Un fils parfait ? Hum

Un fils parfait est le troisième roman de Mathieu Ménégaux que je lis. A chaque fois, je suis captivée. Il y est toujours question d’un crime, voire d’un meurtre, suivi d’un imbroglio de problèmes judiciaires subis, à juste titre ou non, par le héros ou l’héroïne. Il connaît bien son sujet et c’est passionnant. Mais tellement déprimant aussi.
Ici, c’est une jeune femme qui écrit à sa belle-mère, sa lettre constituant le livre. Dès le début, on apprend qu’elle est en cavale avec ses deux fillettes, loin de la France, que tout va bien, enfin. L’objet de la lettre est de raconter à la mère de son mari sa version des faits. Car, non, ce n’est pas une malfaitrice (ça se dit, ça ?), que son mari, cet homme parfait, était bien un criminel en violant ses fillettes et qu’il a été un abominable salaud d’avoir chargé sa femme et l’avoir fait condamner.
C’est vrai que c’est un type formidable, bon époux, bon amant, bon père, bon professionnel, apprécié de tous, ce qui est bien pratique lorsque l’appareil judiciaire vient fourrer son nez dans sa vie. Cependant, ce loup qui vient terroriser sa fille lorsque la maman s’absente quelques jours pour raisons professionnelle … non, ce n’est pas possible, pas lui ? C’est très fragile un récit d’enfant, et puis un enfant, ça se manipule aussi et pour ça, le mari est très fort. Que faire ? Ça va être un enfer pour cette mère qui veut les protéger. Elle se heurte à beaucoup de choses, la machine judiciaire est impitoyable, elle-même n’est pas parfaite, loin de là, et tout lui retombe dessus, notamment son « hystérie », sa violence face au mari qui veut lui enlever ses enfants.
Ce livre est fondé sur une histoire réelle et fait froid dans le dos. En lisant ce récit, on se prend de sacrés coups de poings dans la gueule, tout paraît dégueulasse, on guette le moment, la faille, où elle pourra sauver ses fillettes des griffes du prédateur.  Puis, tout à la fin, bien après l’envoi de la lettre, un fait divers lui apprend le pourquoi de la déviance perverse de cet homme si parfait. Un choc !

Un fils parfait de Mathieu Ménégaux, 2017 aux éditions Grasset 242 pages. Et chez Points, 6,20 €.

Mes articles sur : Je me suis tu, ici. Est-ce ainsi que les hommes jugent ici

Texte © dominique cozette

Nico The End

C’est la fin de Nico mais The End est aussi une chanson de Jim Morrison, la dernière qu’elle aurait interprétée en public. Donc, titre impec. Ce livre époustouflant a été écrit par un certain James Young, un jeune homme sorti de ses études dans les années 80 pour faire partie du nouveau groupe très improbable de la diva déchue. Il ne savait pas vraiment accompagner, les autres se foutaient royalement de Nico, héroïnomane jusqu’au trognon, mais se réjouissaient de jouer de la pop sur scène et gagner quelques ronds.
Ce livre est drôle et cynique, il ne fait pas de cadeau à Nico, elle n’a rien de sacré, il décrit ces huit ou dix ans passés avec elle avec un humour décapant, comme si c’était une fiction. Nico a un peu grossi,  son seul souci est de se shooter, elle se fout de chanter, c’est une grosse feignasse (sic). Mais quand elle est sur scène à scander ses textes, elle est heureuse. Elle est crade d’ailleurs, porte toujours ses éternelles bottes de motard et à part l’héro, se roule des joints. Comme un autre comparse. Il y a un producteur, une imposture totale qui garde le fric pour son usage sexuel, putes et hôtels confortables quand eux sont logés dans des endroits sordides.
Mais Young n’a pas pour volonté de dézinguer Nico. Pour lui, elle est géniale, sa voix d’outre-tombe est superbe et son ascendant sur le public extra quand elle joue seule ses textes très noirs en s’accompagnant de son harmonium portable. Il la respecte d’une certaine façon même si elle ne partage aucun sentiment avec personne. Sauf son fils, produit non reconnu d’Alain Delon, qui vient la suivre et se dope comme elle. John Cale fait aussi ses apparitions. La première fois, c’est un vieux junkie crado, complètement à la masse, gras, parano, adepte des théories des complots qui l’effrayaient. Quelques années plus tard, il s’est repris en main : c’est un très bel homme mince, sobre, emmerdant. Nico et lui ne se sont jamais entendus, se sont toujours écharpés pour tenir la vedette. Malgré tout, il met un peu d’ordre dans la cacophonie de ces musicos improbables, conscients de leur nullité. Bon, je ne vais pas tout vous résumer. Si l’idée du bouquin vous plaît, je vous jure que vous ne serez pas déçu.e.
Ce livre a été écrit trois ans après la mort de Nico. Il vient d’être réédité avec une très longue intro actuelle de son auteur qui nous raconte en la complètant la fin de l’histoire : que sont-ils devenus, qui est mort, qui fait autre chose ? Comme chaque fois qu’il y a une préface intéressante, je l’ai relue après avoir fini le livre et dans la foulée, suis repartie sur le début du livre. Eh oh ! Mais tu viens de le lire. Oui, mais il m’a tellement plu, il y a tellement d’anecdotes que j’ai failli remettre ça. Dingue non ?
Pour les amateurs de Nico, il existe un biopic réalisé par Susanna Nichiarelli, intitulé Nico, 88. Je l’ai vu à l’époque. Il raconte ces mêmes années où elle était paumée mais où elle continuait à donner ses concerts d’une voix géniale. Certes, la comédienne qui la représente est un peu ronde, mais elle chante comme son modèle, avec sensualité et détachement. Il y a aussi sur le net plein de petits bouts de ses derniers concerts. Envoûtante malgré la déchéance.

Extrait : « Toby venait d’épouser une femme de Copenhague qui ressemblait à Bruce Springteen. C’était une vraie dure. Elle savait siffler entre ses dents et avait une droite qui pouvait vous mettre K.O…. Elle était du genre belle/laide, mais plus elle se shootait à l’héro et plus la laideur prenait le dessus. » Et tout est comme ça !

Nico The End de James Young, 1992. Puis 2018 aux éditions Séguier, traduction de Charles Vilallon. 324 pages (le prix est masqué, c’était un cadeau).

Texte © dominique cozette.

La vraie vie, aïe aïe aïe, quel livre !

Si je dis aïe aïe aïe à la vraie vie d’Adeline Dieudonné, c’est parce que ce livre formidable est terrifiant. Mais ça démarre assez tard. D’abord, tout se passe moyennement bien dans ce petit pavillon merdeux de ce petit lotissement merdeux à part la violence du père qui tape régulièrement la mère, une « amibe », selon la narratrice, fillette de dix à treize ans qui se réfugie dans l’amour énorme qu’elle éprouve pour son petit frangin, petit être adorable. Jusqu’à ce qu’un terrible accident se produisent sous leurs yeux. Peu à peu, le cerveau du petit gars va se remplir de saletés, il va dériver dans d’odieuses activités. Pour que tout redevienne normal, elle décide de se consacrer à la remontée du temps, à comprendre comment on peut construire une deLorean puisque, techniquement, c’est possible. Son atout : elle est très intelligente et férue de physique, quantique ou non, et autres sciences compliquées. Pour prendre des cours particuliers avec une « tête », elle fait du baby-sitting et tombe en amour avec le papa. Son petit frère continue à très mal se comporter, son père est de plus en plus violent et sa mère toujours aussi peu intéressante.
Puis lorsqu’elle atteint sa puberté, son père semble la voir. De même qu’il a pactisé avec son fils en l’amenant au tir et à la chasse, il prévoit que sa fille fera partie d’une sorte de partie de survie nocturne, en pleine forêt, avec chacun ses armes pour se défendre. Sauf qu’elle n’est pas dans la catégorie de ceux qui chassent.
Livre très âpre, dur, palpitant, terrible. Sur la quatrième de couv, il est écrit « d’une plume drôle et fulgurante… ». Drôle ? Je n’ai rien senti de tel. Ce qui n’enlève rien aux qualités de ce premier roman d’une jeune Belge prometteuse.
Pour en savoir plus, son intervention dans la Grande Librairie ici.

La vraie vie par Adeline Dieudonné aux éditions L’iconoclaste. 268 pages. 17 €.

Texte © dominique cozette

 

Les cent derniers jours (des Ceausescu)

Les cent derniers jours est un roman roumain écrit par un Anglais né en Tunisie et de mère belge, qui parle donc très bien le chti. Il s’agit de Patrick McGuinness, prof de littérature française à Oxford. Il a vécu entre autres en Roumanie, et y revient en 89 pour un remplacement scolaire. C’est ainsi que débute le livre avec ce héros qui semble être son double. Lui non plus ne sait pas que le régime va s’effondrer dans cent jours et que le couple de dictateurs — dit-on une dictatrice ? — autrement dit les Ceausescu (je ne trouve pas de cédille pour le s) seront exécutés publiquement après un procès expédié.
Notre héros, un jeune homme, a postulé pour ce remplacement car il y avait moins de concurrence que pour Barcelone et autres villes plus glamour. Sans même un entretien d’embauche, on le loge dans un appartement encore empli des meubles, objets, disques, livres et vêtements d’un certain Bellanger. Là, il est pris en main par Léo, son supérieur, un mec rond, sympa, buveur, bouffeur, qui lui ouvre les portes du versant privilégié de ces régimes contraignants, sauf pour le parti et ses amis. Ils ne manquent de rien, mais notre héros découvre avec un certain effroi le traitement réservé à la population : disette, coupure régulière de l’eau, du gaz, de l’électricité, magasins vides où tu fais la queue des heures pour essayer d’avoir n’importe quoi, délations, trahisons. Il comprend que tout le monde ment, même Léo et comprend aussi qu’il est bon de mentir au troisième degré : à la fin, personne ne sait pour qui roule l’autre, pourquoi tout le monde est espionné, par la police régulière, l’armé, la police secrète, privée etc. La duplicité fait place à la triplicité, le marché noir bat son plein, les amis de Léo ont les bras dans fange politique jusqu’aux épaules. Il y a celui qui, proche du régime, rédige ses mémoires, livre de mémoires soft et laudatrices d’un côté qui paraîtra en Roumanie, livre de mémoires réelles et scandaleuse qui sortira à Paris, dans le cercle des intellos, et pour lequel notre héros l’a aidé. L’auteur sait à quoi il s’expose, mais il le fait.
Notre héros tombe amoureux d’une superbe créature qui se joue de lui, disparaît en Allemagne ou en France, réapparaît sans prévenir : elle est la fille d’un ministre hyper classe, comme elle, paré de tous les vêtements, parfums, montres que l’on ne trouve pas à Bucarest. Quels sont les sentiments de cet homme, apparemment affable, pour lui ? Quel jeu jouent le père et la fille, et tous les autres ?
Pendant ces cent jours, le mur de Berlin s’écroule, les autres dictatures s’effondrent et bientôt, Timisoara va se soulever contre le tyran. C’est le début de la fin pour le couple présidentiel. Bucarest est à feu et à sang, fin du règne. Notre héros, aidé de Léo, peut s’enfuir mais il est tombé amoureux d’une autre femme, une chirurgienne qui le lui rend bien, et il hésite.
C’est un roman très intéressant au niveau des mœurs de ces régimes qui régnaient (et règnent hélas encore dans de nombreux pays) par la terreur et la misère. On y voit comment Ceausescu détruit tout ce qui n’est pas dans la ligne du Parti à coup de boules de déstruction et comment il hérisse la ville d’immeubles précaires, hideux, sans confort. On y sent la mort, le désastre, l’ennui, la peur, le rétrécissement de tous les espoirs. Pour autant, ça se laisse lire sans donner le cafard puisqu’on est dans la peau de cet occidental dont on devine qu’il va s’en sortir.

Les cent derniers jours de Patrick McGuinness, 2011. 2013 aux Editions Grasset, 496 pages, traduit par Karine Lalechère. Paru aussi en poche.
Prix du premier roman étranger 2013.

Texte © dominique cozette

L'étrange Federica Ber

Federica Ber est le titre du livre de Mark Greene, un roman original, un récit déconcertant car on ne sait pas trop si l’on a affaire à une histoire d’amour improbable ou à un polar, peut-être les deux mais pas vraiment. L’amour y est curieux, le polar y est proche de l’irrésolu. Ce qui fait que le mystère persiste jusqu’à la fin alors qu’il ne s’agit pas d’un livre à suspense. Quoique.
D’abord, il y a ce fait divers inexplicable : un jeune couple amoureux auquel tout sourit, qui vient de remporter un énorme succès lors d’un appel d’offre architectural, est retrouvé mort au pied d’un à pic dans les Dolomites. Le plus fou, c’est que l’homme et la femme sont attachés l’un à l’autre par un lien, comme s’ils avaient voulu mourir vraiment ensemble. Ils sont vêtus comme pour aller dans un lieu chic alors qu’ils ont gravi de la pente et pas qu’un peu. Aucun indice, aucun témoignage ne permet d’adhérer à l’hypothèse du suicide. Cependant, il est question d’une tierce personne, une femme qui les accompagnait au début du week-end, avec qui ils ont pris des repas. Une femme secrète, discrète qui logeait dans un gîte. Et dont on connaîtra juste le nom.
Le fait divers traverse la frontière italienne. Le nom de l’accompagnatrice interpelle un homme, à Paris. Il se souvient parfaitement de cette femme étrange, rencontrée vingt ans plus tôt, et revue dans des circonstances inattendues, pour des pique-niques sur des toits, des rendez-vous non conventionnels, hasardeux même, dans une salle de jeux. Mais d’amour entre eux, pas grand chose. Une femme frêle mais d’une grande force physique, une femme capable de porter de lourdes charges et de vivre dans des ambiances délétères. Puis qui avait soudain disparu.
Vingt ans plus tard, l’enquête piétine. Il recherche sa trace, retrouve tous les lieux qu’ils avaient fréquentés ensemble, les toits aussi, avec un petit espoir.
Le livre a un charme fou, l’Italienne, celle qui est morte, nous donne l’image d’une femme muse, d’une sorte de poétesse de la vie qui en connaît le sens et sait comment le transmettre aux autres. Quant à l’autre, la mystérieuse, elle pourrait faire penser au rat d’un hôtel de Monte-Carlo (dont je ne retrouve pas le nom du film, il me semble que c’est Audrey Hepburn pourtant) et on a envie d’en savoir beaucoup plus sur elle, qui est-elle, d’où vient-elle, qu’a-t-elle de commun avec le couple. Mais l’auteur nous en dira-t-il un peu plus ?

Federica Ber de Mark Greene, 2018 aux éditions Grasset. 208 pages, 18 €.

Texte © dominique cozette

Souriez, vous lisez Smile !

Smile est le dernier bébé de Roddy Doyle, écrivain irlandais de Dublin, qui avait déjà connu un grand succès avec The Commitments ou The Van. Smile nous raconte l’histoire assez complexe de Victor, la cinquantaine, qui revient au pays et essaie sans succès de renouer avec les vieux copains du collège catho, beaucoup sont morts ou partis. Et lui était plutôt un souffre-douleur. Il vient de rompre avec une superbe femme, célèbre car elle travaille à la télé, plutôt, c’est elle qui a rompu. Il se retrouve dans un immeuble genre habitat social où vivent les réfugiés, essaie d’écrire enfin son livre, et passe ses soirées au pub où il tente de se faire accepter par une bande d’habitués, ceux qui boivent de la bière et flirtent gentiment avec les femmes mûres. Mais un type, esseulé et arrogant, lui met le grappin dessus. Il s’appelle Ed et semble bien connaître Victor puisque, soi-disant, il était au collège. Dans ce collège, les garçons ont tous subi les agressions sexuelles des « frères », plus ou moins fréquentes ou sérieuses. Ed lui rappelle que le petit Victor avait un sourire (d’où le titre du livre)qui plaisait à l’un des frère et qu’il fut longtemps surnommé le pédé à cause de ça. Et puis il lui rappelle que sa sœur (la sœur d’Ed) était très amoureuse de lui. Victor tente de rappeler ce passé, ça revient petit à petit, chaque jour un peu plus.
Dans ce livre, on passe beaucoup de temps au pub, on les écoute parler, faire des blagues de plus ou moins bon goût, parler des femmes. Il devient un peu la vedette depuis qu’on sait qu’il vivait avec la fameuse Rachel. Ça pose son homme. On revit aussi les années scolaires très désagréables, la tension créée par les frères, la honte. Puis on l’écoute évoquer sa superbe femme, leur belle entente sur tous les plans, sexuel en particulier. Puis on revient au présent où il n’est plus grand chose et où il semble avoir loupé quelque chose. Le fameux Ed continue à le harceler, il ne peut pas s’en débarrasser. Et pour cause ! On le comprendra à la fin.
On redécouvre aussi au long de ce roman comment les cathos mènent le jeu, comment l’interdiction d’avorter colle à la vie quotidienne, comment les femmes, comme les petits garçons face aux curés pédophiles, ne sont que quantités négligeable quand il est question  du plaisir des hommes.
Un livre très vivant, très riche en tout petits détails de la vie intime et des pensées, un peu amer aussi, forcément.

Smile de Roddy Doyle, 2018 aux éditions Joëlle Losfeld. Traduit par Christophe Mercier. 250 pages, 19,50 €

texte © dominique cozette

 

Trois fois la fin du monde

C’est le titre du livre de Sophie Divry qui, comme son nom l’indique, est de Montpellier. Livre extrêmement sinistre mais pas désespéré ! Le jeune homme, Joseph,  qui est notre héros tombe lors d’un braquage où son frère est tué sous ses yeux par les flics. Lui-même a juste voulu aidé son frère Tonio alors qu’il n’a pas une mentalité de voyou. Il n’a plus personne dans la vie, plus de parents ni de nana quand il est envoyé en prison. Et pour lui apprendre à bien se tenir, et aussi parce que son frère avait fait de la tôle et sûrement laissé aux matons un sale souvenir, on le place dans des cellules ultra-cauchemardesques et là, l’on comprend comment un jeune qui peut être repêché sera impitoyablement détruit pas la grosse machine et perdra toute humanité.
Mais, après un accident nucléaire gigantesque, il s’échappe de cet enfer qui a tué la plupart des populations entières. Il apprend qu’il fait partie des rares humains à posséder un ADN résistant et qu’à ce titre, il est recherché pour études scientifiques. Mais il ne peut plus blairer l’humain, il refuse de se rendre dans la zone protégée, commet un acte irréparable et s’en va vivre comme un ermite (débutant) dans un endroit, un hameau déserté, où il n’y a plus d’êtres vivants. Il va redevenir Robinson, apprendre à vivre sans aucun confort ni information ni contact puisque toutes les communications, l’eau et l’électricité ont été coupées. cette solitude absolue, dans un premier temps, lui convient bien. Mais ne risque-t-il pas la folie ? Heureusement pour son mental, il rencontre un mouton qu’il va apprivoiser puis, plus tard, une petite chatte qu’il lui faut aussi amadouer. Ces deux bêtes deviennent sa raison de vivre, il se doit de les nourrir et de les protéger. Mais…
Livre très fort mais il vaut mieux avoir le moral pour en apprécier pleinement le style.

Trois fois la fin du monde de Sophie Divry, 2018,  aux éditions Notabilia. 236 pages, 16 €

Texte © dominique cozette

La grand-mère de Frédéric Pommier

Vous le connaissez, Frédéric, super sympa, qui fait sa revue de presse sur France Inter. Il écrit des livres ou des traités et cette fois, il nous offre un récit plus intime, Suzanne, sur sa grand-mère, cloîtrée dans un EHPAD car, vu son grand-âge et son état de dépendance, impossible de faire autrement. C’est poignant. Dans le premier établissement, Suzanne n’était pas bien traitée, c’est le moins qu’on puisse dire, manque de soin, manque d’empathie, manque de temps, infantilisation, bouffe dégueulasse… jusqu’à ce qu’on lui trouve une autre résidence, plus humaine, plus confortable. On est rassuré.
Mais le livre n’est pas qu’une charge contre cette façon de traiter nos vieux. C’est aussi, à 80%, l’histoire reconstruite de sa grand-mère bien aimée depuis sa naissance en 1922, et même avant, une bien  jolie façon de l’ancrer dans cette presque centaine d’années qu’elle a traversées avec plaisir, amour, enthousiasme, énergie. Et liberté. Car elle a été une femme libre, plutôt casse-cou, cash, pleine d’allant et de force, de projets. Elle a connu le grand amour, le seul, le vrai mais dont le cœur a lâché trop tôt. Ils ont eu quatre filles qui portent toutes un nom de fleur, Iris, Rose, Violette et Marguerite, et un petit garçon, Paul, rêve du papa, mort hélas juste quelques jours après être né. Elle a connu la solitude, ne voulant pas « refaire » sa vie mais a repris goût aux activités professionnelles, travaillant dans des cabinets d’avocats, le domaine de feu son époux.
L’histoire bien sûr importe mais le plus beau du livre, c’est la façon dont Frédéric Pommier nous restitue les couleurs des années traversées, en touches expressionnistes qui les rendent fleuries, odorantes, sonnantes et parfois trébuchantes. La poésie du temps passé nous attrape par la main quand d’un seul coup, bim ! quelques lignes sur ce foutu EHPAD vient interrompre le charme. Qu’à cela ne tienne, on le retrouve au chapitre suivant, on retrouve la Suzanne bien vivante et sa manière « virile » de conduire sa voiture, le récit de ses innombrables voyages, l’achat ou la revente de ses maisons avec les beaux arbres dont elle tombait amoureuse, les années noires de la guerre, l’occupation, les « Boches », puis les incursions à Paris, concerts et théâtre qu’elle adorait.
C’est un très joli livre, un très bel hommage à une grande dame, c’est ainsi que je l’imagine, qui peu à peu, sombre dans le brouillard d’une vieillesse ingrate. Mais une femme qu’on n’oublie pas lorsque le livre est refermé. Ce matin, les amis de radio de Frédéric ont évoqué le livre car il figure dans le Parisien. Alors, j’ai appris que Suzanne vit toujours, mais en est-elle encore consciente et doit-on s’en réjouir ? Question délicate.

Suzanne de Frédéric Pommier, 2018 aux Editions Equateur. 236 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

Nicolas Fargues nous encameroune

Attache le coeur est un petit livre vite lu mais bien lu car il relate, par de courtes anecdotes bien senties, les clichés d’une françafrique camerounaise souvent mal embouchée, le racisme petit-blanc ou l’inverse, comment se vit-on quand on est de là-bas ou qu’on vient d’ici (de Paris, d’Europe), universitaire ou pas, femme ou homme, blanc ou noir, vieux ou jeune, bosseur ou branleur, riche ou pauvre, con ou pas, naïf ou cynique… C’est toute une galerie de portraits criants de vérité, enfin je n’en sais rien mais ça le semble, qui nous interpellent parfois de leurs voix chantantes si africaines, avec un glossaire au début du livre pour mieux comprendre.
Entre les expats, les ex-expats, les missionnés français qui viennent au Cameroun pour de vagues collaborations qui ne servent à rien, les tatas et tontons qui conseillent les plus jeunes, ce gros répugnant de petit blanc qui vit là parce que les petites putes noires sont enthousiastes et pas chères, ce grand beau black si différent mais qui devient aussi macho que les autres quand il s’installe avec une nana, cette mère et ces filles qui se font belles pour retourner au pays, ces voyageurs bloqués à Roissy une semaine parce que la compagnie du Cameroun n’a pas payé sa taxe d’aéroport… c’est un régal de situations qu’on ne lit pas ailleurs, surtout que Nicolas Fargues passe facilement d’un côté à l’autre avec talent et ironie.
Réjouissant.

Attache le coeur de Nicolas Fargues, 2018 chez P.O.L. 150 pages, 16 €.

Texte © dominique cozette

Ça raconte Sarah

Pauline Delabroy-Allard, pour son premier livre, s’offre le luxe d’être éditée par Minuit. Et c’est mérité, ce roman est une bombe. Elle éclate par fragmentations sans jamais cesser de te toucher. Pas de répit. C’est aussi le principe de cette histoire d’amour : pas de répit…
Ça raconte Sarah c’est la rencontre de deux femmes, jusque là hétéro, qui sont d’abord séduites sur un mode amical et très vite, tombent follement amoureuses. C’est la première fois pour chacune d’adorer une femme. Elles n’en peuvent plus. Celle qui raconte menait sa petite vie simple de prof et mère d’une fillette qu’elle partage plus ou moins avec le père. Sarah, c’est le tsunami qui débarque, l’embarque, la noie dans un tourbillon d’inextinguible passion. Elle est premier violon d’un quatuor, très souvent en tournée au province ou à l’étranger. Loin l’une de l’autre, elles deviennent folles, elles sont complètement obnubilées, habitées, manipulées par ce besoin de l’autre. Rien d’autre n’existe, ou du moins n’a d’importance. Cette passion dévorante finit pas être invivable, terrifiante, impossible.
Et puis Sarah a un cancer du sein qui la tue. On l’apprend dès le début. Que va devenir la narratrice ? C’est l’objet de la deuxième partie du roman, tout aussi dense, intenable, invivable que l’amour. C’est l’horreur, la fuite en avant, la perdition, l’horreur. Mais raconté avec une telle urgence, comme l’amour, qu’on est sonné. Ce qu’elle vit, c’est comme un cancer, impossible à soigner, rien ne peut plus exister après Sarah, même si Sarah avait rompu avec elle avant sa maladie. Loin de tout, ayant coupé les ponts, tous les ponts, comment peut-on s’en sortir lorsqu’on est atteint une affection aussi sauvage ?
Très très fort !

Ça raconte Sarah par Pauline Delabroy-Allard. 2018 aux éditions de Minuit. 190 pages, 15 €

texte © dominique cozette

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