L’Inconnu de la Poste, la très longue enquête — sept ans — de Florence Aubenas sur le meurtre sauvage d’une jeune femme enceinte, employée de la mini-poste d’un village, est un livre formidable. On le sait maintenant, le suspect numéro un, un acteur borderline qui fut révélé à 16 ans par Doillon dans Le Petit Criminel, n’est vraisemblablement par l’auteur des vingt-huit coups de couteau pour une petite somme de rien. Alors ? Alors ce que nous conta Aubenas est superbement écrit, campé, détaillé : on voit les places, les ruelles, les personnages, on les entend parler, on entre parfois dans leurs pensées, c’est passionnant, on a l’impression de vivre dans ce village, Montréal-la-Cluse.
Comment se fait-il que le meurtre, qui a eu lieu juste après l’ouverture de la poste, sise au milieu du village, vers 8 h. 30, heure où tout le monde passe par ici, les écoliers, les commerçants, les gens qui font leurs courses, ceux qui travaillent, ceux qui viennent faire un dépôt ou acheter des timbres, comment se fait-il qu’avec toutes les fenêtres qui donnent sur la place, personne n’ait rien vu, pas un suspect, pas une personne avec du sang sur elle ? L’enquête est très longue, le premier suspect, le mari quitté pour un autre, est hors de cause mais le marginal qui habite dans un trou à rat juste en face avec deux autres laissés pour compte, qui fait toujours la manche pour sa bière ou sa dope, quand il a dépensé l’argent de ses cachets, pourquoi pas lui ? Les présomptions de sa culpabilité vont et viennent. Aubenas le questionne, il est d’un abord facile mais parfois il disparaît pour essayer de se rabibocher avec sa nana partie vers Nantes. Puis il revient. Il aime ce village loin des paillettes des tournages qu’il n’apprécient pas vraiment, ici c’est tranquille. Enfin, c’était.
Florence Aubenas s’appesantit sur lui car c’est une figure, il est baratineur, il a eu un oscar, il a joué dans une vingtaine de films, il arbore un look peu ordinaire et puis c’est un enfant de la Ddass, il a été très maltraité par une des familles qui l’a recueilli avec son frère; parfois, il va voir sa mère biologique, c’est intéressant. On y voit aussi le père de la victime, veuf, qui aurait donné sa vie pour elle. Un notable qui prend un sacré coup de vieux durant ces longues années sans résultat.
Il y a surtout l’impensable disparition du comédien, Gérald Thomassin, qui était enthousiaste de participer au procès puisqu’il savait qu’il serait définitivement hors de cause — il a fait quand même deux ans de taule — mais personne ne sait pourquoi il n’était pas au rendez-vous avec Aubenas le jour de l’ouverture du procès alors que son copain de Nantes l’a mis dans le train, après une nuit de muflée. Ce n’était pas un train direct, son portable ne répond plus, le mystère reste encore entier.
Le talent d’écriture de Florence Aubenas s’est considérablement développé. Outre la joliesse des phrases qu’elle tricote, elle concocte des dialogues franchement réjouissants, c’est un pur bonheur que de la lire.
L’Inconnu de la Poste de Florence Aubenas, 2021 aux éditions de l’Olivier. 240 pages, 19 €.
Texte © dominique cozette