La peau des coudes

« Je vois P. samedi, j’aurai les jambes toute épilées, quelques kilos en moins, j’espère, et une petite crème toute douce sur moi. J’avais demandé à Erika (l’esthéticienne) du Pritty pour les coudes, elle n’en avait pas et m’a donné du « Silhouette de chez Stendhal », la classe quoi, ça coûtait 1600 F. De retour à la maison, j’ai essayé d’enlever mes callosités ventrues mais c’était pas très efficace, alors je m’en suis mis sur les jambes et oh ! elles étaient lisses, douces, belles et sentaient bon ! Mais je crois qu’il va falloir que j’aille à la pharmacie pour acheter du Pritty, pour les coudes, c’est mieux. (Lettre d’Isa, 1967)  »
Cette jeune personne, Isa,  s’apprête à rendre visite à un beau mec dans sa garçonnière parisienne de Saint-Germain et comme ce beau mec sort aussi avec des mannequins (le grand truc de l’époque mais ça continue, je crois), Isa a mis la barre très haut : la perfection. Donc, les jambes OK, le ventre, bon, on fera avec, le maquillage, les cheveux, tout ça, ça va forcément, y a que les coudes. Ah, les coudes !!! Si  jamais P. pose ses lèvres sur la peau des coudes d’Isa et s’aperçoit qu’elle  est rugueuse, c’est dingue, il ne voudra plus la voir, non vraiment, ça serait trop con !

Texte © Isa67 + dominiquecozette
Dessin © dominiquecozette

Ma mémé a cen-hans…

Ma mémé a cen- hans, ma petite soeur di-hans et moi même quarante deu-hans. Ça fait pas bizarre ? Hé si. Alors pourquoi y en a qui font ça avec  lé-heuros ? Hein, pourquoi ??? Comme l’a expliqué un jour un amoureux de la langue dont je tairai le nom pour la bonne raison que je ne l’ai pas imprimé, il faut faire  avec les zeuros comme avec les ans, la liaison. Ainsi, ma mémé a cent teuros, ma petite soeur dix zeuros et moi-même quarante-deux zeuros. Ça ne fait beaucoup de thune à l’arrivée mais au moins c’est corrèk. Bordel à queue de crénom de dieu de nouille du cochon, ça serait bien que les journalistes s’y mettent, non ? Y en a marre des gens publics qui s’expriment pas convenablement, chier, quoi ! Bon, je vais prendre mes gouttes…

texte et dessin © dominiquecozette

La saint Valentin, c’est le bouquet !

mec2w

Chère Mademoiselle Medeline,
c’est aujourd’hui la Saint Valentin, ce n’est pas ma fête car je m’appelle Gontran mais j’aimerais tant que vous daigniez m’adresser un sourire, un vrai, d’enthousiasme et non pas le rictus de politesse que vous faites en soulevant ma chemise, en dégageant mes fesses et en disant : Allez, du courage ! Du courage, j’en ai plus que vous ne croyez, je traverserais des océans pour vous mais ce serait idiot vu que vous êtes tout près de moi. Mademoiselle Medeline, je sais que ce soir votre amoureux va vous inviter au resto ivoirien en bas de chez vous — de ma chambre j’entends tout — et qu’après il vous bossera. Je suppose que c’est une expression de chez vous qui veut bien dire ce que je redoute vu les gloussements que ce projet a engendrés auprès de vos collègues.
La Saint Valentin, c’est dégueulasse ! C’est de la discrimination négative. Déjà qu’on est malheureux d’être tout seul, puis d’être malade, en plus il faut supporter la pression de tous les médias au sujet cette fête commerciale qui fait vendre des fleurs, des strings et des bijoux. Obligation d’être joyeux, d’être gentil, d’être généreux (qu’est-ce qu’il t’a offert ton jules ?) et de bander.
Finalement non, ne me souriez pas, vous me faites pitié avec votre petite histoire d’amour à quatre balles qui va se terminer en queue de boudin avec un polichinelle dans le tiroir et un bouquet d’hématomes sur votre corps !
Sans rancune, bien à vous !
Gontran de la chambre 6.

Texte et dessin © dominique cozette

Un petit coup de mains ?

Cher tous
je vous envoie une photo de moi pour que vous compreniez mieux : J’EN AI MARRE DE NE PAS POUVOIR DIRE COMME TOUT LE MONDE : J’AI PAS QUATRE BRAS, J’EN AI QUE DEUX !!! Vous allez me dire que c’est pratique, que je peux me décrotter le nez en tricotant, éplucher des patates en me brossant les dents, lire le journal dans le bus en pickpockant un morlingue, pincer les fesses d’un mec incognito en me tripotant les cheveux, jouer de la batterie en même temps que de la flûte traversière ou plus bêtement du piano à quatre mains. Et aussi, faire des trucs terriblement sexuels. Eh bien non, ce n’est pas pratique et très moche de profil parce que j’ai deux doubles épaules. Deuxièmement, je n’ai pas assez de cerveaux pour gérer l’indépendance de mes paires de bras. A la rigueur, je peux tricoter deux pulls identiques en même temps. Et c’est ce que je suis obligée de faire car il n’en existe pas en magasin susceptibles de m’aller. Pourquoi j’écris cette lettre ? Parce que malgré des dépenses somptuaires qui me coûtent toutes un bras, je suis toujours quadrumane. Et je vous préviens, si vous continuez à vous foutre de ma gueule, ça sera une paire de baffes et une paire de baffes. Non mais !
PS : Ne vous étonnez pas de recevoir cette lettre en double, c’est normal.

AVIS : problème d’Internet avec attente d’intervention de France Telecom. Je poste ce texte tpas très finalisé pendant les quelques minutes où ça marche. Et si vous n’en recevez pas les jours suivants…ça vous fera des vacances !

Texte et dessin © dominiquecozette

Vendanges tardives

Mon cher Jean-Pierre Z, je retrouve votre lettre, celle que vous avez envoyée à 6000 femmes dont moi dans les années 60, je crois que vous m’aviez trouvée en photo dans MAT. Vous recherchiez l’amour en la personne d’une femme grande, belle de visage, de corps, de coeur. Vos photos montraient d’ailleurs un très joli garçon. Les articles que vous aviez suscités dans les Potins de la Commère et autres parlaient de votre fortune, vos trois voitures de luxe, votre affaire de blanchisserie à Mulhouse et la difficulté que vous aviez à trouver LA femme.* Pas de Meetic, à l’époque. J’espère que vous avez trouvé l’oiseau rare et que vous êtes aujourd’hui grand-père de petits coquins qui grignotent leur P’tit Ecolier sur le cuir avachi de vos belles alezanes.
Cette petite lettre pour m’excuser de ne pas avoir répondu à cette gentille invitation. Mais vous savez, à l’époque, j’étais amoureuse toutes les demi-heures de jolis garçons comme vous, qui étaient eux-mêmes amoureux de très belles minettes qui elles-mêmes couraient après les garçons que je reluquais. Bref, c’était assez compliqué toutes ces histoires, vous comprendrez bien que je n’ai pas voulu introduire un loup supplémentaire dans ma bergerie déjà bien énervée. Et puis Mulhouse !
Néanmoins, ça me ferait plaisir de prendre le thé avec vous si vous passez du côté de Charenton. Je suis à Sainte-Anne, on dit que c’est la maison des fous mais entre nous, je préfère être folle que de ne plus être, n’est-ce pas.
Cordialement.
PS : merci d’apporter votre petit sachet de thé car celui qu’on nous vend est vraiment dégueulasse…

*Texte © dominiquecozette d’après un fait véridique. Gravure © dominiquecozette

Je te jure que je ne te toucherai pas…

Mais non, je te jure que je serai sage. Aie confiance, puisque je te le dis ! Tu sais très bien que je te respecte et que je ne vais pas abuser de toi comme ça, voyons. Même si tu me fais… enfin, je ne suis pas un sauvage, je sais me tenir. mais pourquoi tu tournes la tête ? Je peux quand même t’embrasser. Regarde, j’ai les mains dans le dos, comme ça tu ne crains rien. Un tout petit baiser, du bout des lèvres… Sois pas stupide, je ne vais pas te violer… On le fera quand toi tu voudras, je ne peux pas te dire mieux… Je te le jure sur la tête de ma mère ! Crois-moi ! Allez, reste encore, ma voiture est cassée et il n’y a plus de métro. Je te promets de ne rien tenter. Tu dormiras dans le lit et moi sur le canapé, OK ? Mais reste encore un peu contre moi, serre-moi, mais non, j’ai rien dans ma poche, qu’est-ce que tu vas chercher… Bon, je me retourne, retire ta robe et mets-toi au lit. Mais n’aie pas peur, je ne rentre pas dans le lit, je veux juste un baiser, avant de me coucher dans le canapé…Dis, tu sais que je t’aime, tu le sais ?  Tu ne me crois pas ?… Dis, tu ne vas quand même pas me laisser dormir sur le canapé !  Je te jure que je me mets dans le lit sans te toucher. A l’autre bout. Et si toi tu veux un câlin… hé ben tu décides, je ne peux pas te dire mieux. Allez Judith, dis oui…

Texte © dominiquecozette d’après « L’eau à la bouche » de Gainsbourg
Dessin © dominiquecozette

Kabul, c’était comment en 67 ?

Un nuage de haschish...

Je trie mes vieilles lettres et tombe sur celle-ci, d’un copain qui a plaqué son école de commerce pour bourlinguer.  Il m’écrit de Kaboul, en 67 :
« Je me trouve donc actuellement en Afghanistan. C’est le royaume des fourrures et du haschish. Les unes comme les autres sont aussi bon marché et on en trouve à tous les coins de rue contre une poignée de dollars. J’ai sur ma table à côté de moi 1/2 kg de haschish qui appartient à un ami. Hier soir, j’arrive à Kaboul vers minuit. Je frappe à la port de l’hôtel Noor, réputé comme lieu de perdition où  ou tous les beatnicks, voyageurs et Européens bizarres se rendent. On est accueillis par un Afghan complètement parti, avec des yeux grands comme des soucoupes. Il nous installe dans une chambre et revient ensuite avec son shilum, sorte de pipe dans laquelle on fume le haschish pur. Il nous explique que comme il fait très froid la nuit, il vient remplir la chambre d’une fumée de h réconfortante. En effet, dix minutes plus tard, on n’y voit plus rien. Nous nageons dans un nuage de h, et pas du plus mauvais. Il nous lance ensuite des petites plaques de h sur le lit, il n’arrête pas de rire et de parler (…).  Il est tordant, très bronzé. Il porte un petit chapeau couvert de broderies en fils d’or comme en portent les Afghans sous leur turban. Très content, il revient avec du raisin, des gâteaux et des bonbons. Il est merveilleux. D’ailleurs en Afghanistan, tout est merveilleux.(… ) J’apprécie de plus en plus, les paysages, les visages, tout ce qui est naturel et pas contrefait. Je ne regrette qu’une chose, c’est de trouver sur la route des individus complètement drogués, pas au haschish mais à la morphine, à la cocaïne et à tous les médicaments genre Maxiton fort, amphétamines et tout le reste. Le h est une drogue très saine, moins dangereuse que le tabac et l’alcool. (…) Je compte rester à Kabul huit à dix jours, ensuite je vais au Pakistan, puis à Dehli. J’irai sans doute passer Noël à Katmandou… »
Ce copain a vécu au Boutan, est ensuite parti dans le monde, sur un bateau etc. j’ai définitivement perdu sa trace. Il s’appelle Jean-Eudes Bertrand (il n’est pas un des deux de ce nom sur FB). Si quelqu’un le connaît…En recopiant ces mots, j’entends la radio qui la mort d’un soldat français en Afghanistan.

Texte © Jean-Eudes B. /Photo © Mroad

l’amer qu’on voit ses dents…

Aujourd’hui, tout a été fait, dit, inventé, c’est dingue ! L’autre jour, j’écris une sublime chanson sur ma mère. Ma mère, c’est une petite dame toute grisonnante avec un coeur comme ça, j’ai voulu lui rendre un hommage pour tout le bonheur qu’elle nous a donné, à mes sept frères et moi-même. Moins mes soeurs, parce que c’est normal qu’elle leur ait demandé de les aider, du coup elles sont moins ressenti le bonheur.
Ma chanson, ça commençait comme ça : « ma mère qu’on voit danser le long des golfs verts (elle fait des ménages dans le clubhouse d’un dix-huit trous) a des reflets d’argent, ma mère, des reflets changeants sous la pluie. »
Encouragé par le sentiment d’inaltérabilité de cette poésie, j’enchaîne : Ma mère au ciel d’éte confond ses blancs moutons avec les anges si purs (elle perd un peu la tête, ma p’tite maman) ma mère bergère d’azur infinie (ça, je ne sais pas à quoi ça se réfère mais ça sonne bien).
Le troisième couplet était un peu foireux, avec des étangs et des maisons rouillées, à retravailler. Et le dernier, très lyrique : Ma mère nous a bercés le long des golfs verts et d’une chanson d’amour ma mère a bercé mon coeur pour la viiiiiiiiiiieeeeeeeeee (violons qui s’envolent etc.).
Quand je suis allé à la SACEM déposer mes paroles, le mec les a lues et m’a demandé si je me foutais de sa gueule. Quel intérêt j’aurais ? lui demandai-je. Il alla montrer mon texte à ses collègues et tous, ils se sont mis à se marrer en me regardant. C’était très pénible. Il m’a alors dit : mon petit gars, faudrait réviser vos classiques. N’allez pas me dire que vous ne connaissez pas Trénet. Trénet ? Qui connaît Trénet ?
Alors, je l’ai lue à la mère de mon ex qui s’y connaît en chansons, elle aussi a éclaté de rire. Vous êtes impayable, m’a-t-elle déclaré. Et là-dessus, elle m’a joué le CD du fameux Trenet qui est mort et enterré !!! Putain, il m’avait piqué ma chanson !!! Parfaitement, je l’ai inventée AUSSI cette chanson, non, je ne l’ai jamais, jamais, jamais  entendue… Alors, qu’est-ce que je fais maintenant ? J’écris  sur mon chagrin quand mon ex m’a quitté et que j’ai entendu le train siffler et que j’ai pensé « que c’est triste un train qui siffle dans le soir » ? Puis je me suicide quand on m’annonce que ça a déjà été dit ?

Texte  © charles trenet & dominiquecozette / dessin © dominiquecozette

C’est obligé de ranger, monsieur Perec ?

« Comment je classe. Mon problème avec les classements, c’est qu’ils ne durent pas ; à peine ai-je fini de mettre de l’ordre que cet ordre est déjà caduc. Comme tout le monde, je suppose, je suis pris parfois de frénésie de rangement ; l’abondance des choses à ranger, la quasi-impossibilité de les distribuer selon des critères vraiment satisfaisants font que je n’en viens jamais à bout, que je m’arrête à des rangements provisoires et flous, à peine plus efficaces que l’anarchie initiale. Le résultat de tout cela aboutit à des catégories vraiment étranges ; par exemple une chemise pleine de papiers divers et sur laquelle est écrit “à classer” ; ou bien un  tiroir étiqueté “urgent 1” et ne contenant rien (dans le tiroir “urgent 2” il y a quelques vieilles photographies, dans le tiroir “urgent 3” des cahiers neufs). Bref, je me débrouille. »
Texte © Georges Perec « Penser/classer »

Photo © dominiquecozette : chambre d’adolescente qui n’a jamais pu rien ranger. Aujourd’hui, elle est archiviste dans une grosse boîte d’assurances et il paraît qu’elle assure grave. Chez elle, c’est devenu nickel, elle a des boîtes pour tout, il y a d’abord eu les boîtes Habitat héritées de sa mère (à l’époque où Habitat était sympa et abordable), puis les boîtes Ikéa de toutes tailles et facilement réassortissables et enfin, pour changer du carton qui finit par s’écrouler, des boîtes Muji en plastique transparent. Quand vous lui demandez si elle a une aiguille, elle ouvre d’abord un placard où sont empilés de ces  grands tiroirs. Elle tire celui des « travaux manuels », elle en sort une boîte à chaussures Camper où est inscrit « couture » sur un morceau de gaffer, elle l’ouvre, sort une petite boîte translucide ou est marqué « aiguilles » et en sort plusieurs étuis à aiguilles de différentes tailles. Et tout comme ça. C’est tuant aussi, d’une certaine façon.

Pas d’accord avec toi, Philippe Djian !

« J’ai rencontré Jerome David Salinger, pour la première fois, en octobre 1965. A cette époque, je le dis à l’attention des plus jeunes, il fallait faire un effort de volonté pour ne pas se suicider. Vous n’imaginez pas comme ce pays était sombre et triste et infiniment cotoneux. N’écouez pas ceux qui vous disent le contraire. J’y étais. Nous partions en lambeaux, nous nous morfondions, nous passions des journées entières à jouer au flipper, à rêver de libération sexuelle, et rien ne frémissait à l’horizon, rien ne nous retenait de nous jeter dans la Seine »
texte © Philippe Djian in Les Inroks du 3 fév 2010 à propos de DJ Salinger.

Ce texte contredit absolument celui que j’ai écrit il y a deux jours (« pas concernée du tout, et alors ? ») où je racontais que le milieu des années 60 était justement une époque bénie. Mio aussi, j’y étais ! Le pays n’était pas sombre, on avait nos musiques de jeunes, nos fringues de jeunes, nos boums, les films de James Dean étaient sortis depuis longtemps, on se marrait au bowling, il y avait Pilote, et Playboy et Lui étaient en vente libre pour les garçons en manque de sexe, ça draguait sec au Wimpy… Peut-être Djian avait-il de l’acné, des complexes terribles ou je ne sais quoi qui l’empêchait de profiter de cette période tellement amusante… En même temps, c’est peut-être grâce à ce mal être qu’il a réussi à devenir écrivain.

Texte et dessin (Djian Nicholsonisé…) © dominiquecozette

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