« Ich weiss nicht was soll es bedeuten« , dit-elle dans la parfaite langue de Goethe qui est ici celle de Heine, « dass ich so traurig bin » hé, quand même, j’ai fait allemand deuxième langue et il m’en reste de beaux os. Donc, Angela, oui. Alors elle ne sait pas pourquoi mais elle se sent triste. Ce qui est rare de la part d’une chancelière. Triste comme une chancelière n’est pas une expression si usitée. C’est pourquoi elle a appelé sa cellule personnelle de démêlage de sentiments et sensations pour comprendre cette drôle d’impression qui pourrait s’apparenter à une forme de mélancolie. Mais qui n’en est pas une. Et d’un seul coup, BIM, ça fait tilt !
En fait, elle a a-do-ré mon livre parce qu’il raconte la loseuse immarcescible que je suis, loupant tout ce que j’entreprends, jamais de chance, tout qui foire, la débandade majuscule, pas une once de chance, pas un projet pour relever l’autre, pas une réussite à inscrire au panthéon de mon œuvre, pas un succès à créditer à mon futur éloge lorsqu’il sera temps de dégager.
Et ça l’amuse ? Vous interrogez-vous.
Non, ce n’est pas ça. C’est qu’elle imagine que si mon modeste personnage avait été aux responsabilités d’une certeaine République Française à une certaine période sensible du vingtième siècle, j’aurais loupé tellement mon mandat que, tenez-vous bien, l’Allemangne aurait pu annexer la so désirable Frankreich. Vous imaginez ? Un immense pays qui s’étend de la Pologne à la péninsule ibérique, qui aurait aussi, soyons verrückt comme on dit, pu avaler Pays-Bas et Belgique. Un immense pays au bord de la Méditerranée et de l’Atlantique, avec ses particularités locales, ses danses folkloriques, ses ponts d’Avignon effondrés dans le Rhône majestueux, ses scintillants palais versaillais, ses monts St Michel bondés de badauds, ses bons vins très chers, ses jolies femmes élégantes sans poils aux jambes, sa haute-couture qui attire le monde entier, ses parfums qui retiennent les amants …
Bon, évidemment, il aurait fallu faire une croix sur la langue de meulière comme certains appellent le français. Françoise Sagan aurait écrit Hallo Traurigkeit, Dalida aurait interprété Itsy Bitsy klein Bikini et Jean-Pierre Jeunet aurait tourné Die Faberhafte Welt des Amelie Poulain. On aurait construit un formidable paquebot nommé Deutschland sur lequel, bien plus tard, Michael Sardou aurait composé en pleurant Nennt mich nie wieder Deutschland, Deutschland ließ mich fallen…***
Comme le lui avait appris son ami François H., « si Paris était plus petit et les bouteilles plus grandes, Paris passerait dans les bouteilles »**, c’était mieux dit mais c’est l’idée.
Certaines choses n’auraient pas changé : Godard serait resté suisse, Barbara aurait chanté Göttingen et l’Europe entière marcherait en Birkenstöck.
Un truc énorme cependant comme une Kirsche auf dem Sahnehäubchen* : on n’aurait plus à s’enquiquiner avec ces accents, aigus, graves, circonflexes, ces accord du COD, ces conjugaisons retorses et ces maniaqueries des petits Français qui se la pètent et font la bise à tout bout de champ. Se disait-elle in petto. Oui, elle avait bien ri en lisant le livre de cette bonne à rien (c’est moi, je m’appelle Dominique Cozette) qui, hélas, ne lui avait été d’aucune utilité sauf de la faire rêver deux minutes.
* Cerise sur le gâteau.
** Wenn Paris kleiner wäre, aber die Flasche dafür größer, würde Paris in die Flasche passen. (On dit comme ça, mais j’ai des amis germanophones qui me corrigeront peut-être)
*** Ne m’appelez plus jamais Allemagne, l’Allemagne elle m’a laissé tomber…
Mon livre étant paru comme par hasard (ha ha ha) durant la crise du covid, comme l’épilogue évident de ma vie de malchance, j’ai décidé de vous infliger une vague de promo. Car oui, c’est bien le livre le plus drôle de la pandémie, à lire absolument.
« La fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés » aux Editions Chum. 2020. 292 pages, 19,95 €. A commander dans votre librairie préférée.Ou sur le site de l’édition :