Pour les aficionados de Levé

Edouard Levé, je l’ai connu en 2001 grâce à Martine C. qui avait ouvert une super galerie à Malakoff où elle exposait des artistes peu ou pas encore connus, rares, exigeants. C’est là que j’ai pu apprécié le talent protéiforme de cet artiste, plasticien, photographe, écrivain, poète… Puis je suis venue à ses écrits, notamment le si original « œuvres » où il énumère toutes les création qu’il a en tête, 533 en fait, et qu’il ne réalise pas. Impressionnant. Il a fait des photos de ses rêves à savoir photographier les personnes qui y étaient présentes dans le décor reconstitué. Il a photographié Eugène Delacroix, Raymond Roussel, André Breton, André Masson, Fernand Léger, Henri Michaux, Georges Bataille, Emmanuel Bove, entre autres, non pas ceux que l’on connaît mais leurs homonymes trouvés dans l’annuaire. (voir ici dans la fameuse galerie La Périphérie, aujourd’hui disparue, une bonne partie des œuvres de Levé.) Son dernier livre s’intitule Suicide. Après avoir déposé son manuscrit chez son éditeur P.O.L., Edouard Levé s’est suicidé. Il avait 41 ans, en 2007.
Il écrivait beaucoup, tout le temps. Et moi qui ai tellement apprécié son travail, je me suis précipitée sur Inédits, une partie des écrits non publiés de l’artiste qui couvre un vaste panorama de genres littéraires :  chapitres de roman, fictions, promenades dans Paris, un abécédaire, des textes autobiographiques, des poèmes, des textes de performances, des chansons, des essais, etc. « Un surprenant cabinet de curiosités littéraires redéfinit ainsi l’image d’un auteur qui se voulait sans style, refusant la limitation que celui-ci impose au créateur. » (L’éditeur).
Bien sûr, tout ne m’a pas forcément ébloui mais il y a beaucoup à prendre dans cet ouvrage qui montre qu’au niveau littéraire, Levé avait un sacré style. Il y a un article étonnant concernant l’écologie : ses réflexions sont d’une actualité brûlante, et d’un dépit dévastateur.
Si vous ne connaissez pas Edouard Levé, lisez d’abord ses autres livres, notamment Autoportrait, remarquable de par sa forme et son fond, publié en poche.

Inédits d’Edouard Levé, 2022 chez P.O.L. Editions, 510 pages, 24 €

Texte © dominique cozette

(ici, deux portraits de lui, chacun constitué par un côté de son visage)

Quand Bruno Gibert raconte Edouard Levé

Bon, tout le monde ne connaît pas Edouard Levé, plasticien très intéressant en même temps que très tourmenté, qui s’est pendu en 2007 à 42 ans alors qu’il venait de remettre son dernier livre, Suicide, une fiction, à son éditeur. Le principal medium de Levé était la photo grâce à laquelle il reproduisait des scènes de la vie : ses rêves remis en scène avec les vrais personnes qu’il se donnait le mal de retrouver, des scènes pornographiques (nues) refaites avec des personnes joliment vêtues, pareil pour Rugby — je pense que la photo de couverture du livre fait partie de cette série des portraits de gens (de la campagne souvent) s’appelant Marcel Camus, ou je ne sais plus qui de très célèbre… Et il écrivit quelques livres magistraux, l’Oeuvre qui listait toutes ses idées créatives en trois lignes, Autoportrait qui tissait sa biographies en courtes phrases sans rapport les unes avec les autres.
C’est par Martine Camillieri (merci Martine !) que je l’ai connu, lorsqu’elle l’a exposé dans sa galerie la Périphérie, à Montrouge : j’ai été tout de suite séduite par son travail. Et tellement orpheline lorsqu’il est mort !
Bruno Gibert, l’auteur de les Forçats, a connu Ed en visitant ce qui lui tenait lieu d’atelier, son studio miteux, où il avait peint un tableau monochrome fait avec sa merde et qu’il avait laissé sécher sur le balcon des mois. Amis depuis ce temps, ils cherchaient chacun comment développer leur notoriété artistique, comment s’imposer dans ce vaste domaine, comment mettre leurs idées en pratique. Ils s’amusaient, buvaient, draguaient, papotaient des nuis entières mais ne foutaient pas grand chose bien qu’ils fussent tous deux diplômés dans des disciplines sérieuses.
Bruno Gibert raconte surtout des anecdotes, des flashes de souvenirs, pas forcément sur Ed mais beaucoup quand même. Ed se sentait à l’écart des choses, loin de la vraie vie d’artiste. Il était peut-être un peu snob. Lorsqu’il a réussi à vivre dans le marais, il était content d’y croiser des people, d’aller saluer du monde aux vernissages, de se faire connaître. Mais pouvait aussi disparaître des jours entiers. Puis une galerie, Loevenbruck je suppose,  l’a lancé et il a vite fait partie de la jeune scène artistique qui compte. Mais il était mal à l’aise, ne savait pas parler aux enfants, ne comprenait pas ce qu’était l’amour et comment on pouvait vivre ensemble dans le mariage. Car Bruno Michel était non seulement marié, mais il avait une enfant et un vrai travail. Donc leurs routes s’étaient éloignées.
Difficile de résumer ce style de livre, ce n’est pas un roman, ni un éloge de l’ami disparu ni une sorte de bio de l’auteur, plutôt une petit vademecum sur comment on pouvait devenir artiste conceptuel (ou pas) à l’aube du nouveau millénaire.
En tout cas, très instructif et intéressant !

Les forçats de Bruno Gibert, 2019 aux éditions de l’Olivier. 154 pages, 16 €

Texte © dominique cozette

Mon autoportrait par un grand artiste.

Edouard Levé, plasticien et écrivain d’une qualité supérieure, suicidé en 2007 à l’heure où sortait son livre, Suicide, sur le suicide d’un autre, fictif peut-être, a écrit en 2005 un bouquin formidable sur lui-même : Autoportrait, chez P.O.L. Il commence comme ça :
 » Adolescent, je croyais que La vie Mode d’Emploi m’aiderait à vivre, et Suicide Mode d’Emploi à mourir. J’ai passé trois ans et trois mois à l’étranger. Je préfère regarder sur ma gauche. Un de mes amis jouit dans la trahison. La fin d’un voyage me laisse le même goût triste que la fin d’un roman. J’oublie ce qui me déplaît. J’ai peut-être parlé sans le savoir avec quelqu’un qui a tué quelqu’un. Je vais regarder dans les impasses. Ce qu’il y a au bout de la vie ne me fait pas peur. »
Et tout le livre est fait de courtes phrases le concernant sans vraiment de lien les unes avec les autres. Mais le portrait qui s’en dégage est le sien.

Je me dis que je devrais racheter un exemplaire de ce livre et noircir toutes les phrases qui ne me concernent pas. Ce qu’il resterait serait mon autoportrait, par Edouard Levé. La classe.

Pour en savoir plus sur cet artiste vraiment pointu, très beau portrait de Télérama ici

Texte et dessin © dominique cozette

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