Encore un Goolrick

L’ayant découvert depuis peu et fortement apprécié avec sa vie de dingue (voir sur mon blog), je me suis ruée sur Arrive un vagabond, un autre livre de Robert Goolrick, une fiction cette fois. Ce vagabond s’appelle Charlie, il débarque dans ce bled de Virginie en 1948. On ne sait qui il est ni d’où il vient ni ce qu’il a fait avant mais un couple au grand cœur l’accueille avec bienveillance. C’est Will, le boucher du village, sa femme Alma et leur petit garçon de sept ans, Sam. L’amitié naît peu à peu entre eux, d’autant plus que Charlie a été boucher dans une vie antérieure, il possède ses propres outils et est bien plus méticuleux que le patron. Il est très bien vu de la clientèle principalement féminine car il est bel homme, aimable et galant. Il s’attache au petit Sam qui le lui rend bien car il connaît les réponses à toutes ses questions, il l’emmène dans la campagne, à la pêche et tous les mercredis à l’abattoir.
Une superbe jeune femme passe à la boucherie, vêtue comme une star de cinéma. C’est Sylvan Glass, la femme achetée par Harrison Glass, le richissime gros bonhomme du coin. Le coup de foudre est immédiat mais l’histoire entre eux deux mettra un peu de temps à s’installer. Le petit Sam  sera complice du secret, Charlie fera tout ce qu’il peut pour doter cette femme à l’insu de son mari qu’elle ne peut pas quitter à moins de risquer la vie des siens. Mais le danger sera de plus en plus grand, la menace de plus en plus prégnante.
Ce qu’on peut appeler un mélodrame, c’en est un effectivement, n’a rien de gnangnan sous la plume brillantissime de Goolrick. Et c’est assez déroutant de le voir plancher sur une histoire d’amour, aussi volcanique soit-elle, sans aucun cynisme. Une épopée au premier degré mais extrêmement fleurie et superbement mise en valeur.
Une préface de l’auteur explique que tout ce qu’il raconte est vrai, sauf que ça s’est passé en Grèce, dans une île minuscule.
Moi, ça m’a plu, c’est personnel et j’ai l’impression certainement fallacieuse qu’il a écrit ce roman à destination des femmes.  Des femmes pas gnangnan, attention !

Arrive un vagabond de Robert Goolrick. (Heading out to Wonderful traduit par Marie de Prémonville). 2012 (Grand prix des lectrices de Elle) aux éditions 10/18. 354 pages.

Texte © dominique cozette

Les folies 80's

Robert Goolrick, dont je suis devenue fana tout récemment,raconte, dans La Chute des Princes, la vie de folie, fric, alcool, drogues, sexe, puis la chute, dans les années 80, ces fameuses années déjà racontées et filmées par d’autres, mais c’est pas parce que Roméo et Juliette a déjà été narré  qu’on ne doit plus parler d’amours contrariées. Ici, l’important c’est le style, formidable, et la qualité des anecdotes, incroyables. Je les ai un peu évoquées dans le dernier livre  Ainsi passe la gloire du monde (voir ici), qu’il faudrait lire après celui-ci, mais peu importe. Quand on aime un auteur pour sa qualité d’écriture, rien n’est grave.
Ce qu’il raconte, c’est la gloire d’un trader, ces mecs qui faisaient des fortunes colossales sur le marché des bourse. Mais pour lui, l’auteur, c’était en fait d’âge d’or des années fric de la pub. Pareil, des monceaux de pognon qu’on claque pour rien, juste parce qu’on l’a gagné en travaillant parfois trois jours sans nuit, avec la coke of course, et surtout la fierté de surenchérir, d’en faire encore plus que les collègues. Le plus est le mieux. Les vanités de cette époque.
Evidemment, il y a des dommages collatéraux. Il tire avec brio le portrait d’un richissime collègue, fortune de famille gigantesque, indépensable, un type formidable aimé de tous, des délires de vacances, etc puis un jour, après un coup de fil personnel, au bureau, après avoir brisé la vitre avec un extincteur, ce qui a tué deux personnes en bas, il retire ses chaussures (les chaussures sont toujours de marque et hyper précieuses) puis saute du gratte-ciel, et s’écrase sur une voiture. Il venait d’apprendre qu’il était atteint de cette terrible maladie appelée sida, ce qui était moins grave que la honte insurmontable qui éclabousserait ses parents, homophobes pure souche. Ils l’ont d’ailleurs effacé de tous les documents familiaux, photos, souvenirs. L’auteur s’inquiète vaguement pour lui-même car il baise tout ce qui bouge, hommes et femmes. Mais il s’en sort sans une égratignure.
Il parle aussi de cette pute, un travelo magnifique, avec qui il est devenu ami, car, malgré un loft magnifique créé par le plus grand décorateur, il a gardé son taudis infesté de bestioles, dans le quartier pourri où sévissent tous les crimes. Donc les prostitués, dealers et clients. Sa femme, il l’aime toujours bien qu’elle l’ait quitté le jour où il a perdu son job. Il lui a tout laissé sans discuter, sauf le taudis.
Il raconte beaucoup d’excès, avec humour et non sans cynisme. Comment il a eu son job juteux : le patron de la Firme recrutait ses traders au poker. Une seule et courte partie. Car dans ce type de boulot, il faut savoir prendre des risques énormes. Il dit comment ça a fini, piteusement, violemment, et comment, quand on est viré, personne n’est plus censé vous parler, vous téléphoner, vous connaître. Monde impitoyable.
Et là, comme dans le dernier livre, il se retrouve à claquer ses derniers deniers, avec panache, avant de se fondre dans une solitude plutôt bien subie. Je pourrais en dire plus mais ça me fatigue et puis je suppose que vous voyez le genre de livre que c’est. Brillantissime. C’est dit.

La Chute des Princes ( The fall of princes, 2014) de Robert Goolrick chez 10/18. 240 pages.

Grandeur et décadence d'un prince

Robert Goolrick dont j’ai adoré Féroces (voir ici) nous raconte ici, dans Ainsi passe la gloire du monde (sic transit gloria mundi), la fin de sa vie, une vraie ruine, une déchéance totale. Après une vie de patachon où il était le prince des nuits, le roi des festivités, l’homme que femmes et hommes s’arrachaient, il se retrouve laminé, dans un cabanon sommaire, perclus de douleur, addict aux médocs, avec son amour de chien et se perd dans le dédale de ses souvenirs les plus fous. Rooney, le double de l’auteur, nous entraîne dans une profonde et douloureuse nostalgie avec un brio étonnant. Rien de ce qu’il écrit n’est inventé, tout a été vécu par lui ou ses proche, dit-il dans un article, et il fait bien de nous en avertir car il a passé des moments insensés avec des personnages incroyables.
Le pire et le nœud du livre, c’est sa haine pour Trump, face de citrouille et autres comparaisons orangeasses, et ce qu’il fait de son cher pays. Sa vulgarité, son absence de savoir-vivre et de la moindre culture, fric et sexe étant ses seuls obsessions. Rooney relate une soirée avec lui, avant qu’il soit élu. C’est Trump qui l’a invité et celui-ci ne s’attendait pas à de telles grossièretés d’un homme pété de fric, avec ses deux petites vierges issues d’un trafic connu des puissants, relookées, pomponnées, envisonnées, bijoutées pour faire joli, puis le mépris de Trump pour les serveurs qu’il humilie rien que pour montrer comme il est dominant. Edifiant.
Dans cet ouvrage à l’écriture brillantissime, il revient sur ses parents, riches bourgeois alcoolos (voir Féroces) qui lui ont volé son enfance et sa vie même, par le viol de son père sous les yeux de sa mère quand il était tout petit. Il s’en confesse à un curé qui, bouleversé, lui conseille d’aller détruire le lit du crime, ce qu’il fera, enfouissant les restes maudits dans la forêt puis se saoulant avec le fond de whisky de son père, mort depuis longtemps.
Il se souvient sans trêve de ses amours, sa femme qu’il aime toujours bien qu’elle l’ait quitté lorsqu’il a perdu son job si rémunérateur, et tous les garçons et les femmes qu’il a adorés, les soirées insensées de ces années-là… Sa femme de ménage amidonnait et repassait ses caleçons et il était fier de penser qu’à 27 ans, il faisait face à des pontes qui portaient des caleçons froissés. Il repense à l’hôtel, un palace, auquel il a confié des verres en cristal à utiliser à chacun de ses passage, les limousines qui attendent, tout ce qu’il a consommé de plus luxueux. Un aller et retour dans l’avion privé pour déguster des shoot à l’huître à L.A., son portrait par Mapplethorpe… Et, à côté de ces rêves enfuis, les massacres des gosses dans les écoles, les petits Mexicains que Trump enferme, le pays qui fout le camp, qui ne ressemble plus à rien.
A la fin, un de ses meilleurs amis meurt, un ami qui a tout prévu pour non seulement de grandioses fêtes de funérailles tous frais payés pour les participants dans les plus grands hôtels, avions, chauffeurs, mais cadeaux insensés aux invités. En particulier pour Rooney qui figure en bonne place sur le testament. Ah, enfin, il va pouvoir remonter la pente. Mais est-ce réel, est-ce que les médocs ne lui font pas tourner la tête ? Ne vaudrait-il pas mieux mettre fin à tout, en finir avec ce pays qui a élu un orange à sa tête, mettre un terme à ses souffrance indicibles et partir avec son chien chéri vers d’autres cieux ? Âpre et déchirant, pour ne pas dire bouleversant.

Ainsi passe la gloire du monde de Robert Goolrick (titre original : Prisoner) 2019. Chez 10/18. Traduit par Marie de Prémonville. 192 pages

Texte © dominique cozette

Féroces ou le meurtre de l'âme.

 

Féroces est le titre. Oui, ils sont féroces les parents de Robert Goolrick. Tragiquement féroces. La quatrième de couv’ ne dit rien du drame qui s’est joué quand il avait quatre ans, et c’est son histoire vraie. Il l’écrit une cinquantaine d’années plus tard mais comme on ne sait rien, on ne comprend pas, malgré la virtuosité de l’écrivain, on ne comprend pas trop pourquoi il est ainsi, pétri de haine et de souffrance mais aussi dans une quête infinie d’amour impossible. Il est gravement blessé, et c’est souvent quand on est a été violé par son père tout petit. Et que sa mère a vu. Le sait. Qu’il l’a dit à sa grand-mère qui lui a enjoint de n’en jamais parler.
C’est un livre qui nous raconte une famille parfaite : sa mère est magnifique avec sa taille fine, sa minceur, son allure, sa grâce et son père est sublime aussi, leur maison est top et les réceptions qu’ils y donnent sans aucun défaut. Il connaît et sait préparer tous les cocktails de ces années glorieuses, leurs hôtes les admirent et les envient et leurs enfants sont très fiers. D’ailleurs, ce sont des enfants modèles, ils réussissent et sont promis à un bel avenir. Ça se passerait bien s’il n’y avait pas cette faute trop lourde à porter qui oblige les parents à le regarder comme s’il était un sale petit monstre. Et si les parents ne buvaient pas autant.
Le livre commence par la mort du père, pour alcoolisme, six ans après la mère pour la même raison. Et la fratrie réunie cherchant où déposer ses cendres. Avec celles de la mère, mais où se trouvent-elles exactement ?
Puis viennent les anecdotes de la vie du narrateur, jamais à sa place, jamais intégré, jamais bien dans sa peau, jamais félicité, jamais aimé. Il y a des chapitres difficiles à lire puisqu’on ne sait pas ce qu’il s’est passé (c’est énervant) et je suppose que lorsque le bouquin est sorti aux Etats-Unis, le viol a été mis en avant lors de la promo. Cela n’a pas tant d’importance car le plus impressionnant, c’est tout ce qu’il arrive à nous faire ressentir, ce petit garçon tapi dans le corps malmené du narrateur. Un homme qui a tenté de se suicider, qui s’est cent fois tailladé, déchiqueté les bras, dans le sens vertical, le long des veines, qui aime voir son sang couler. Des bras irregardables tellement il lui arrive de les taillader encore dans un processus d’auto-mutilation. Qui a fait des séjours en hôpital psychiatrique, qui a pris de nombreuses drogues, dope ou médocs, qui a bu comme ses parents. Qui s’est détruit.
Il a pourtant voulu être un bon fils, malgré tout. Il s’est occupé de son père malade, sans aucune reconnaissance, il a fait plus qu’il ne fallait lorsque son frère a été victime d’une tragique hémorragie cérébrale, mais sa vie est restée la même, toujours, médiocre et souffreteuse. Il voulait tellement, tout le temps, qu’avec ses parents,  ils se regardent autrement que comme des vipères à travers une vitre.
Un chapitre, tout un chapitre, il dit « mais comment ont-ils pu… » suit une énumération infinie de tout ce qu’ils ont pu faire après ce qu’il lui est arrivé, des choses importantes, notamment s’amuser durant le mariage de sa cousine le lendemain du viol puisque c’est à cause de ça qu’il dormait dans le lit de ses parents, et des tas de petites choses de la vie. Impressionnant. Et puis le passage, à la fin où il explique pourquoi il a raconté ça : pour qu’un jour un père de 36 ans regarde son petit garçon de quatre ans sans lui faire de mal, et ainsi cet enfant aura une enfance et grandira l’espoir au cœur. Et il énumère de même les jolis moments qu’il vivra, jouissant de la beauté des choses, de l’amour, le goût d’un aliment… Je donnerais tout, n’importe quoi, pour être l’homme à qui cela n’est pas arrivé. Je ne peux pas m’y résoudre. J’ai essayé toute ma vie, et je ne peux pas m’y faire. Il explique très bien en quoi il est impossible de revenir en arrière, c’est irrémédiable. Il dit que les psychiatres appellent ça le meurtre de l’âme. C’est bouleversant. C’est tellement fort que je vais le relire…

Féroces de Robert Goolrick, titre original « The end of the world as we know it », 2007. Traduit par Maris de Prémonville. Editions 10/18. 288 pages, 6,60 €.

texte © dominique cozette

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