Quelle histoire biscornue !

La réalité dépasse la fiction dans l’histoire et la généalogie de Maria Larrea dans son récit Les gens de Bilbao naissent où ils veulent. Au début, on a du mal à y croire, mais pourtant si, tout est vrai. Ça se passe à Bilbao, comme le dit le titre. Sa grand-mère paternelle est une prostituée obèse qui, enceinte d’un client et très pieuse, garde le bébé, un garçon, et confie son éducation aux Jésuites. Il est le père de la narratrice. Mais plus tard, ado, quand il va voir sa mère sur le trottoir, son monde s’écroule.
De l’autre côté, sa grand-mère maternelle ne veut surtout pas de cette petite fille qui s’est nichée en douce dans son ventre, elle accouche vite fait et va déposer la môme dans un couvent. La fillette est sage, travaille bien et surtout, elle est ravissante, bien que petite. Mais un jour, quand elle a dix ans, sa mère la reprend pour qu’elle s’occupe des petits qui sont nés entre temps, et puis qu’elle soulage les excès sexuels de son père, violent.
Chacun des deux vit sa vie de façon assez improbable vu leur passif mais lorsqu’ils se rencontrent, très jeunes, ils sont submergés par un coup de foudre réciproque. Ils fuiront le régime franquiste et s’installeront à Paris. Elle devient femme de ménage et lui, gardien du théâtre de la Michodière. Mais lui aussi est violent et il boit. Leur fille, la narratrice, quant à elle, se rend bien compte qu’il y a décalage entre sa vie et celle de ses amis de classes, des bourgeois en fait. Il lui faut se montrer à la hauteur, être soignée, polie. Elle est admise à la Fémis. Et là, elle rencontre Jodorowski, le réalisateur barré, fondu de tarot. Subjuguée, elle s’y met, rencontre une tireuse de cartes qui lui fait une double annonce qui va bouleverser sa vie. Dès lors, elle se met en quête du passé de ses ascendants, fait tout ce qui est possible pour connaître le secret de sa naissance.
C’est passionnant, cette histoire qui a existé et enflammé les faits divers ibériques. Bilbao devient l’endroit où elle sent qu’il s’est passé quelque chose de déterminant dans sa vie et celle d’autres personnes. Une histoire qui nous tient en haleine !

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Larrea. 2022 aux éditions Grasset. 224 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Un très grand amour

“Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais”. Ainsi commence ce petit livre, Lettre à D. Histoire d’un amour, écrit par un homme qui a aimé et aime encore sa femme qui souffre d’une maladie douloureuse. Il raconte leur histoire et surtout tout ce qu’elle lui a donné, voire sacrifié de façon totalement généreuse, pour qu’il poursuive sa carrière alors qu’elle en avait une plus belle devant elle.
Malgré ses échecs, elle l’a toujours soutenu, et tellement qu’il est parvenu au sommet de ses ambitions.
Mais il regrette. Il regrette énormément. Il regrette de l’avoir, dans un de ses livres, celui qui l’a lancé, de l’avoir plus ou moins humiliée en minimisant son importance, son amour et son rôle, en bon macho qu’il a été.  Il regrette parce qu’elle n’a pas été aimée de lui comme elle l’aurait mérité. Dans cette lettre, il analyse son comportement haïssable, essaie de se souvenir comment il a pu agir ainsi, à cette époque. Pour finir par sa déclaration incandescente. Très beau témoignage.
(J’apprends en faisant quelques recherches qu’ils se sont donné la mort ensemble un an plus tard.)

Lettre à D. Histoire d’un amour, par André Gorz. 2006. 80 pages, est en poche chez Folio,

Texte © dominique cozette

 

Un livre pour rire en ramant

Roman Fleuve est l’excellent titre du livre de Philibert Humm car l’épopée se passe sur un fleuve nommé la Seine. Effectivement, trois copains tendance bras cassés décident de la descendre jusqu’à la mer. C’est l’histoire vraie d’une aventure farfelue contée avec un style quelque peu erroné, je veux dire plein de rodomontades, d’expressions surannées, de passés simples et d’imparfaits de subjconctif servis parfois mal-t-à propos pour ajouter au côté saugrenu de l’affaire.
Acheté sur le Bon Coin (coin) par manque de moyens, voici un canot vieillot, peu avenant, qui aurait appartenu à Véronique Sanson selon le revendeur,  Slim Batteux, musicien que j’ai personnellement approché lors de séances de pub (et dont la femme était à l’agence et la fille portait un nom indien, ce n’est pas dans le livre). Il ne peut transporter que deux personnes mais ils sont trois, il faut dire que le troisième, sorte de grosse feignasse qui prétend souffrir du dos pour éviter toutes les corvées, est assez pénible comme ami et compagnon. Ils ont ajouté à l’embarcation une tringle à rideau comme mât et un rideau de douche comme voile. Ce n’est pas avec ça qu’ils vont battre des records. Sinon, ils sont deux à ramer à tour de rôle.
La descente, en rien comparable à Délivrance, quoique…, ne se passe pas sans heurts. Nos trois jeunes hommes vont devoir faire face à un naufrage avec perte de denrées, d’objets inutiles ou précieux, à des bivouacs dans des conditions pourries, vont faire des rencontres plutôt sympathique mais parfois proches de la garde à vue et surtout, vers la fin et malgré l’interdiction de naviguer sur leur coque de noix qu’ils ont appelée Bateau, cohabiter avec d’effroyables et énormes tankers.
Ce livre est très drôle mais aussi instructif car l’auteur nous y apprend des tas de choses historiques, géographiques, artistiques et autres, nous raconte des anecdotes à se plier, nous parle de Jerome K. Jerome forcément, du mascaret, cette fameuse vague tueuse qui déferlait sur la Seine, des vendeurs du Vieux Campeur, de son aversion pour les cygnes, d’Orphée, d’Icare… En bref, et bien au sec dans notre lit ou notre fauteuil, on ne s’ennuie jamais en lisant cette poilade que je vous recommande chaleureusement. Et ça ne rame pas, je vous assure.

Roman Fleuve de Philibert Humm, 2022 aux éditions Equateurs. 288 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

Monsieur Romain Gary passionnant

Monsieur Romain Gary, sous-titré Ecrivain réalisateur, 108 rue du Bac, Paris VIIe Babylone 32-93* est le deuxième tome de la trilogie de Kerwin Spire, spécialiste de l’écrivain qu’il suit à la trace pour nous donner une œuvre extraordinairement vivante. Je n’ai pas lu le premier mais vais me précipiter dessus car l’écriture et la relation des faits sont formidables, comme si on était une petite souris (le rêve de tout le monde) dans le bureau du général de Gaulle ou sur le plateau où il tourne son premier film d’après un de ses textes, avec Jean Seberg dans une scène érotique qui sera en partie censurée. Jean Seberg qu’il est en train de perdre…
Mais d’abord, il y a leur rencontre et le début de leur amour, secret, car ils sont tous deux mariés. La femme de Gary ne lâchera pas facilement le morceau mais avec beaucoup d’argent à la clé, elle finira par accepter que son mari devienne celui d’une autre.
Nous sommes en 1960, Gary revient de L.A où il était consul, situation à laquelle il va renoncer pour se consacrer à l’écriture, sa passion. Sans toutefois quitter les coulisses du pouvoir, passionné qu’il est par de Gaulle, dont il fut Compagnon de la Résistance, et Malraux. Seberg tourne beaucoup et beaucoup à l’étranger. Il voyage énormément pour la rejoindre, il est scotché par sa beauté.
On s’installe dans son bureau où il écrit, il écrit. Sa pièce de théâtre en laquelle il avait mis tous ses espoirs sera descendue en flèche par tous les critiques importants de Paris. Mais il continue à produire, des essais, des romans, c’est une figure de St Germain des Prés, il est admiré, il a eu le prix Goncourt quelques années avant avec Les Racines du ciel. On partagera aussi sa déception cinématographique et assistera à la prise de position de Jean pour la cause des Noirs qui fera d’elle une indésirable surveillée par le FBI et démolie par l’opinion publique.
« Kerwin Spire, pour rendre plus authentique son récit , s’est rendu à L.A pour mettre ses pas dans ceux de Gary, retrouver des témoins de cette époque (notamment son ancienne secrétaire Odette de Bénédétis qu’il courtisa mais celle-ci refusa de lui donner l’enfant qu’il sollicitait ), les lieux où il vécut : il a également consulté les Archives diplomatiques. Il en résulte une narration réaliste, originale, attachante, empreinte d’humour qui met en scène un homme généreux, un fin diplomate, un homme simple, disponible, mais brillant et plein d’aisance, qui révèle aussi un peu plus les tourments de cet homme facétieux, mystificateur, polymorphe dans ses identités . » (note piquée à Babelio).
Chaque chapitre nous réserve des surprises, un peu comme si on partageait son intimité, de Gaulle est drôle, les petits bouts de dialogues sont irrésistibles.Un livre extrêmement plaisant à déguster.
*Babylone 32-93 était son numéro de téléphone, pour les jeunes qui ne savent pas ce que signifie cette expression.

Monsieur Romain Gary, Ecrivain réalisateur, par Kerwin Spire, 2022 aux éditions Gallimard. 230 pages. 20,50 €

Texte © dominique cozette

La force des femmes et celle de Denis Mukwege

La force des femmes de Denis Mukwege (prononcer moukouégué) est le livre formidable d’un homme formidable. D’avance, je vous demande d’excuser la médiocrité de mon article qui tient au fait qu’il y a tellement de sujets, tellement de densité qu’il est très difficile d’en rendre compte. Mais je vous assure que ce livre est absolument essentiel si vous voulez en savoir plus sur l’état de la lutte contre les violences faites au femmes dans le monde entier, que ce grand  homme aborde en tentant de faire évoluer les lois et les mentalités.
Il consacre sa vie à la défense des femmes, à leur protection, à leur réparation, à leur réinsertion, c’est un profond féministe qui ne comprend pas comment des hommes peuvent infliger autant de cruauté aux femmes et aux fillettes, voire aussi aux toutes petites filles. Car la République Démocratique du Congo — qui porte très mal son nom — est l’état où le viol, comme arme de guerre, mais aussi civil, est championne, avec l’Inde.
Médecin, Mukwege s’est spécialisé dans la chirurgie gynécologique, après cinq ans d’études et de pratique en France et, malgré un poste enviable qu’on lui proposait, il a préféré retourner dans l’inconfort de son pays pour aider celles qui sont torturées sans aucune compassion. Les femmes, là-bas, ne sont pas considérées, elles peuvent mourir d’un accouchement difficile, qui s’en soucie. Même pas le mari. C’est pourquoi il a décidé de construire avec de pauvres moyens un hôpital dans un village où toutes celles qui sont blessées sont accueillies avec humanité et soignées.
Ce livre ne se limite pas aux soins et à son hôpital, il s’intéresse au sort des femmes du monde entier — un long chapitre décrit le peu de cas qu’on fait dans nos pays occidentaux des plaintes pour viol  — propose des solutions, est souvent convié à l’ONU, il y donne des conférences pour sensibiliser le monde entier au problème. Il a été couronné du prix Nobel de la Paix en 2018, ce qui a rendu sa parole plus audible.
Mais ce n’est pas tout. Mukwege veut comprendre aussi ce qu’il se passe dans la tête des tortionnaires et des hommes violents. Il consacre une bonne partie de son livre à l’étude du masculinisme, la part de l’éducation et des religions.
Il ne faut pas s’étonner que cet homme dérange. En premier dans son pays qui non seulement ne l’a jamais soutenu mais lui met des bâtons dans les roues. Par ailleurs,Trump et quelques autres dirigeants de pays totalitaires ne lui ont jamais donné leur voix pour faire avancer ses projets.
Il évoque largement aussi la non-reconnaissance des millions de femmes maltraitées, violées et tuées durant les guerres, alors qu’on s’apitoie facilement sur les grands blessés de guerre. Encore une profonde injustice.
Pour finir, ce médecin que certains pays s’arrachent, revient toujours dans son pays inconfortable car les femmes le réclament et qu’il ne peut les abandonner à leur sort. Il n’en tire rien, il ne peut pas sortit sans escorte vu qu’il a été menacé et agressé plusieurs fois. Ce livre a été achevé avant le recul du droit à l’IVG aux Etats-Unis et aussi aux crimes de guerre (viols…) perpétrés par les soldats de Poutine. On peut imaginer son découragement face au recul du respect que les hommes portent aux femmes.

La force des femmes par Denis Mukwege, 2021, traduit de l’anglais par Marie Chuvin et Laetitia Davaux. Aux éditions Gallimard. 400 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

L’enfance de Neal Cassady

C’est pas tout récent, bien sûr, mais je continue à m’intéresser à toute la mouvance de la Beat Generation comme d’une famille dans laquelle je me suis invitée. Parce qu’ils se connaissent tous, ils écrivent les uns et les unes, sur les autres, même leurs femmes et leurs amoureuses s’y sont mises, je m’y sens un peu comme chez moi. Enfin, dans l’écrit s’entend. Neal Cassasy a écrit Première Jeunesse peu après sa rencontre avec Kerouac et Ginsberg, qui est le premier tiers de sa biographie et sera publié en 1971, trois ans après sa mort misérable.
Une partie du livre trace sa généalogie, ses parents, grands-parents, avec précision, je me demande comment ils ont fait. Ensuite, c’est Neal qui prend sa plume et commence à se raconter à l’âge de trois ans, quand sa mère, surchargée d’enfants relous, se sépare de son deuxième mari alcoolo, père de Neal (il s’appelle Neal d’ailleurs) et lui file le gamin. Ça ne va pas être rose, il vit dans un univers de moins que rien, de cassos, d’alcoolos et de brutes mais il s’y fait, même quand il doit ramasser son père ivre mort pour le ramener dans l’espèce de foyer si l’on peut dire, où ils vivent. Son père a fait une formation de coiffure mais est incapable de bosser, sauf parfois le samedi, quand le salon pouilleux d’à côté est plein. Ce jour-là, il ne boit pas mais on imagine qu’il tremble donc je suppose qu’il ne tient pas les ciseaux.
Le gamin vit parmi ces abrutis des bas-fonds de Denver, néanmoins, il ira à l’école, et en sortant, passera son temps dans le cinoche puant et pourri du quartier. Il est sidéré par le film « le Comte de Monte Cristo  » à tel point qu’il empruntera le livre à la bibliothèque et deviendra un lecteur invétéré. Ce qui explique qu’il écrive avec un tel brio.
Il fait des phrases très longues et plutôt alambiquées et, à la fin de texte, sa veuve explique qu’il était dingue de Proust et qu’il s’entraîner à écrire comme lui. Etonnant.
Et puis un jour, le père sera déchu de la garde et c’est un des grands frères (premiers enfants de sa mère) qui prendra la relève, un type violent et cruel. Mais ils sont toujours à la marge.
Après ce texte ont été publiés des fragments de ses écritures qui confirment son talent d’observateur mais aussi son goût très prononcé pour les digressions, c’est assez drôle car il s’en aperçoit et tente d’y mettre un frein. Il écrit sans vergogne ses conquêtes féminines, ses abus de toutes sortes, ses innombrables vols de voiture. Un vraie curiosité pour qui aime ce personnage et ses amis. C’est mi-cocasse et mi-tragique mais très instructif sur cette période de la nouvelle conquête de l’ouest.

Première Jeunesse de Neal Cassady (The First Third), traduit par Gérard Guégan, après une préface du très important libraire-éditeur qu’était Lawrence Ferlinghetti. Edition 10/18. 310 pages. (Photo de la couv : Allen Ginsberg).

Texte © dominique cozette

 

Un pur délice, ce petit ouvrage

J’avais eu l’occasion de faire connaissance avec Clémentine Mélois qui est, en plus d’autrice, une plasticienne, dans une expo de St Germain des Prés où elle exposait des fausses couvertures de livres. C’était bien réalisé mais j’avais déjà vu sur les réseaux ce concept satirique, du coup bon. Mais on vient de m’offrir ce petit ouvrage intitulé Dehors, la tempête, expression tirée de Mythologies de Roland Barthes. Ceci donne le ton du livre qui est une sorte d’ode à la littérature ou à la pensée littéraire ou à la pensée tout court. C’est extrêmement plaisant à lire, ce sont des petits chapitres où Clémentine Mélois évoque, par exemple, ce qui pourrait être encore merveilleux pour nous, de nos jours, et pourquoi nous avons perdu le sens de l’émerveillement, non seulement de celui de nos ancêtres (qui n’en revenaient pas que l’on pût griller ensemble deux poissons venus de deux régions maritimes éloignées), mais aussi de notre enfance avec ses petits rêves que, plus tard nous ne réaliserons pas (par ex. manger un paquet de chamallows avant de dîner, ne pas me brosser les dents, de regarder cinq films d’affilée…).
Un autre chapitre sur des questions saugrenues : est-ce que Pablo Neruda laissait de côté la croûte de sa pizza, est-ce que Saint John Perse mâchouillait le bout de ses styles. Ou un autre sur les gens dans le même train qu’elle et ce qu’elle dit sur eux, tout ça avec un humour d’une belle finesse. Ou aussi des questions plus personnelles avec comment elle organise sa bibliothèque et comment « lui » le fait. Elle cite une liste de phrases de la vie moderne qu’aucune personne n’aurait comprises il y a des décennies (j’ai bloqué un troll sur Insta. Il a je ne sais combien de followers…) et nous fait découvrir le journal d’un amiral du 17ème siècle, Samuel Pepys qui il décrit des choses ordinaires pour lui mais qui nous sont inimaginables.
Il y a des tas de petites pensées qui la traversent et qui nous interpellent sinon en appellent d’autres, aussi personnelles, venant de nous. Des remarques. Et un chapitre très drôle consacré à la définition de l’art par des gens d’esprit.
Enfin (mais je résume, c’est plus riche que ça), un chapitre extraordinairement bien écrit sur les fameuses réunions interminables et inutiles dans les entreprises qui les prennent très au sérieux alors que finalement, ça ressemble plutôt à une mascarade. De son seul point de vue puisque les autres croient dur comme fer à leur importance.
Pour finir, sachez que Clémentine Mélois fait partie de l’Oulipo, quand même, qu’elle écrit beaucoup pour les enfants et qu’elle passe aussi à la radio. En tout cas, si vous devez faire un tout petit cadeau pas cher pour noël à quelqu’un qui aime la langue française, précipitez-vous sur ce petit poche !

Dehors, la tempête par Clémentine Mélois, 2020 chez Points. 6,30 €

Texte © dominique cozette

Pour les aficionados de Levé

Edouard Levé, je l’ai connu en 2001 grâce à Martine C. qui avait ouvert une super galerie à Malakoff où elle exposait des artistes peu ou pas encore connus, rares, exigeants. C’est là que j’ai pu apprécié le talent protéiforme de cet artiste, plasticien, photographe, écrivain, poète… Puis je suis venue à ses écrits, notamment le si original « œuvres » où il énumère toutes les création qu’il a en tête, 533 en fait, et qu’il ne réalise pas. Impressionnant. Il a fait des photos de ses rêves à savoir photographier les personnes qui y étaient présentes dans le décor reconstitué. Il a photographié Eugène Delacroix, Raymond Roussel, André Breton, André Masson, Fernand Léger, Henri Michaux, Georges Bataille, Emmanuel Bove, entre autres, non pas ceux que l’on connaît mais leurs homonymes trouvés dans l’annuaire. (voir ici dans la fameuse galerie La Périphérie, aujourd’hui disparue, une bonne partie des œuvres de Levé.) Son dernier livre s’intitule Suicide. Après avoir déposé son manuscrit chez son éditeur P.O.L., Edouard Levé s’est suicidé. Il avait 41 ans, en 2007.
Il écrivait beaucoup, tout le temps. Et moi qui ai tellement apprécié son travail, je me suis précipitée sur Inédits, une partie des écrits non publiés de l’artiste qui couvre un vaste panorama de genres littéraires :  chapitres de roman, fictions, promenades dans Paris, un abécédaire, des textes autobiographiques, des poèmes, des textes de performances, des chansons, des essais, etc. « Un surprenant cabinet de curiosités littéraires redéfinit ainsi l’image d’un auteur qui se voulait sans style, refusant la limitation que celui-ci impose au créateur. » (L’éditeur).
Bien sûr, tout ne m’a pas forcément ébloui mais il y a beaucoup à prendre dans cet ouvrage qui montre qu’au niveau littéraire, Levé avait un sacré style. Il y a un article étonnant concernant l’écologie : ses réflexions sont d’une actualité brûlante, et d’un dépit dévastateur.
Si vous ne connaissez pas Edouard Levé, lisez d’abord ses autres livres, notamment Autoportrait, remarquable de par sa forme et son fond, publié en poche.

Inédits d’Edouard Levé, 2022 chez P.O.L. Editions, 510 pages, 24 €

Texte © dominique cozette

(ici, deux portraits de lui, chacun constitué par un côté de son visage)

La petite menteuse

Vous avez peut-être entendu parler de ce livre, La petite menteuse, écrit par Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire. Il conte le viol d’une gamine de quinze ans puis l’aveu, le fait que c’était un mensonge, pendant que l’homme, faussement accusé, passait trois ans en prison.
Pour une fois, je suis partagée sur mon ressenti. D’habitude, je vous parle uniquement des livres qui m’ont plu, un peu ou beaucoup car je ne vois pas l’intérêt de dézinguer des ouvrages qui ne rentrent pas dans mon nuancier de goûts personnels.
Ce livre, ce n’est pas qu’il m’ait déplu, c’est plutôt que je n’en saisis pas l’argument. Au moment du procès en appel, une avocate est choisie par le jeune-fille qui est devenue majeure au moment d’avouer son mensonge. Et elle suppose que cette femme saura mieux la comprendre (dans son déni) que l’homme, célèbre avocat qui l’avait défendue lors du premier procès. Au début, l’avocate n’est pas au courant du mensonge, cela viendra après l’étude du dossier et le début du procès.
Dès qu’elle saura, elle va dérouler toutes les raisons qui ont amené la gamine à inventer ce mensonge. Et les raisons sont nombreuses.
C’est habile, c’est défendable, bien sûr, on y apprend pas mal de chose sur le déroulé d’une affaire mais comme je l’ai vu écrit dans une critique, c’est assez politiquement incorrect dans notre société actuelle où l’on se bat pour que la parole des femmes soit écoutée et crue. Jusqu’à en excuser les débordements ? Je ne sais pas, je n’ai pas, finalement, adhéré à la cause, au soutien tellement manifeste de cette jeune-fille — par ailleurs assez maltraitée par les garçons de son collège car elle a eu trop tôt des gros seins qui les ont appelés à abuser de sa candide féminité — qu’il sous-entendait la condamnation de tous ceux et celles qui l’avaient … entendue et crue.
Cela et son contraire donnent au livre du grain à moudre et de bonnes raisons d’être lu et discuté. C’est un ouvrage très intéressant. Le fait qu’on a laissé tomber la piste du malheureux innocent qui a séjourné en prison pour rien  m’a chiffonnée… Mais ce n’est pas le sujet.
On comprendra mieux la démarche de l’autrice, pour ceux et celles que ça intéresse, en écoutant comment elle expose son livre (lien ici). Oui, c’est complexe.

La petite menteuse de Pascale Robert-Diard, 2022 à l’Iconoclaste. 230 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

L’envers des McDo

En salle est le premier roman  (c’est écrit roman sous le titre mais ça ressemble beaucoup à un récit) de Claire Baglin. C’est la cohabitation de deux périodes de sa vie marquées par le fast food,  dont la marque n’est jamais citée, et qui était source d’une joie sans nom quand, petite, ses parents l’y accompagnaient avec son petit frère, un gosse vif et quelques peu brutal. Il s’y précipitait en premier, dès que la voiture stoppait, de peur que les parents changent d’avis. Mais aussi source de stress, lorsqu’à vingt ans, elle y travaille. Claire Baglin y alterne ses périodes « heureuses » mais pas toujours, et pénibles. Un paragraphe après l’autre. Le plus surprenant, c’est le langage littéraire qu’elle emploie : simple, tranchant, sonore, factuel, impressionniste. Avec des assemblages de mots étonnants, souvent très populaires piqués de petits mots familiaux. Quel plaisir !
Son père, Jérôme, est un prolo qui travaille à l’usine, sa mère, Sylvie, est peu décrite. Le père fait les trois huit, autant dire que les enfants ne savent jamais quand il rentre, quand il part, quand il est là, si on mange avec lui. Il travaille dur, et dans sa nouvelle usine, il a la possibilité de rapporter des trucs de la déchetterie voisine de l’usine, qu’il stocke, entasse avant le réparer. Il y en a partout, beaucoup de choses inutiles mais comme neuves. La maison est un vrai bordel, on voit la gamine le dimanche soir essayer de rassembler ses affaire pour l’école, perdues dans cet océan de déchets. Elle n’a pas le droit d’y inviter ses copines, sinon la honte. Et puis il y a les vacances, grâce au comité d’entreprise mais le père ne sait pas se reposer. Il aime ses enfants « vous êtes mignons, les titis ». Il examine toujours les objets montés en usine, il aime y reconnaître la fabrication. Et raconte souvent les blagues qu’ils se font entre collègues. Il aime bien l’ambiance de son boulot. L’autrice ne le décrit pas comme quelqu’un de malheureux.
Cette fois, dans la période actuelle, elle bosse dans le fast food. C’est ultra fast. Il faut tout faire à toute allure sans faillir. Sans penser. Ses mains s’y abîment, pèlent, se brûlent, souffrent. Sa tête aussi. Elle n’entre dans aucune relation, elle reste à l’écart, ne mange pas avec les autres. Elle se rend tellement insignifiante que personne n’enregistre son prénom, on l’appelle par le poste qu’elle occupe. Chaque jour invariablement, c’est la tenue à mettre, filet, pantalon, tablier, sur-chaussures, puis les tâches plus ingrates les unes que les autres : l’entretien des machines, des toilettes, de la salle, les frites, le service en salle qui représente le poste le plus cauchemardesque, enfin la caisse et le drive, sortes de planques dont on ne peut pas profiter car elles ne sont que provisoires, chaque « équipière » lorgnant dessus, distribuées par la cheffe selon son gré.
Super livre sur l’aliénation au travail mais sans pathos, plutôt une sorte de regard détaché, tendre et parfois drôle. La cadence du travail y est tellement bien rendue qu’on ne peut plus aller au fast food sans penser à l’enfer que ça représente pour ceux qui y travaillent.
Claire Baglin, une sacrée virtuose de l’écriture. D’ailleurs, les éditions de Minuit ne s’y sont pas trompées.

En salle de Claire Baglin, 2022 chez Minuit. 160 pages, 16 €

Texte © dominique cozette

 

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