Sauras-tu ne pas t’énerver en lisant cette BD ?

Mediator, un crime chimiquement pur est toute l’histoire de ce médicament, un coupe-faim, et de ses dérivés (et dérives) qui font la fortune du laboratoire Servier et continuent à semer la mort auprès de milliers de victimes qui voulaient juste perdre quelques kilos. Qui en ont rendu d’autres gravement handicapés, ou tellement souffrantes qu’elles ont été poussées au suicide.
La lanceuse d’alerte, Irène Frachon, n’est pas la première a avoir soupçonné le rôle mortifère de la molécule mais ceux d’avant elle ont eu moins de colère, moins d’endurance qu’elle pour oser se battre contre un aussi grand magnat du médicament pour lequel les portes du pouvoir s’ouvraient sans problème. Servier, certes, est mort, mais ses cadres ont perpétué son « œuvre » en s’opposant à ses détracteurs par tous les moyens (chantage, fric, mensonges, armadas d’avocats, appui des puissants — c’est le cabinet de Sarkozy qui a commencé à le défendre, et plus tard, alors que l’affaire était en cours, c’est encore Sarkozy qui lui a remis la plus haute distinction de la république, la Grande Croix de la Légion d’Honneur).
Les auteurs de cette BD sont Irène Frachon, Eric Giacometti et François Duprat. Ce n’est pas toujours simple à lire car il y a des embrouilles très techniques créées par le labo pour empêcher la molécule d’être interdite en France, alors qu’elle l’a été très tôt dans la plupart des pays. Ils ont aussi procédé à des transformations, changement de noms, masquage de la présence  de la tueuse. Et ce livre illustre clairement le fait que la justice, les pouvoirs publiques et les institutions médicales ont fermé les yeux si longtemps en toute connaissance de cause.
Ça va vous énerver de constater à quel point on peut nous rouler dans la farine quand on est riche, puissant et qu’on a des amis dans tous les ministères. Une partie du  scandale est que Servier a roulé la Sécu en lui faisant rembourser le poison, que l’agence du médicament a fermé les yeux, a donc été complice, que le labo et son armada d’avocats, journalistes médicaux ou médecins véreux, ont tout fait pour « gagner du temps », d’infernales années pour les victimes qui continuaient à tomber.
Les procès intentés contre le laboratoire ont tous été gagnés, mais de façon minimaliste, les indemnisations comme les peines et amendes infligées sont dérisoires et surtout, tous les accusés ont été relaxés. Pire :   le délit d’escroquerie a été carrément oblitéré.
Tout cela est très énervant, l’indépendance de la médecine est mise à mal et après on s’étonne que beaucoup doutent de sa probité et refusent les vaccins. Devant un tel scandale, le plus grand avec celui du sang contaminé, comment rester de marbre. Il y a encore bien d’autres mesures très énervantes qui ont été prises en faveur du gros labo (un beau cadeau fiscal au labo pour qu’il puisse construire une nouvelle usine à poison…)
Cette affaire n’est pas finie puisque que le procès en appel doit se tenir prochainement. On en espère beaucoup.
Lisez ce livre dont je parle très mal, allez voir les interviews d’Irène Frachon, toujours aussi déterminée à ne rien lâcher. Une femme formidable.

NB : un film avait déjà été réalisé sur cette affaire, La Fille de Brest par Emmanuelle Bercot.

Mediator, un crime chimiquement pur BD par Irène Frachon, Eric Giacometti et François Duprat. 2023 aux Editions Delcourt. 200 pages, 23,95 €.

Texte © dominique cozette

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