Le dernier Duroy, un bijou

Lionel Duroy vient de sortir L’Homme qui tremble. Duroy, c’est un peu mon chéri, il écrit du plus profond de lui même, il écrit sur les choses intimes principalement, son enfance dans sa famille zinzin, plusieurs fois, ses amours et sa rage d’écrire. Il a commis aussi, parmi ses bouquins officiels, sur d’autres sujets plus journalistiques — il a été journaliste —  tels les enfants de bourreaux ou de dictateurs, le peintre Emil Nolde etc… et il a participé à l’écriture des mémoires de people comme Farah Diba, Vartan et bien d’autres.
Mais ceux que j’aime le plus sont évidemment ceux de sa vie privée et le meilleur, c’est de voir l’évolution de son jugement sur les événements vécus et sur lui-même. Son sens de l’analyse est d’un pointilleux jubilatoire et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer de la part d’un homme qui décortique à ce point sa vie, il n’a pas une très haute opinion de lui-même, il se revoit minot avec ses grosses joues moches auprès d’un magnifique frère très classe, et déplore la façon dont il a été élevé avec ses neuf frères et sœurs, par une mère imbécile et un père sympa mais trop soumis à elle, une enfance en miettes et délabrée.
Il re-raconte cela dans ce livre, il se livre si je puis dire encore plus nu que d’habitude, raconte ses tremblements de peur qui lui tombent dessus dès qu’un livre n’avance plus ou qu’une femme qui l’aime devient une menace car ça l’oppresse, ça met une pression et surtout, il l’a compris, ça lui rappelle une scène de son enfance, quand sa mère se cachait sous l’armoire de leur chambre pour échapper à sa vie. Echapper est d’ailleurs le titre d’un récit qu’il a consacré à sa mère bien après sa mort, ce qui lui a donné les clés pour la comprendre.
Chaque femme aimée, la première avec qui a a eu deux enfants, puis la seconde qui l’a presque obligé a lui faire deux enfants, puis la suivante etc… a eu cet effet sur lui et chaque fois, il fuyait vers une autre femme qu’il n’aimait pas encore, donc sans enjeu, donc sans les tremblements.
Il re-raconte tout, dans l’ordre chronologique, avec les vrais prénoms, pour expliquer ce qu’il n’avait pas su bien expliquer. Il gratte et gratte encore la croûte. Il explique aussi comment il serait mort sans les livres qu’il écrit, comment il a envie de se suicider quand il bloque. Et surtout, pourquoi ses femmes et ses enfants lui ont souvent reproché d’être là sans être là. Car Duroy ne jouit pas du présent. Jamais. Il fait du présent la matière d’un prochain récit, il emmagasine la matière, il fait provisions de détails, il photographie même, en prévision. La plupart du temps, il écrit sur ses femmes après la rupture, lorsqu’il est avec la suivante, fou amoureux. « Comparée à la vie dans mon roman, la vie réelle n’avait que peu d’intérêt et je m’en serais volontiers retiré s’il n’avait pas été nécessaire de la maintenir a minima — pour écrire, précisément. » Certes, il avoue ceci lorsqu’il enquête sur sa mère et n’a rien de palpitant à faire d’autre. Plus tard, quand Sarah le rejoint en Roumanie où il travaille sur un personnage, elle se rend compte que l’amour qu’il dit avoir pour elle a beaucoup moins d’importance que d’arriver à finir son livre. Effectivement, pour lui, le désir de vivre, c’est écrire. Sinon vient la tristesse d’exister, et alors, comment aimer.
Fait-il vraiment être fan de Duroy pour apprécier ce récit ou peut-on y entrer comme ça, sans le connaître puis, se laissant prendre par cette fièvre qu’il a tout raconter, décider de se procurer tous ses autres récits ? Je ne saurais dire. Mais quel bouquin ! Quelle sensibilité ! Quelle sincérité !

L’homme qui tremble par Lionel Duroy, 2021, aux éditions Mialet Barrault. 384 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

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