Les cent derniers jours est un roman roumain écrit par un Anglais né en Tunisie et de mère belge, qui parle donc très bien le chti. Il s’agit de Patrick McGuinness, prof de littérature française à Oxford. Il a vécu entre autres en Roumanie, et y revient en 89 pour un remplacement scolaire. C’est ainsi que débute le livre avec ce héros qui semble être son double. Lui non plus ne sait pas que le régime va s’effondrer dans cent jours et que le couple de dictateurs — dit-on une dictatrice ? — autrement dit les Ceausescu (je ne trouve pas de cédille pour le s) seront exécutés publiquement après un procès expédié.
Notre héros, un jeune homme, a postulé pour ce remplacement car il y avait moins de concurrence que pour Barcelone et autres villes plus glamour. Sans même un entretien d’embauche, on le loge dans un appartement encore empli des meubles, objets, disques, livres et vêtements d’un certain Bellanger. Là, il est pris en main par Léo, son supérieur, un mec rond, sympa, buveur, bouffeur, qui lui ouvre les portes du versant privilégié de ces régimes contraignants, sauf pour le parti et ses amis. Ils ne manquent de rien, mais notre héros découvre avec un certain effroi le traitement réservé à la population : disette, coupure régulière de l’eau, du gaz, de l’électricité, magasins vides où tu fais la queue des heures pour essayer d’avoir n’importe quoi, délations, trahisons. Il comprend que tout le monde ment, même Léo et comprend aussi qu’il est bon de mentir au troisième degré : à la fin, personne ne sait pour qui roule l’autre, pourquoi tout le monde est espionné, par la police régulière, l’armé, la police secrète, privée etc. La duplicité fait place à la triplicité, le marché noir bat son plein, les amis de Léo ont les bras dans fange politique jusqu’aux épaules. Il y a celui qui, proche du régime, rédige ses mémoires, livre de mémoires soft et laudatrices d’un côté qui paraîtra en Roumanie, livre de mémoires réelles et scandaleuse qui sortira à Paris, dans le cercle des intellos, et pour lequel notre héros l’a aidé. L’auteur sait à quoi il s’expose, mais il le fait.
Notre héros tombe amoureux d’une superbe créature qui se joue de lui, disparaît en Allemagne ou en France, réapparaît sans prévenir : elle est la fille d’un ministre hyper classe, comme elle, paré de tous les vêtements, parfums, montres que l’on ne trouve pas à Bucarest. Quels sont les sentiments de cet homme, apparemment affable, pour lui ? Quel jeu jouent le père et la fille, et tous les autres ?
Pendant ces cent jours, le mur de Berlin s’écroule, les autres dictatures s’effondrent et bientôt, Timisoara va se soulever contre le tyran. C’est le début de la fin pour le couple présidentiel. Bucarest est à feu et à sang, fin du règne. Notre héros, aidé de Léo, peut s’enfuir mais il est tombé amoureux d’une autre femme, une chirurgienne qui le lui rend bien, et il hésite.
C’est un roman très intéressant au niveau des mœurs de ces régimes qui régnaient (et règnent hélas encore dans de nombreux pays) par la terreur et la misère. On y voit comment Ceausescu détruit tout ce qui n’est pas dans la ligne du Parti à coup de boules de déstruction et comment il hérisse la ville d’immeubles précaires, hideux, sans confort. On y sent la mort, le désastre, l’ennui, la peur, le rétrécissement de tous les espoirs. Pour autant, ça se laisse lire sans donner le cafard puisqu’on est dans la peau de cet occidental dont on devine qu’il va s’en sortir.
Les cent derniers jours de Patrick McGuinness, 2011. 2013 aux Editions Grasset, 496 pages, traduit par Karine Lalechère. Paru aussi en poche.
Prix du premier roman étranger 2013.
Texte © dominique cozette