Trois sœurs en quête de justice

Trois sœurs est un récit fait par Laura Poggioli qu’on est en droit de penser véridique, malgré le terme de roman sur la couv. Il se joue à Moscou où la police découvre trois jeunes filles près du corps sanglant de leur père. Les trois filles, de belles brunettes qui n’ont même pas un an d’écart, viennent de tuer celui qui a pourri toute leur vie, celle de leur frère et celle de leur mère. Celle-ci a rencontré son bourreau à l’âge de 17 ans, lui en avait plus. Elle venait de sa cambrousse, ne savait rien faire, il l’a prise en commençant par la violer, l’a épousée et lui a fait quatre enfants dans la foulée. Lui, c’est un ogre, un homme d’une violence inouïe qui fait peur à tous, qui boit mais qui s’occupe de la messe et de l’église tous les dimanches. C’est pour ça qu’il est bien vu de beaucoup de monde.
Laura Poggioli, l’autrice, est une amoureuse de la Russie, elle s’y sent chez elle, y a beaucoup vécue et y a même rencontré son grand amour, un étudiant comme elle, beau, éduqué, cultivé. Mais qui, très vite, a dérapé dans la violence, l’humiliant devant ses amis, la dévalorisant constamment, la battant. Pourquoi reste-t-elle avec lui, alors ? Parce qu’elle a peut-être des restes de maltraitance d’un prof durant son adolescence, ou parce qu’elle croit qu’il va redevenir gentil… C’est peut-être cela qui l’a conduite à s’intéresser au sort des trois jeunes filles.
Donc un père qui a d’abord violenté sa femme, puis durant la période conjugale, se défoulant sur elle comme il l’a fait aussi sur ses enfants qui ne pouvaient plus sortir à cause des marques. Il qui a chassé la mère et s’est rabattu sur ses filles, des coups, des coups, de la peur, toujours, et puis les viols. Et la suppression de l’école. Les filles ont tout fait pour attirer l’attention sur leur maltraitance mais aucune des institutions concernées, scolaires, policières ou sociales, ne s’en sont émues.
Il se trouve qu’en Russie, et c’est là où le livre est très intéressant, les violences domestiques ne doivent absolument pas sortir de la maison. Cela ne regarde personne hors les protagonistes. Le proverbe qu’on renvoie aux plaignantes est « s’il te bat, c’est qu’il t’aime ». C’est pour cela que les sœurs n’ont pas trouvé d’aide lors du vivant de leur père, c’est pourquoi elles sont considérées comme des meurtrières par beaucoup car la légitime défense n’existe pas. De plus, une loi contre la dépénalisation des violences domestiques a été votée en 2017, un an avant les faits. #Metoo n’a pas trouvé place en Russie car l’explosion des mouvements féministes est, pour les Russes, synonyme de décadence.
Leur sort n’est pas encore réglé mais elles se disent mieux en prison que chez elles avec leur père.

Trois sœurs de Laura Poggioli, 2022, aux Editions l’Iconoclaste. 260 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

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