La femme révélée

Comment parler de ce roman La femme révélée de Gaëlle Nohant ? C’est une histoire extrêmement romanesque que nous livre l’autrice, très imagée, même, je voyais les faits comme dans un film et c’est vrai que c’est très réussi. D’ailleurs, notre héroïne est photographe, elle a donc vraiment le sens du visuel. L’autre élément très réussi, c’est qu’elle écrit comme si c’était le témoignage d’une Américaine à Paris, et on se prend vraiment au jeu de ses balades dans ce vieux Paris des années 50, à St Germain des Prés, Montmartre et le long de la Seine. Puis, plus tard, à Chicago qu’elle semble si bien connaître.
L’héroïne du roman est en fuite, elle quitté brutalement un mari dangereux et a même laissé son petit garçon avec lequel il eût été impossible de fuir. La mort dans l’âme, la peur au ventre, et son petit Rolleiflex autour du cou, elle quitte les Etats-Unis et embarque pour Paris, la ville que son cher père, décédé, lui racontait. Ne connaissant rien ni personne, elle trouve un hôtel minable et il se trouve que c’est un hôtel de passe. Elle y noue quelques amitiés dont une fille qui va l’amener à vivre dans un foyer pour femmes, puis trouvera, grâce encore à cette petite bande d’amis, un job de nannie dans une famille rigide. Mais elle ne s’empêchera pas les virées le soir dans les clubs de St Germain des Prés, où elle écoutera du jazz et elle fera de belles rencontres. Mais elle craint toujours de se dévoiler car elle sait que son mari est lancé à ses trousses, c’est un homme puissant qui a de bons réseaux.
A Paris, elle va faire énormément de photos, de chouettes photos qui lui attirent de formidables opportunités.  Cependant, elle recule devant une carrière internationale qui la ferait sortir de l’ombre. Et puis, un jour, elle est draguée par un très bel homme, un Américain en mission à Paris. Elle se donne à lui, elle vibre à nouveau mais ne lui livre rien de sa vie d’avant. Jusqu’au jour où…
Alors, quel est ce frein à mon enthousiasme ? Oui, c’est un roman agréable, on suit cette aventure parfois cousue de fil blanc avec intérêt, d’autant plus que la partie qui se déroule à Chicago à la fin des années 60, y développe avec brio les émeutes raciales suite à l’assassinat de Martin Luther King. C’est vrai que c’est écrit avec énergie, entrain et suspens. Peut-être est-ce un poil trop romanesque ? Oui, ça doit être ça. Parfois, on peut entendre les violons, mais bon, c’est toujours un livre solide et réussi, dans son genre. Pourquoi bouder son plaisir. Oui, pourquoi ?

La femme révélée de Gaëlle Nohant, 2020. Au livre de Poche. 384 pages, 8,20 €

Texte © dominique cozette

Retour à Martha's Vineyard de Richard Russo

Retour à Martha’s Vineyard de Richard Russo jouit d’une critique très élogieuse. Pour tout vous dire, je l’ai trouvé un peu longuet parce que Russo, comme à son habitude, décrit dans leurs détails les plus insignifiants la bio des héros qu’il accompagne, de leurs parents, grands-parents, antécédents divers, scolarité, rencontres. Je ne dis pas que ce n’est pas passionnant mais parfois on a envie d’aller au cœur du sujet sans tous ces détours. Imaginez qu’un pote vous dise « je t’emmène dans un super resto ouvert et autorisé, c’est un peu loin, mais on y va »,  et qu’au lieu de prendre autoroute ou nationales, votre ami préfère vous embarquer dans de sinueuses petites routes de traverse, s’arrête parfois pour vous faire renifler un rameau de mimosa ou vous abreuver à une source divinement fraîche. Puis vous arrivez à mi-chemin, vous avez même la sensation que votre ami, tenaillé par la gourmandise (il vous décrit quelques amuse-bouche) décide d’entrer plus directement dans le vif de l’affaire, mais non ! Il continue à vous balader de vallons en guérets, de sentes en collines… Puis au loin, vous apercevez une folle bâtisse, il vous dit c’est là-bas. Mais… patience, pas encore, jamais directement. Enfin la récompense ! Et vous le remerciez de vous avoir trimballée car ça valait le coup … de fourchette.
L’histoire : ils étaient trois potes plus une nana, Jacy, dans les 70’s, soudés dans ce modeste campus où ils étudiaient. Les trois étaient follement amoureux de cette fille libre qui montrait peu d’intérêt pour son fiancé genre coincé. Pour fêter leur diplôme et surtout faire une dernière fête avant le départ au Vietnam de certains, ils passent un week-end dans cet endroit mythique, dans une belle baraque appartenant à la mère de l’un d’eux. Puis ils se séparent, se perdent de vue, ayant vaguement des nouvelles les uns des autres sauf de Jacy qui a disparu corps et bien après avoir quitté l’île. Ni ses parents, ni ses amis ou son fiancé n’ont su ce qu’il était advenu de cette fille formidable. Grosse blessure jamais refermée pour nos héros.
Quarante ans plus tard, l’héritier de la maison décide de la vendre, ce qui leur donne prétexte à se réunir ici pour quelques jours, comme au bon vieux temps. Ils ont 66 ans, plus ou moins réussi, sont un peu abîmés par l’âge mais croient au retour de leur belle jeunesse dans ce cadre idyllique. Cependant, le vide inquiétant laissé par Jacy devient de plus en plus encombrant. Des anecdotes remontent à la surface, un voisin style prédateur est soupçonné de l’avoir tuée, un vieux flic est approché… Peu à peu, on se rapproche de ce qui est arrivé. Et ce n’est pas rien. C’est même étonnant. Bref, ça valait le coup … de fourchette !

Retour à Martha’s Vineyard de Richard Russo. 2019. Chances are… titre original. Traduit pas Jean Esch. Aux éditions Quai Voltaire. 380 pages.

Texte © dominique cozette

Moi aussi, je suis une loseuse officielle

Il y a des personnes avec qui ça matche immédiatement et c’est ce que j’ai ressenti en lisant le fameux livre de Dominique Cozette « la fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés ». Nous sommes taillées dans le même bois, j’ai vécu exactement la même chose, c’est très curieux, ces correspondances dans la vie des gens. Nous sommes nées la même année (bien que je fasse plus jeune qu’elle, sans me vanter) et j’étais une bombe à l’époque. Tout le monde me voulait : les Chœurs de l’Armée Rouge, les Compagnons de la Chansons, les Blues Brothers, les polyphonies corses et même les Vieilles Charrues. Hélas, comme Dominique, j’ai joué de malchance. Je possédais, et encore aujourd’hui, une voix rentrée impossible à sortir, impossible !
Alors je me suis tournée vers le cinéma avec Vincent, François, Paul et les autres, César et Rosalie, Tom et Jerry, les Hommes du Président et les Chevaliers de la Table Ronde. Mais, comme Dominique Cozette, j’ai fait chou blanc car, après chaque essai, on m’annonçait tristement que j’attrapais mal la lumière mais quel dommage avec votre physique, ajoutait-on (mon correcteur a écrit ajout téton, c’est vrai que de ce côté, je n’ai pas à me plaindre ! Jayne Mansfield et Gina Lollobrigida pouvaient aller se rhabiller. Mais elles prenaient bien la lumière, elles.)
Et après, je me suis tournée vers l’édition, j’ai écrit des romans érotico-sentimentaux très chiadés, mes virgules étaient toujours placées au bon endroit, j’utilisais l’imparfait du subjonctif avec bonheur, le suspens étreignait le lecteur dès la dixième page. J’avais même réalisé un exercice de style à la Perec en évitant le y. J’avais une bonne touche avec la NRF et Minuit mais il y a eu quelques malentendus sur les pourcentages et ça a fini en eau de boudin.
Et tout comme ça. Là où ça a le mieux marché, c’est quand j’ai fait modèle pour les concours de coiffure. J’ai la tignasse de Catherine Deneuve, c’est que qu’on me disait toujours mais aucun photographe n’a voulu me shooter pour les pubs L’Oréal sous prétexte que je suis rousse et que ce n’est pas une teinte porteuse. Une teinte porteuse ! Gilda, vous voyez qui ? Je vous aide : Rita H.
Aujourd’hui, comme Dominique Cozette, je ressasse mes soucis, je me perds en conjectures, en regrets et en remords mais, toujours prête à percer, j’ai l’idée de créer un hashtag pour rassembler toutes celles qui, comme Dominique Cozette, ont collectionné les plans foireux, plantages, manques de pot en tout genre. Je dois la rencontrer pour lui en parler. Ça va s’appeler #moiaussijailulelivrededominiquecozetteetjesuisuneloseusevéritable
Je sens le succès !

Photo de Bruce Gilden.

Mon livre étant paru comme par hasard (ha ha ha)  durant la crise du covid, épilogue évident de ma  vie de malchance, j’ai décidé de vous infliger une vague de promo. Car oui, c’est  le seul livre qui vous fera voir la bouteille pleine près du verre à moitié vide.
« La fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés »
aux Editions Chum. 2020. 292 pages, 19,95 €. A commander dans votre librairie préférée. Ou sur le site de l’édition ici.

Serge, le dernier Yasmina Reza

Voici un livre qui semble faire l’unanimité des critiques, le Masque et la Plume l’a encensé comme un seul homme. Serge, le dernier roman de Yasmina Reza, est vraiment extra. Oh, il ne raconte pas des aventures extraordinaires, le pitch est tout mince mais la façon de le raconter est tellement savoureuse ! Reza nous met face à une fratrie vieillissante de juifs non pratiquants mais très caustiques vis à vis de leur communauté. Elle les fait parler et ils sont prolixes. Il s’agit de deux frères et d’une sœur qui se sont toujours adorés. Bien sûr, ça va ensuite coincer. Serge est l’aîné, il a laissé partir une chouette compagne qui n’en peut plus de son mauvais esprit, il râle et critique tout.  Leur fille, Joséphine, vient de faire un stage « sourcils » très cher, mais elle préfère maquiller maintenant. Jean est le narrateur, conciliant, pas rebelle pour un sou, détestant faire des histoires. Il vit plus ou moins seul, s’est attaché au fils un peu différent de sa dernière campagne et, face aux petites brouilles, se félicite de n’être ni mari, ni père. Nana, la sœur, est dans l’aide sociale, elle est mariée à un Franco-espagnol bien mou, bourrin même, très critiqué par les frangins. Ils ont un fils qui étudie la cuisine et refuse un stage gratuit dans un établissement suisse dégoté par Serge, très vexé.
Dans ce livre, il est question de la famille, vous savez, la famille juive, mais aussi des petites choses de la vie. Un oncle est en train de mourir, il voulait qu’on l’assiste mais en fait, il a l’air de se complaire dans sa douce agonie. Une série de personnages apparaissent dans les discussions.
L’action se déclenche, si on peut dire, lorsque tous trois avec la jeune fille, vont visiter les camps, notamment Auschwitz. Et là, bien sûr, les touristes, les cars, les filles faisant des selfies devant les fours… C’est à ce moment que les rancœurs se font jour car Serge n’a pas du tout envie de visiter, il préfère rester dans la voiture, il critique tout… Alors, toutes les choses qui ont un peu agacé les uns et les autres font surface et prennent une telle ampleur que… à suivre.
C’est aussi drôle et fin qu’un film avec Bacri dans une sorte de Vincent, François, Paul et les autres. J’adore les dialogues, ils sont formidables ! Et les saillies sur les juifs, la visite dans les camps, bref, c’est succulent.

Serge de Yasmina Reza. 2021 aux éditions Flammarion. 234 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Angela l'a lu, l'hallu !

« Ich weiss nicht was soll es bedeuten« , dit-elle dans la parfaite langue de  Goethe qui est ici celle de Heine, « dass ich so traurig bin » hé, quand même, j’ai fait allemand deuxième langue et il m’en reste de beaux os. Donc, Angela, oui. Alors elle ne sait pas pourquoi  mais elle se sent triste. Ce qui est rare de la part d’une chancelière. Triste comme une chancelière n’est pas une expression si usitée. C’est pourquoi elle a appelé sa cellule personnelle de démêlage de sentiments et sensations pour comprendre cette drôle d’impression qui pourrait s’apparenter à une forme de mélancolie. Mais qui n’en est pas une. Et d’un seul coup, BIM, ça fait tilt !
En fait, elle a a-do-ré mon livre parce qu’il raconte la loseuse immarcescible que je suis, loupant tout ce que j’entreprends, jamais de chance, tout qui foire, la débandade majuscule, pas une once de chance, pas un projet pour relever l’autre, pas une réussite à inscrire au panthéon de mon œuvre, pas un succès à créditer à mon futur éloge lorsqu’il sera temps de dégager.
Et ça l’amuse ? Vous interrogez-vous.
Non, ce n’est pas ça. C’est qu’elle imagine que si mon modeste personnage avait été aux responsabilités d’une certeaine République Française à une certaine période sensible du vingtième siècle, j’aurais loupé tellement mon mandat que, tenez-vous bien, l’Allemangne aurait pu annexer la so désirable Frankreich. Vous imaginez ? Un immense pays qui s’étend de la Pologne à la péninsule ibérique, qui aurait aussi, soyons verrückt comme on dit, pu avaler Pays-Bas et Belgique. Un immense pays au bord de la Méditerranée et de l’Atlantique, avec ses particularités locales, ses danses folkloriques, ses ponts d’Avignon effondrés dans le Rhône majestueux, ses scintillants palais versaillais, ses monts St Michel bondés de badauds, ses bons vins très chers, ses jolies femmes élégantes sans poils aux jambes, sa haute-couture qui attire le monde entier, ses parfums qui retiennent les amants …
Bon, évidemment, il aurait fallu faire une croix sur la langue de meulière comme certains appellent le français. Françoise Sagan aurait écrit Hallo Traurigkeit, Dalida aurait interprété Itsy Bitsy klein Bikini et Jean-Pierre Jeunet aurait tourné Die Faberhafte Welt des Amelie Poulain. On aurait construit un formidable paquebot nommé Deutschland sur lequel, bien plus tard, Michael Sardou aurait composé en pleurant  Nennt mich nie wieder Deutschland, Deutschland ließ mich fallen…***
Comme le lui avait appris son ami François H., « si Paris était plus petit et les bouteilles plus grandes, Paris passerait dans les bouteilles »**, c’était mieux dit mais c’est l’idée.
Certaines choses n’auraient pas changé :  Godard serait resté suisse, Barbara aurait chanté Göttingen et l’Europe entière marcherait en Birkenstöck.
Un truc énorme cependant comme une Kirsche auf dem Sahnehäubchen* : on n’aurait plus à s’enquiquiner avec ces accents, aigus, graves, circonflexes, ces accord du COD, ces conjugaisons retorses et ces maniaqueries des petits Français qui se la pètent et font la bise à tout bout de champ. Se disait-elle in petto. Oui, elle avait bien ri en lisant le livre de cette bonne à rien (c’est moi, je m’appelle Dominique Cozette) qui, hélas, ne lui avait été d’aucune utilité sauf de la faire rêver deux minutes.

* Cerise sur le gâteau.
** Wenn Paris kleiner wäre, aber die Flasche dafür größer, würde Paris in die Flasche passen. (On dit comme ça, mais j’ai des amis germanophones qui me corrigeront peut-être)
*** Ne m’appelez plus jamais Allemagne, l’Allemagne elle m’a laissé tomber…

Mon livre étant paru comme par hasard (ha ha ha)  durant la crise du covid, comme l’épilogue évident de ma  vie de malchance, j’ai décidé de vous infliger une vague de promo. Car oui, c’est bien le livre le plus drôle de la pandémie, à lire absolument.
« La fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés »
aux Editions Chum. 2020. 292 pages, 19,95 €. A commander dans votre librairie préférée.Ou sur le site de l’édition :

American Dirt

American Dirt de Jeanine Cummings, en devenant un énorme succès aux Etats-Unis, a créé une énorme polémique autour du concept d’appropriation culturelle selon lequel une personne qui n’a pas vécu ce qu’elle raconte n’a aucune légitimité à le faire. Je trouve cela complètement stupide, nous n’aurions donc que des témoignages de personnes sachant écrire et raconter. A la fin du livre, d’ailleurs,  elle justifie sa position car elle a connu une partie de l’enfer qu’elle décrit.
L’enfer, après le paradis, c’est Acapulco, prise en otage comme une grande partie du Mexique par les cartels de la drogue, de plus en plus punitifs contre ceux qui leur barrent la route. La narratrice, Lydia, tient une sympathique librairie, son époux est journaliste et ils sont heureux auprès de leur petit gamin. Un jour, Javier, bel homme, entre dans la librairie, il est cultivé, il apprécie le choix de lectures que lui propose Lydia et au fil du temps, une amitié vaguement amoureuse s’instaure entre eux. Elle lui fait des cafés, ils discutent, et de plus en plus de leur vie intime. Lui aussi est marié, il a une fille qu’il adore, il écrit des poèmes. Mais la voie qu’il a choisie n’est pas la bonne, confesse-t-il, il aurait préféré une vie plus simple.
L’époux de Lydia, qui n’a peur de rien, s’apprête à publier une enquête très fouillée sur un des parrains d’un odieux cartel et il s’agit de ce client tranquille de Lydia. Elle n’en revient pas…On apprend cela en flash-back car le livre ouvre sur le massacre de la famille de Lydia, seize personnes dont son mari, sa mère, ses tantes, cousins, cousines. Elle a réussi à se planquer avec son fils dans la douche. Sans perdre une minutes, elle s’enfuit avec Luca, sans penser à pleurer ses morts qu’elle laisse étalés au soleil. Elle tente de brouiller les pistes puis se réfugie dans un grand hôtel touristique. Mais hélas, au petit matin, on lui livre une lettre de Javier qui lui dit qu’elle ne souffrira pas. Perdue, elle fuit de nouveau et sait que son portrait et celui de Luca font le buzz sur les portables de tous les afficionados. Elle sait qu’ils recevront une bonne récompense pour sa prise, elle sait que rien ne peut l’épargner car les cartels exterminent les familles entières d’une personne qui les a trahis.
Après plusieurs tentatives de s’en sortir, quelques aides d’amis qu’elle ne peut pas impliquer, elle opte pour la seule voie de sortie pour les Etats-Unis : devenir une migrante. Se mêler à eux. Sauter sur le toit de trains en marche. Marcher des jours avec son petit qui est très courageux. Se méfier de TOUS les gens qu’elle croise ou qui veulent l’aider. Donner toutes ses economies à un passeur qu’elle ne connaît pas.
Tout ce qu’elle raconte, elle l’a collecté auprès des associations et des migrants qui lui ont raconté leur histoire. C’est une épopée horrible, tragique, et bien sûr qui expose encore plus les femmes que les hommes avec les tentatives de viol, les violences, la faiblesse physique surtout si on a un enfant qu’il faut absolument protéger. Mais elle rencontrera une poignée de personne au fil de sa fuite, dont deux jeunes sœurs qui ont subi ce que les filles subissent, mais qu’elle aidera du mieux qu’elle peut, donnant les dernières parts de son pactole pour payer le passeur.
Je ne vous dirai pas que ce livre est joyeux mais malgré tout, il est chargé d’amour et d’espérance et j’avais hâte, chaque soir, d’en retrouver le déroulement tellement précis. Ils se situe d’ailleurs sous l’administration Trump, autant dire que pour entrer aux Etats-Unis, ce n’était pas une promenade de santé.

American Dirt de Jeanine Cummings, traduit par Christine Auché et Françoise Adestain, 2020 aux éditions Philippe Rey. 544 pages, 23 €.

texte © dominique cozette

Clic clac merci Jean-Marie !

Ce livre dont il tient à dire, Jean-Marie Périer, que ce n’est pas un album de photos puisque les photos y sont petites, plutôt une compilation de souvenirs, d’anecdotes, de considérations sur la société et de pensées « extimes » qu’il a égrenée au fil du temps sur son compte Instagram, que Calmann Lévy a eu la bonne idée de rassembler pour en faire un livre de chevet ou de table basse, intitulé Déjà hier, à consulter au gré de ses loisirs. Il n’y a pas que des photos d’idoles, il y en a quelques autres qui ne sont pas de lui, d’autres réalisées lorsque sa sœur Anne-Marie, directrice de Elle, le lui a demandé, après sa dizaine d’années passées à Los Angeles ou d’autres lieux où il a réalisé des films.
Comme il le dit, tous les dix ans, il a changé de vie, de compagne, de pays car il n’est un pro en rien mais un amateur en tout, sorte de dilettante qui a bien rempli son temps de cerveau. Actuellement, il vit célibataire dans un trou du cul du monde en bas de la France, une jolie campagne qui le met en joie, où il s’occupe avec amour de sa chienne, ses ânes et autres bêtes affectueuses.
JMP jouit d’une belle plume, il est cool, il prend les gens comme ils sont, il déteste les mondanités car il ne se souvient pas du nom des gens (moi non plus, ça s’appelle la prosopagnosie) et personne ne l’impressionne vraiment, ayant eu une jeunesse de rêve grâce à son père, François Périer, ami de tous les people de son époque qui défilaient dans leur appartement de Neuilly et qui  l’emmenait sur ses tournages où il rencontrait les plus grands. Son boulot de photographe n’a pas commencé avec les yéyés comme on peut le croire, mais avec des giga pointures du meilleur du jazz. Ça forge un homme, surtout quand ils sont américains pour la plupart et que JM n’a pas beaucoup travaillé sa première langue en classe…  Il ne regrette pas grand chose sauf de n’avoir pas cédé à Ella Fitzgerald qui l’a enfermé dans sa loge pour le manger tout cru à l’âge de 16 ans. Dépucelé par cette immense artiste ! Mais non, tant pis.
Les anecdotes les plus fréquentes concernent Françoise Hardy, vous vous en doutez, Johnny et Sylvie, les Stones, surtout Mick, avec qui il a vécu un moment, son père et lui. Pour certaines, il raconte l’embarras, la timidité qui ont saisi modèle et photographe au point de les faire voyager sans un mot échangé, Charlotte G. par exemple, mais aussi son mai 68 loin des révoltes, avec BB.
C’est frais, c’est gai, quoi de plus agréable à ouvrir à n’importe quelle page quand il pleut, qu’on est coincé à la maison et que rien n’urge sauf de se faire un petit plaisir.

Déjà hier de Jean-Marie Périer, 2020 aux éditions Calmann Lévy, 288 pages, 19 € (c’est donné), un peu plus d’un kilo (c’est lourd au lit !)

Texte © dominique cozette

Une île coupée de tout

Ce premier roman de Sigridur Hagalin Björnsdottir, l’Île, m’a été conseillé par la jeune cliente d’une librairie qui bossait pour l’Islande, alors que j’achetais son deuxième roman que j’ai beaucoup apprécié et dont je vous ai parlé (c’est ici) récemment. Ce premier roman est une dystopie, le cadre en est l’Islande et le concept la coupure d’avec le reste du monde. D’un seul coup, toutes les liaisons avec l’étranger sont mortes, coupées, on ne sait pas pourquoi ni comment, ni pour combien de temps. Les avions attendus ne se présentent pas, les navires et bateaux de pêche ne reviennent pas, ceux qui partent aux nouvelles disparaissent, aucune nouvelle du monde. Existe-t-il encore, ce monde, se demande-t-on au bout de quelques jours. Ce petit pays de 230 000 habitants doit faire face. Une partie du gouvernement est ailleurs, la plus influente est restée sur place, elle va gérer d’une main de maître, de plus en plus autoritairement, la situation qui se dégrade rapidement. Parer au plus pressé : les stocks de provisions, de carburant, de médicaments qui s’amenuisent. Puis menacent de ne plus suffire, créant un terreau propice à l’irruption de bandes de pirates, voleurs, pilleurs.
Dans le livre, on s’intéresse à quelques personnages : cette femme politique donc, un journaliste qui lui est proche, parfois trop et qui vient d’être rejeté par sa compagne Maria et ses deux enfants. La fille aînée de Maria, ado, va être attirée par la petite bande de squatteurs qui savent se débrouiller pour trouver des vivre et se battre contre les incursions, elle ne voudra plus revenir avec sa mère. Celle-ci, dévastée, quitte la ville comme la plupart des citadins pour s’installer dans une communauté de nouveaux cultivateurs, dans un climat rude, froid et hostile.
La situation se durcit, le pays n’a plus de ressources, les gens meurent de maladies bénignes faute de soins appropriés, les bandes armées pillent tout, les touristes étrangers sont parqués dans des conditions inhumaines et comme Maria est d’origine hispanique, on l’y a installée malgré sa naturalisation, avec son gamin. Le journaliste  s’est réfugié au fond d’un fjord dans une ferme introuvable, léguée par un grand-père et survit là avec sa chienne et quelques brebis. Il se planque, fait tout pour que personne ne vienne s’approprier ses maigres ressources… C’est là que ouvre le livre, je ne divulgâche pas.
Très bien décrit, désespérant aussi, mais plein de suspens, c’est un très très bon roman dont on craint qu’il préfigure ce qu’il pourrait advenir à notre petit monde un jour prochain. Je ne dis pas que c’est joyeux. Mais ça nous fait voyager !

L’ïle, de Sigridur Hagalin Björnsdottir, 2018. Traduit par Eric Boury. Aux éditions Gaïa. 276 pages, 9,90 €

Texte © dominique cozette

Une bien sale histoire familiale

 

La familia grande, le livre de Camille Kouchner, révèle une bien sale histoire. Apparemment, tout était fait pour vivre en plein bonheur. Olivier Duhamel, type formidable, puissant, adoré de tous, généreux, partageur, qui invite tout le monde dans sa superbe maison de Sanary au bord de la mer, piscine, pergola, annexes, et la suprême liberté de tout avec des gens de la bonne société, people de toutes sortes, des fêtes tous les soirs, les enfants traités comme des grands qui boivent et fument à quinze ans, l’amour libre, les petits surnoms si mignons, les bisous et caresses à tout va, les copains qui se baignent à poil, de la musique et de la culture en pagaïe en veux-tu en voilà. Débauche de rigolade, de fiestas, de liberté, de tolérance, quelle joie, quel bonheur… Et ça continue l’année scolaire, tout va bien, sauf quand Camille et ses frangins, dont son jumeau, doivent passer le temps légal chez leur père, Bernard Kouchner et sa nouvelle femme, Christine Ockrent, tous deux assez allergiques à ces visites troublant leur agenda mondain.
Leur mère, donc la première femme de Kouchner, c’est Evelyne Pisier, sœur de Marie-France (elles s’adorent), qui vit maintenant avec cet homme formidable, ils s’aiment tellement tous les deux, elle est brillante, agrégée de droit, Prof à sciences Po et a vécu une histoire d’amour avec Fidel Castro pendant quatre ans. Elle est maintenant un peu âgée pour donner des enfants à Duhamel qui adore les enfants (on adore toujours, ici), alors ils adoptent deux petit Chiliens.
C’est donc le paradis, surtout l’été. Tout le monde s’adore, il fait si beau, le patriarche fait des photos des fesses, des seins, des culs qu’il affiche sur les murs, on n’a pas croqué la pomme, tout est sain. Sauf que. En cachette, il se glisse dans le lit du jumeau de Camille, la nuit, et lui apprend la vie… Le garçon qui, comme tous les ados sous influence d’une personne admirée, aimée, respectée, accepte ces caresses, ne dit jamais non, commence à développer un sacré malaise. Il en parle à sa sœur, lui faisant promettre de ne jamais, jamais, le répéter. A quiconque. Surtout pas à Evelyne, leur mère, qui en mourrait. Cet homme est tellement tout pour elle. D’autant plus qu’un drame va le détruire : le suicide inexpliqué de sa propre mère, femme libre et rock n’roll.
C’est alors que le pieuvre de la culpabilité va ronger Camille. C’est la deuxième partie du livre : après le paradis, l’enfer. Plus les années avancent, plus elle veut en découdre avec son beau-père, sachant qu’alors, toute cette belle vie explosera en vol. Elle finira par avoir son frère — qui va mal, lui aussi, forcément — à l’usure. Sous le prétexte, justifié, qu’il réclame son beau-petit-fils à Sanary. C’est ainsi que Camille fait le coming out de ce secret familial, qui n’en était pas vraiment un. La bande se disloque, la mère ne veut pas le savoir, trop accroché à son mec, et puis, il n’y a pas eu sodomie dit-elle, mais Marie-France n’admet pas cette lâcheté. Les deux sœurs se brouillent. Des amis s’éloignent, d’autres restent, Kouchner veut casser la gueule au violeur. Evelyne en meurt, abus d’alcool, de clopes de stress, de médocs, c’est la débandade. Et Camille continue de l’adorer, malgré tout. Ambiguïté douloureuse des sentiments.
Ce livre, il est très bien fait car il montre les dommages collatéraux qu’engendrent des comportements criminels (le viol est un crime) sur l’entourage. Beaucoup de victimes sont sérieusement meurtries par le préjudice et leur avenir souvent oblitéré par la blessure et surtout le sentiment de culpabilité.
Ecriture très enlevée, courtes phrases chocs, descriptions acérées … ce récit lumineux d’une atrocité mijoté pendant trente par l’autrice qui en est tombée gravement malade  est à lire car bien que l’on sache que ces affaires sont souvent perpétrées dans l’omerta des puissants ou le silence des gens ordinaires ou l’indifférence des miséreux, il est instructif de montrer la difficulté, parfois l’impossibilité, de les dire. Un grand courage.

La familia grande par Camille Kouchner, 2021 aux éditions du Seuil. 208 pages.

Texte © dominique cozette.

La lectrice (islandaise) disparue

 

La lectrice disparue de Sigridur Hagalin Björnsdottir (à vos souhaits) m’a régalée. Déjà que pour une fois, à lire les prénoms biscornus d’Islande, on sait à quel genre ils appartiennent, ça facilite. L’histoire de cette lectrice commence de façon originale : sa mère, rebelle, s’est barrée de chez elle, est tombée raide dingue d’un dandy prétentieux et imbu de sa personne qui l’a laissée s’installer dans un appartement-cagibi pourri et qui n’a pas voulu assumer sa grossesse, pas concerné, sa vie est ailleurs… Une jeune nana lui fait savoir qu’elle aussi est enceinte du bonhomme, elle décide alors qu’il sera mieux pour tout le monde que les deux filles vivent ensemble pour élever leurs bambins sans ce boulet de mec.
Les deux mamans se complètent bien, les deux mômes aussi : Adda est une surdouée tandis que son frère Einar peine à l’école. Ce petit monde grandit. Adda, après des années de solitude (impossible de créer des liens) et un traumatisme pendant son adolescence, devient blogueuse réputée et son frère guide de pêche pour touristes. Julia, la maman d’Adda, s’occupe de tout, d’autant plus que celle d’Einar a été victime d’un AVC et est clouée, mutique, sur un fauteuil.
Adda s’est mise à la colle avec un type un peu mou, elle vient d’accoucher et trois jour plus tard, disparaît corps et biens, laissant son bébé, sans explication. Les recherches la situent aux Etats-Unis et en l’absence d’indices, Julia oblige son frère a partir à sa recherche. Ils étaient tellement complices, comme des jumeaux, qu’il est le seul à pouvoir se mettre à sa place ou trouver une piste…
Ce n’est pas que ça, l’histoire. Le livre ouvre sur une citation de Claude Levi-Strauss dans Tristes Tropiques : « la fonction primaire de la communication écrite est la facilitation de l’asservissement » (Quoi ? Qu’est-ce à dire ?). C’est donc dans ce New-York trip qu’on en aura l’explication. Adda a appris toute seule à lire, très tôt et elle retient tout. Cela s’appelle l’hyperlexie (le frère, lui, est dyslexique). Elle a intégré un groupe de savant limite secte selon laquelle il faudrait bannir l’écrit, revenir à la tradition orale, naturelle, car l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, longue et pénible, occupe trop de place dans le cerveau — aucune zone cérébrale ne lui étant dévolue —  au détriment d’activité d’analyse des infos visuelles, de l’écoute et du langage. J’apprends que Socrate avait peur de l’écriture qui détruisait la faculté de penser de manière indépendante et de se souvenir (cf ce qu’on pense aujourd’hui avec l’arrivée d’Internet). Cette théorie est développée dans le roman par Adda elle-même qui a entrepris de désapprendre la lecture. J’y apprends aussi que les premiers écrits étaient un instrument de l’élite pour asservir les peuples, leur faire payer les impôts, et pour produire des  louanges et promouvoir les prouesses des rois (je résume).  « L’être humain aurait continué à vivre en harmonie avec son environnement, sans histoire, sans passé ni futur ».
Il se passe des tas d’aventures dans ce livre étonnant et franchement, c’est un régal que d’avancer dans les méandres de ces vies originales.

La lectrice disparue par Sigridur Hagalin Björnsdottir 2018. 2020 aux éditions Gaïa, traduit par Eric Boury. 324 pages, 22,50€

Texte © dominique cozette

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