Un Morgièvre plein de suspens

Comme j’ai un peu la flemme, je vous balance la quatrième de couverture de La mission de Richard Morgièvre comme premier paragraphe :
« À la descente du car, au lieu d’aller rejoindre la ferme où l’Assistance l’a placé, Jacques décide de prendre du bon temps. C’est le 6 juin 1944, son anniversaire, il a dix-sept ans. Il pique une tête dans la rivière. Il ne sait pas nager… une façon de s’y mettre, de vivre. À la sortie de l’eau, des hommes armés l’interpellent et lui apprennent que les Alliés ont débarqué. Jacques se joint aux résistants. Ils tombent dans un traquenard. C’est l’heure des règlements de comptes et les justes vont payer. On les balance à la Gestapo. On les traque pour les massacrer. Jacques s’enfuit. Il perd son talisman mais trouve l’amour… et sa mission. En elle, il met toute sa force, tous ses espoirs, sa loyauté. Malgré la haine et la guerre, il la mènera, par-delà les mers, jusqu’à son terme. »
Morgièvre a écrit des livres très différents les uns des autres. Des bouquins très trash, voire pornos, des bouquins tendres comme celui sur son père, Un petit homme de dos. Celui-ci est frôle le conte sentimental, à la fois très prenant au niveau suspens. Il renseigne aussi sur la fin de la guerre, les règlements de compte entre résistants et collabos, il peint des personnages hauts en couleurs, des personnalités hors normes, de belles personnes.
Je n’arrivais pas à le lâcher, je l’ai lu en deux fois seulement, je voulais savoir absolument ce qu’il arrivait à ce jeune orphelin pur et naïf, certes, cependant que pas neuneu pour un sous (comment j’écris aujourd’hui ! ). Et guidé par un amour tellement puissant que je craignais pour lui. Un très bon livre, une superbe plume.

La mission de Richard Morgièvre aux éditions Joëlle Losfeld, 2024, 236 pages, 20€.

Texte©dominique cozette en partie.

Prescriptions

Quand après une turbulence sérieuse de tout votre organisme (vous vous écroulez brutalement) vous allez consulter et que le médecin, aussi empathique qu’un dessous de plat sans âge, vous annonce que vous souffrez d’une maladie orpheline et que malheureusement, il n’existe pas de traitement sauf un médoc pour calmer les crises, que votre fenêtre de vie va bientôt se fermer après une crise cardiaque ou un AVC, que faites vous ?
L’auteur de Prescriptions, Jean-Marc Parisis, décide de ne rien dire à sa femme et à leur fille. Puis il supprime le médoc calmant. Hélas, la crise revient. Au même moment, il reçoit des nouvelles des deux femmes qu’il a aimées dans sa jeunesse. L’une d’elle lui réclame les photos et courrier qu’il aurait gardés. L’autre… c’est très compliqué de la retrouver. Et c’est là qu’il va rencontrer un personnage qui va le mettre sur la voie. Il va se remémorer leur dernière soirée avant qu’elle le quitte.
Et puis, comme il est très curieux de nature, puisqu’il est iconographe dans un magazine, il entreprend des recherches sur cette maladie inconnue au sujet duquel son médecin ne sait rien, rien non plus sur Interner, et il va découvrir une énormité.
Enfin son passé, la chose que l’on recherche le plus lorsqu’on est en voie de disparition, va lui revenir et lui faire comprendre bien des choses.
Sans rien dévoiler, pas facile de parler de ce livre que j’ai beaucoup apprécié, même si au début, je ne comprenais pas ses digressions sur sa vie d’avant, je pensais faussement à du remplissage. Mais non. Tout est bon dans Prescriptions.

Prescriptions de Jean-Marie Parisie, 2024 chez Stock. 234 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Tuer et plus par amour

Tuer et plus, ici ça veut dire émasculer… Dans Je suis celle que vous cherchez, Arnaud Guigue, agrégé de philo, passionné de Japon, reconstitue la vie d’une Japonaise devenue ultra célèbre pour avoir non seulement tué son amant, mais aussi émasculé, puis emporté son appareil génital, comme une relique, dans sa fuite. En 1936. C’est ce fait divers qui a inspiré le film L’Empire des sens, sorti en 1973, hymne à l’amour sensuel.
Abe Sade, née dans une famille pauvre, est violée lors de son adolescence et à la suite de cela et du comportement peu consolant de ses parents, elle entame une vie dissolue. Alors ses parents, excédés, la vendent à une maison de geishas. Et c’est là, parmi les nombreuses relations masculines, qu’elle tombe amoureuse de Kichi, un homme plus âgé. Petit à petit, une passion torride se développe entre eux, hélas il est marié, il a des enfants, ils ne sont pas libres de donner libre cours à la frénésie de leurs désirs. C’est pourquoi elle le tue en l’étranglant amoureusement, puis lui coupe le kiki. Horreur dans tout le Japon. Pour ses raisons techniques, elle ne peut pas se suicider, alors elle se laisse arrêter puis raconte par le menu sa vie au policier.
Finalement, sa peine sera légère. Six ans d’enfermement. A la sortie, elle reprend son pseudo de geisha pour mener une nouvelle vie, plus probe. Elle épouse un homme bien, aisé et bon avec elle, mais, alors qu’on la croit morte, quelqu’un la retrouvera et de nouveau, elle sera obligée de fuir.
Une histoire finement romancée, émouvante même, qui nous attache à cette meurtrière hors normes.

Je suis celle que vous cherchez par Arnaud Guigue, 2024, aux éditions Les Arènes Komon. 170 pages.

Texte © dominique cozette

Mini-cassette orange ?

Florent Marchet se met en scène sur la couv de son roman l’Admiration avec une mini-cassette orange. Qui joue un grand rôle. Florent Marchet est chanteur et auteur-compositeur. On disait ACI jadis. Je ne connais pas ses chansons, je vais aller en écouter, je n’ai pas acheté ce livre, on me l’a passé et je ne regrette pas. Il est très très bien. L’écriture déjà, sèche (on dit à l’os today), effrénée, nerveuse et dynamique, ça fait pulser (oui, c’est un vieux mot). Ça se passe dans les années 90 et Marchet n’est pas avare de name-dropping et de critiques plus ou moins acerbes sur les people que nous connaissons tous. Mais ça ne sent pas la recherche google comme c’est souvent le cas pour faire son intéressant(e), ça sent plutôt le vécu. Ca donne du peps (vieux mot encore) à la lecture. Et c’est réjouissant.
La cassette orange c’est celle du spectacle — le premier one man show féminin de Nadia Viper—  qui s’intitule Nadia Viper n’a rien à dire et le fait savoir. Et cette cassette tourne en boucle dans la chambre et la tête du jeune Bastien, 13 ans, qui l’adore. Elle est son idole. Un beau jour, elle se produit près de leur bled et comme sa mère s’occupe des affaires culturelles et qu’il n’y a pas beaucoup de sous, c’est chez eux que Nadia sera hébergée. Une amitié va naître. Nadia trouve le jeune garçon très doué. Peu à peu, il peaufine sa créativité et son talent, tous deux se voient souvent, elle devient la coqueluche de la scène d’humour et l’aide à se faire un trou dans le show biz.
Ils ont chacun leur histoire, ils font leur chemin, Bastien grandit, il est très doué non pour être lui-même sur scène, mais pour produire. Ses artistes ratissent le public, il bosse comme un dingue. Et pendant son ascension, Nadia se détruit, elle picole, elle rate son show à l’Olympia, elle descend, elle tente de se faire aider par les anciens mais elle est trop peu fiable pour qu’on lui tende la main. Et Bastien, va-t-il l’oublier ?
Ce livre est assez poignant, il se dévore avec plaisir d’autant plus que j’ai connu ou reconnu beaucoup de lieux dont il est question. Chapeau.

L’admiration par Florent Marchet, 2024 aux éditions Stock. 264 pages.

Texte © dominique cozette

Aimez Gil

Drôle de trio, ces trois-là, dans Aimez Gil, un roman de Shane Haadad. Ils sont jeunes, dans les vingt-cinq, et totalement désabusés. Ça commence par l’enterrement de l’un d’eux, Mathias. L’autre garçon s’appelle Mathieu, c’est le copain, l’ami, le confident, enfin je n’y ai rien vu de sexuel, de Gil, la fille.
Deuxième scène, elle descend l’escalier abrupt d’une boîte moite et blindée de fêtards, y cherche son pote M et c’est là qu’elle rencontre l’autre M… La soirée se déroule normalement, c’est à dire qu’elle se bourre tellement la gueule qu’elle n’est plus capable de se relever et c’est Mathias — dont elle se méfie — qui la raccompagne, gentiment. Il va plaire à Mathieu, ce gars-là, et tous trois vont se fréquenter tellement assidûment qu’ils forment un vrai bloc, dormant les uns chez les autres sans arrire-pensées. Ils boivent et fument énormément, ils n’aiment pas leurs jobs, elle est vendeuse dans une boutique d’objets, les deux autres, je ne sais plus. Toujours est-il qu’ils décident d’aller dans le midi à bord de la petite caisse pourrie de Mathieu qui risque la panne à chaque cahot. Ils dorment un peu n’importe où, mangent n’importe quoi et boivent.
Finalement ils arrivent chez Marguerite, la tante adorée de Mathias, une femme libre et superbe, mais elle n’est pas là, au grand dam du neveu qui se sent trahi… Plus tard, Mathias apprendra d’elle un secret de famille. Dans ce livre, il y a beaucoup de mouvement d’humeurs, de non-dits, de conflits larvés. Il est écrit comme pense le cerveau de Gil, c’est à dire dans un flux de ressentis sans filtre, c’est pas toujours simple à comprendre mais on y arrive. On peine néanmoins à savoir ce qu’il se trame entre les deux garçons, quelque chose d’un peu louche qui trouble Gil de manière peu agréable.
Puis ils prennent encore plus de congés pour un road trip. C’est assez désespérant, voiture cassée, froid dans une vieille maison, sentiments compliqués… Etrange livre, écriture dérangeante mais on avance parce qu’on s’attache aux personnages et on cherche à en savoir plus…

Aimez Gil de Shane Haddad aux éditions P.O.L. 2024, 366 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

Pour Britney

Pour Britney est un très petit livre de Louise Chennevière. Celle-ci était une fan absolue de la chanteuse quand elle était petite. Elle voulait être chanteuse comme elle, elle s’entraînait avec acharnement jusqu’elle tombe de son rêve : une tante lui prédit qu’elle ne serait pas chanteuse. D’ailleurs son père partageait peu le goût de la fillette pour le rouge à lèvres et autres attributs féminins.
Des années plus tard, Louise Chennevière a retrouvé une photo d’elle de l’époque et a réalisé que dès l’enfance, le corps des fillettes est modelé pour plaire aux « vieux » mâles. Et d’adjoindre au sort de Britney, confisquée de sa vie par son propre père, un mec avide et odieux qui la tenait sous tutelle, celui de l’écrivaine Nelly Caplan (son ouvrage devenu culte est intitulé Putain), elle aussi tellement soumise au diktat masculin qu’elle finit par se suicider. « La beauté des femmes ne sert à rien si elle n’entre pas dans le goût d’un homme », écrit Caplan.
Ce livre arpente ce douloureux territoire de l’hypersexualisation des petites filles au corps morcelé à l’envi pour le désir des hommes. Je signale que la lecture de cet ouvrage est difficile, fait de très longues phrases avec ponctuation décalée, non conventionnelle voire déstructurée, surtout par un usage original de virgules placées bizarrement, et malgré la force du texte, cela m’a pas mal perturbée.

Pour Britney de Louise Chennevière, 2024 aux éditions P.O.L. 132 pages, 15 €.

Texte © dominique cozette

Un amour hors normes

Dans le gros libre Bouquins intitulé Comme elles sont comprenant plusieurs œuvres de Benoîte Groult, je vous ai déjà parlé de l’admirable Journal à quatre mains. Voici le suivant, c’est un roman intitulé Les Vaisseaux du cœur, l’histoire improbable d’un amour énorme, immarcescible, entre deux êtres qui n’ont de commun qu’une peau, ou des organes, qui s’attirent inexorablement dès qu’ils se voient, qu’ils s’effleurent. Elle, c’est une jeune Parisienne diplômée, cultivée, vivant dans les beaux quartiers, venant chaque été en Bretagne pour les vacances. Lui, c’est un gars du pays, peu scolarisé, peu intéressé par les choses culturelles, passionné de pêche dont il fera son métier. C’est une sorte de colosse, musclé, fort, bien équipé sexuellement si je puis dire. Ils se rencontrent lors du mariage de la sœur de Gauvain, le nom du garçon, le coup de foudre physique est immense, grandiose, irracontable. La passion qui s’ensuivra va les entraîner, en courts épisodes très espacés dans le temps car chacun se marie et ils vivent tous deux aux quatre coins du globe, sur des petites périodes d’une intensité folle qui les laissent dans une grande tristesse lorsqu’ils se séparent pour plusieurs mois ou plusieurs années, aussi.
Au début, il voulait l’épouser, ce garçon qui manque de psychologie mais se soumet aux traditions locales et bien sûr, elle va refuser, sachant pertinemment qu’une telle union, dénuée de toute culture commune, empreinte de tant de différences surtout de classe (il ne parle pas bien, a un goût de ch… etc) n’a aucune chance de durer.
Une sacrée histoire que Benoîte Groult développe avec une liberté peu commune bien que dans son avant-propos, elle avoue ne pas savoir comment parler d’amour sexuel sans tomber dans le convenu, les clichés ou la vulgarité. Elle y arrive cependant mais sans trop de détails. Ce n’est pas un livre « hot ».

Ce roman fait partie du recueil Bouquins intitulé Comme elles sont, je n’ai pas sa date, son nombre de pages ni son prix…

Texte © dominique cozette

L’amitié pas forcément

Le goût de la trahison, le titre du roman de Stéphanie Chaillou, a des chances de nous emporter sur une fausse piste au sujet de l’amitié, thème du livre. Car il ne s’agit pas de trahison mais plutôt d’un glissement des sentiments.
C’est l’histoire très banale d’une petite famille de classe moyenne, Marc est cadre à Nantes dans une cimenterie, ils ont deux enfants et ils passent la plupart de leurs week-ends et des vacances dans la petite maison de Noirmoutier de son enfance. Rien que du très banal et routinier : les courses, la crêperie, la glande, la plage, l’apéro au bistro du port et, pour lui, le tennis, sa passion. Tout est réglé comme du papier à musique.
Puis un jour, dans sa boîte, débarque un collègue, Paul, en tout point semblable ou presque, qui possède aussi une maison proche de la leur à Noirmoutier, mais plus grande, plus bourgeoise, comme eux. Ceux-là n’ont pas d’enfants. Les deux hommes se rencontrent au club de tennis où ils excellent pareillement. Entre eux vont se tisser des liens de connivence, d’intérêts communs, et aussi d’amitié. Les couples se fréquentent régulièrement, assidument même, tout semble aller pour le mieux. Tout le livre est construit sur cette entente parfaite sans aucun pathos à l’horizon. Hormis le fait que la femme de Marc remarque qu’il passe plus de temps avec Paul qu’avec elle. Et puis, peu à peu, quelque chose va dérailler, les amis de Marc qu’il se fait un plaisir de présenter, détonnent par rapport à Paul, problème de langage, de classe, puis d’autres détails insignifiants mais qui comme on le dit, constituent la présence de diable, vont faire que tout cela va déraper.
C’est super bien écrit, très factuel, sans intention de créer de suspense, très nuancé donc, avec un beau talent pour faire exister Noirmoutier, sa lumière, ses paysages, ses odeurs etc… Le sort leur amitié est d’autant plus dur que l’ambiance de cet endroit est douce. Très beau livre.

Le goût de la trahison par Stéphanie Chaillou, 2024 chez Notabilia. 192 Pages 20,50 €.

Je rajoute un second livre dont je ne sais pas bien parler…
Barbara Cassin est, entre autres, philosophe, écrivaine et académicienne. Le titre étrange de son livre Le bonheur, sa dent douce à la mort est une citation d’Arthur Rimbaud et le sous-titre de cet écrit est autobiographie philosophique. Je nai bien sûr pas compris grand chose quand il a été question de philo, sauf que sa façon d’écrire est formidable, vivante, voire rock’n roll et que j’en ai apprécié un grand nombre de passages. D’ailleurs j’ai noté cette phrase qui me définit bien au sujet de cette lecture (et peut-être même en général) « Je ne sais plus ce que je comprends et je suis submergée, en grande partie, par ma bêtise d’aujourd’hui ».
Comme je ne saurais le faire, je vous copie le résumé fait par Babelio : « Vous avez les plus belles jambes du monde, vous serez ma femme ou ma maîtresse. Voilà ce qu’est devenu l’amour de ma vie. Moi, épouser un Juif, jamais ! Barbara juive ? Tais-toi donc mon garçon, elle est si gentille. Avec un instinct sûr, vous choisirez votre siège. Vous prenez votre petit déjeuner à la table de ce nazi ! Comme c’est gentil de me reconnaître, Jacques Lacan. It’s no greek ! Madame, Madame, j’ai compris l’étymologie de concierge. À partir de combien de livres est-on cultivé ? Que pensez-vous de ce que vous voyez ? J’aime quand tu as le corps gai. Arrêtez de le regarder, laissez-le partir… Ces phrases font passer de l’anecdote à l’idée. Elles sont comme des noms propres qui titrent les souvenirs. Elles fabriquent une autobiographie philosophique, racontée à mon fils Victor et écrite avec lui. En les disant, je comprends pourquoi et comment elles m’ont fait vivre-et-penser. Si dures soient-elles parfois, elles donnent accès à la tonalité du bonheur.Un travail mère-fils qui fait redécouvrir Char, Heidegger, Lacan, la Grèce, l’Afrique du Sud, la Corse, les juifs, les cathos, des Hongrois, des Allemands… Avec Ulysse en figure de proue, l’homme d’Homère qui passe là où il n’y a pas de passage, entre Hélène qui ravit et Barbara bla-bla-bla. »
Ça doit être un régal pour les amateurs de philosophie !

Le bonheur, sa dent douce à la mort de Barbara Cassin, 2020 au livre de poche, 228 pages, 7,40 €

Texte © dominique cozette

Boire au Ritz

Le Barman du Ritz, histoire vraie avec personnages réels, nous est brillamment contée et romancée par Philippe Collin avec force détails sur cette période très trouble qu’était l’Occupation, quatre années infernales pour certains, plutôt confortables pour d’autres, les occupants et collabos.
Frank Meier comme son nom l’indique, est le meilleur barman de monde ! Il a bourlingué, notamment aux Etats-Unis où il a gagné sa réputation dans l’art du cocktail (il a d’ailleurs écrit un livre à ce sujet). Sa réputation conforte les Allemands dans leur choix de passer de super moments de détente ou d’ivresse dans ce lieu magique qu’est le bar du Ritz, fréquenté juste avant par Hemingway et Fitzgerald, tous deux sensibles au savoir-faire et à la discrétion de Meier.
Maintenant, on y voit Coco Chanel, Guitry, Cocteau trinquer (voire plus) sans vergogne avec les hommes de la Gestapo. On suit l’évolution de l’opinion concernant Pétain, on y découvre beaucoup de compromissions, de secrets, de trahisons, mais aussi de peur. Ce qui dérange le plus, bien sûr, c’est de voir ces grands crus, ces champagnes millésimés, ces inventions alccolisées couler à flots, d’y entendre les rires gras, d’y côtoyer les fourrures, les bijoux de prix de ces dames tandis que dehors on meurt de froid, de faim et de terreur.
Meier de son côté cache un lourd secret : il est juif mais a réussi à le faire gommer. Néanmoins, il consentira à fournir des faux papiers à certains de ses clients pas toujours recommandables en prenant des risques considérables.
Il en prendra bien d’autres durant ces années, il exfiltrera ou protègera des proches menacés par les occupants. Et lorsque les alliés entrent triomphalement dans Paris, il sent bien que sa dernière heure est arrivée. Que faire ? Fuir ou rester dignement le gardien de ce paradis perdu pour accueillir les vainqueurs ?
Je passe sur la romance sentimentale qui lui fait battre le cœur, et sur bien d’autres choses, l’affreux caractère de la vieille Ritz, la belle complicité paternelle que Meier entretient avec son apprenti, juif lui aussi, ou ses relations très compliquées avec ce fils dont il ne s’est pas beaucoup occupé.
Livre palpitant, instructif et riche, qui ne se trouve pas au somment des ventes de livres par hasard.

Le barman du Ritz par Philippe Collin, 2024 aux Editions Albin Michel. 416 pages, 21,90 €.

Texte © dominique cozette

Si ce livre pouvait me rapprocher de toi

Dubois, c’est un chef cuisinier qui, avec les mêmes ingrédients, nous mitonne des recettes toujours différentes, toujours succulentes. C’est un être désabusé, toujours, à qui il arrive des drames et des mésaventures. Le père est à la base de cette trame déliquescente, le héros souffre à cause de lui, mais il y a aussi soit une sœur, un frère, ou un jumeau, toujours un chien, une femme qui part et des séjours plus ou moins longs aux Etats-Unis, au Canada et bien sûr à Toulouse ou au pays basque.
Cette fois, dans ce roman au titre un peu cucul (ne vous y fiez pas) Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, tout y est pour le malheur du personnage (je dois avouer que ce roman est ancien et que je n’en avais jamais entendu parler donc ma joie intense de le découvrir !) : sa femme l’a quitté, il n’a pas d’enfant puisqu’il se trouve qu’il est stérile, son chien est mort, son père qui vivait souvent au Canada, dans les contrées sauvages, a disparu dans un lac en allant pêcher. Il est écrivain mais ne vend pas beaucoup et trouve que sa vie n’aura servi à rien. Alors Paul Peremülter décide de tout quitter et de partir à l’aventure. Au moins, pourra-t-il peut-être ressentir des choses, se réjouir de certaines situations. Il atterrit aux Etats-Unis et se fait engager pour des petits boulots, chauffeur,  homme de confiance d’un milliardaire, etc… mais vu la vanité de toutes ces maigres occupations, il file au Canada, auprès d’un vieil ami de son père, tellement content de revoir le fiston. Car il a quelque chose de très important à lui révéler.
Pourtant, si ce quelque chose met un peu de baume au cœur de Paul, ça le fait descendre d’un cran dans l’estime que son père aurait pu avoir pour lui. Alors, oui, ce père décevant et déçu, il faut maintenant qu’il l’épate, qu’il lui prouve qu’il n’est pas un sous-homme, qu’il vaut quelque chose. Et alors, il va entreprendre une épreuve terriblement dangereuse, au risque d’y laisser sa peau.
Déjà, l’histoire est intéressante et les personnages que Dubois nous taille dans les troncs des grands arbres de l’automne canadien sont de toute beauté. On les voit, on les entend. Mais surtout, et comme d’habitude si je peux me permettre, c’est cette écriture si riche et si fine, magnifique, qui sait mettre les mots sur non seulement les sentiments mais aussi tout ce qui compose la nature sauvage. On a l’impression que Jim Harrison va jaillir avec son matos de pêche au détour d’un méandre. Quel talent, quel bonheur de s’immerger dedans, de s’y laisser mener par le bout du nez en ne sachant pas du tout ce que la fin nous réserve (je signale que dans un de ses romans, le héros se suicide à la toute fin). On s’attend à tout.

Si ce livre pouvait me rapprocher de toi par Jean-Paul Dubois, 1999, aux éditions Bibliothèque de l’Olivier (c’est comme l’Olivier mais moins cher). 224 pages, 9,90 €.

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter