Offenses

Un livre qui pique, le dernier tout petit de Constance Debré. Offenses, donc, c’est bien trouvé. L’histoire est simple : un jeune homme ordinaire d’une cité ordinaire où ne vivent que des mal nés, victimes de la violence, de la laideur, de l’indifférence, de la lose, tue une vieille dame, une voisine assez chiante mais qu’il aidait à l’occasion, lui faisant quelques courses et gardant souvent la menue monnaie, pas grand chose, mais elle s’en est aperçue et ça lui a fait monter le sang. Il a essayé de la calmer mais tout cela a dégénéré et il a attrapé le couteau de cuisine qui traînait là pour la trucider. Puis il est retourné chez lui, son petit frère l’a aidé à se changer, à planquer les fringues, et plus tard, quelques jours aprè, les flics sont venus l’arrêter. Il avait prévu, organisé une petite soirée pour dire au revoir à ses potes.
On apprend qu’il dealait, à l’occasion, mais qu’un de ses frères lui avait volé l’argent. Il a réuni une certaine somme mais il lui manquait juste quelques centaines d’auros pour boucler l’affaire et calmer les fournisseurs qui ne lui voulaient pas de bien. Or, on apprend que la seule personne qui s’occupait plutôt pas trop mal de la vieille c’était lui. Pas ses grands enfants qui l’évitaient, ni personne d’autre. On apprend qu’il a été élevé plutôt d’une drôle de façon par sa mère qui a porté une grave accusation sur lui, plus jeune. On apprend ses galères.
Mais l’intéressant du propos est que ce jeune criminel, c’est nous. Nous tous. Car dans cette société injuste, les nantis ont délégué tout ce qu’ils avaient de pourriture sur les classes inférieures : Contrairement à ce qu’il prétend le capitalisme ne rémunère pas le risque. C’est pour ça qu’il le délègue. Il le délègue à ceux qui sont perdants avant d’être vaincus. Le dealer délègue le risque à la nourrice (NB : celui qui planque la dope), comme le patron à l’ouvrier, comme le général au bidasse. Le système délègue le risque à celui dont la perte ne changera rien. Ceux du dessus ignore le risque, ils vivent dans un monde sans risque. [•••] Le risque n’a rien à voir avec le mal. La prison c’est ça, c’est quand le risque se réalise. Le risque que vous avez créé. Et que vous avez délégué. Même pour vos lignes de coke du samedi soir et vos pétards du dimanche, le risque c’est nous. Vous peut-être que vous irez en cure de désintoxication et nous en prison….
Autre point de vue qui pique : le coupable est aussi une victime. Lui aussi subit un choc post-traumatique, sa propre violence le traumatise. Debré écrit que ce sont les spécialistes qui le disent et que ça ne plaît pas à tout le monde. On préfèrerait que le coupable n’ait pas d’état d’âme.
Lorsqu’il est dans le box, il regarde la façon dont sont vêtus juges, avocats, procureurs. Leurs robes, leur hermine. C’est une farce.
Lui et tous ceux du bas sont l’enfer pour que ceux du haut vivent dans leur paradis. Il se pose des tas de questions pendant qu’on le juge. Mais il sait qu’il paie pour les autres.
Un livre très coup de poing, sec comme son autrice qui, n’oublions pas, a été avocat pénaliste dans une vie antérieure.

Offenses de Constance Debré, 2023, aux éditions Flammarion. 124 pages, 17,50€

Texte © dominique cozette

Offenses, Constance Debré, crime, drogue, société,

American Dirt

American Dirt de Jeanine Cummings, en devenant un énorme succès aux Etats-Unis, a créé une énorme polémique autour du concept d’appropriation culturelle selon lequel une personne qui n’a pas vécu ce qu’elle raconte n’a aucune légitimité à le faire. Je trouve cela complètement stupide, nous n’aurions donc que des témoignages de personnes sachant écrire et raconter. A la fin du livre, d’ailleurs,  elle justifie sa position car elle a connu une partie de l’enfer qu’elle décrit.
L’enfer, après le paradis, c’est Acapulco, prise en otage comme une grande partie du Mexique par les cartels de la drogue, de plus en plus punitifs contre ceux qui leur barrent la route. La narratrice, Lydia, tient une sympathique librairie, son époux est journaliste et ils sont heureux auprès de leur petit gamin. Un jour, Javier, bel homme, entre dans la librairie, il est cultivé, il apprécie le choix de lectures que lui propose Lydia et au fil du temps, une amitié vaguement amoureuse s’instaure entre eux. Elle lui fait des cafés, ils discutent, et de plus en plus de leur vie intime. Lui aussi est marié, il a une fille qu’il adore, il écrit des poèmes. Mais la voie qu’il a choisie n’est pas la bonne, confesse-t-il, il aurait préféré une vie plus simple.
L’époux de Lydia, qui n’a peur de rien, s’apprête à publier une enquête très fouillée sur un des parrains d’un odieux cartel et il s’agit de ce client tranquille de Lydia. Elle n’en revient pas…On apprend cela en flash-back car le livre ouvre sur le massacre de la famille de Lydia, seize personnes dont son mari, sa mère, ses tantes, cousins, cousines. Elle a réussi à se planquer avec son fils dans la douche. Sans perdre une minutes, elle s’enfuit avec Luca, sans penser à pleurer ses morts qu’elle laisse étalés au soleil. Elle tente de brouiller les pistes puis se réfugie dans un grand hôtel touristique. Mais hélas, au petit matin, on lui livre une lettre de Javier qui lui dit qu’elle ne souffrira pas. Perdue, elle fuit de nouveau et sait que son portrait et celui de Luca font le buzz sur les portables de tous les afficionados. Elle sait qu’ils recevront une bonne récompense pour sa prise, elle sait que rien ne peut l’épargner car les cartels exterminent les familles entières d’une personne qui les a trahis.
Après plusieurs tentatives de s’en sortir, quelques aides d’amis qu’elle ne peut pas impliquer, elle opte pour la seule voie de sortie pour les Etats-Unis : devenir une migrante. Se mêler à eux. Sauter sur le toit de trains en marche. Marcher des jours avec son petit qui est très courageux. Se méfier de TOUS les gens qu’elle croise ou qui veulent l’aider. Donner toutes ses economies à un passeur qu’elle ne connaît pas.
Tout ce qu’elle raconte, elle l’a collecté auprès des associations et des migrants qui lui ont raconté leur histoire. C’est une épopée horrible, tragique, et bien sûr qui expose encore plus les femmes que les hommes avec les tentatives de viol, les violences, la faiblesse physique surtout si on a un enfant qu’il faut absolument protéger. Mais elle rencontrera une poignée de personne au fil de sa fuite, dont deux jeunes sœurs qui ont subi ce que les filles subissent, mais qu’elle aidera du mieux qu’elle peut, donnant les dernières parts de son pactole pour payer le passeur.
Je ne vous dirai pas que ce livre est joyeux mais malgré tout, il est chargé d’amour et d’espérance et j’avais hâte, chaque soir, d’en retrouver le déroulement tellement précis. Ils se situe d’ailleurs sous l’administration Trump, autant dire que pour entrer aux Etats-Unis, ce n’était pas une promenade de santé.

American Dirt de Jeanine Cummings, traduit par Christine Auché et Françoise Adestain, 2020 aux éditions Philippe Rey. 544 pages, 23 €.

texte © dominique cozette

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