche au début et elle le trouve. Peu à peu, l’attrait de leurs corps dont ils ont libéré toutes les digues d’inhibitions laisse une place grandissante à des sentiments plus profonds, des manques douloureux pour l’un comme pour l’autre, surtout l’été où lui s’exile dans son île mexicaine pendant deux mois et demi. Deux mois et demi ! Mais quel enfer ! Le mari d’Emma est peu présent mais elle-même se rend bien compte qu’elle néglige totalement ses petits tellement la pensée pour l’autre est envahissante.
(NB pour ceux qui picolent, c’est un livre de bourrage de gueule dans presque toutes les rencontres. Ça décomplexe un peu).
Donc un bouquin assez marrant parce qu’elle s’en donne à cœur joie de décrire certaines pratiques sexuelles, notamment celles qui tournent autour du cul si je puis m’exprimer comme elle, lavements, introduction au ralenti de la verge puis son goût pour l’anulingus dont elle ne nous prive en rien. Un vrai tuto ! Son amant en redemande, il frôle le priapisme pathologique, bref ils n’arrêtent pas. Et puis elle nous livre aussi des théories sur les meilleurs coups qui sont plutôt de droite (à vérifier, mes amies), nous dévoile les personnages typiques du monde éditorial et ses problèmes avec le pet. Voilà, c’est lâché. On peut dire aussi que c’est bien léché (ah ah que je suis drôle !). C’est donc un livre intéressant, distrayant, instructif mais avec quelques longueurs / langueurs quand le monsieur est dans son île. Les SMS sont un peu longuets. Mais ça passe crème comme on dit chez sodomites bretons (ah ah, mais qu’est-ce que j’ai aujourd’hui ?). Le Masque et la Plume en ont fait leurs choux gras.

Le mal joli d’Emma Becker, 2024, aux éditions Albin Michel. 416 pages, 21,90 €.

Texte © dominique cozette

La Petite Bonne

Très très beau livre de Bérénice Pichat qui nous conte trois jours de La Petite Bonne chez les Daniel, dans les années 30. Les Daniel, un couple de bourgeois mariés depuis longtemps. Lui, Blaise, a été grièvement blessé lors de la Grande Guerre et, malheureusement, un chirurgien s’est acharné à l’opérer plutôt que de laisser à sa belle mort. Ce que le pauvre homme ne cesse de ressasser. S’il le pouvait, il s’enverrait ad patres, il possède un Lebel mais comment faire quand on est mutilé de partout, plus de bras, plus de jambes ? Ne parlons pas de son visage, fracassé, horrible, dégoûtant, qui lui interdit les visites, il fait trop peur. Sa femme ne l’a pas quitté, elle s’efforce d’être la femme parfaite d’un grand malade dépendant, de s’occuper de lui avec application. Mais sans grande tendresse.
La Petite Bonne vient travailler régulièrement chez eux. Alors Blaise, un jour, demande à sa femme d’aller re-vivre enfin, prendre du plaisir chez leurs anciens amis lors d’un week-end de chasse. Et la Petite Bonne, qui n’a pas de nom, s’occupera de lui. Blaise ourdit un plan fondé sur la présence et la docilité de cette petite personne qui ne l’a jamais approché. Ancien pianiste, il croupit dans sa pièce, le regard vers l’extérieur, sans rien pour le distraire. Elle voit que son dos.
L’épouse, de son côté, ne passe pas du si bon temps que ça, elle a perdu l’habitude, elle attend trop de ce moment de liberté et puis ses amis, bof.
Pendant ce temps, les deux handicapés (la bonne l’est socialement, consciente de sa place) doivent s’apprivoiser. Il faut bien qu’il mange, qu’il soit propre… C’est cette situation incongrue entre deux êtres incompatibles qui va créer un improbable échange qui va bouleverser le mari et sa vision de la vie.
La forme de l’écriture est originale, majoritairement en vers libres, c’est la partie de la Petite Bonne, des pensées simples, courtes. Quand il s’agit d’un des personnages du couple, retour à la prose, plus sophistiquée, avec des adjectifs, des adverbes, des phrases longues, classiquement bourgeoises.
Belle histoire qui laisse un goût d’amertume mais ravit les papilles du cerveau (oh la la !)

La Petite Bonne de Bérénice Pichat, 2024 aux éditions Les Avrils. 270 pages, 21,10 €

Texte © dominique cozette

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