Algues vertes, OGM & autres saloperies

Le mec en 4X4 noire vitres noires qui m’avait prise en stop dans cette plaine de Nullepart où ne paissait rien mais poussait du maïs arrosé, entreprit de me faire la conversation tout en continuant à téter un énorme cigare étronique et à visionner un porno d’un pénis distrait :
« Autrefois, le lisier —  les excréments des animaux — précisa-t-il  à la blondasse que j’étais, était mélangé à la paille, et cela donnait l’or noir des étables. Mais, comme on a divisé, cloisonné et délocalisé les productions, on a la paille et les céréales en Beauce (il fit un large geste du bras droit en direction du plat pays) et l’élevage en Bretagne. Et on en peut même pas restituer la paille en Beauce, parce que le sol n’a plus les bactéries nécessaires pour la digérer, elle se retrouve intacte dans les sols, trois ou quatre ans après. Donc on la brûle. En, ce faisant, on déminéralise encore plus le sol, on détruit encore plus sa faune. Pendant ce temps, en Bretagne, le lisier part dans les rivières et sur le littoral, provoque les marées vertes au printemps. »
Il se tourna vers moi et éclata de rire ! « Pauvres vacanciers ! ».  Puis poursuivit:
« Les OGM, voyez-vous, génèrent l’affrontement entre deux droits de propriétés. Si je cultive mes espèces normales mais que mon champ est contaminé par des OGM, je ne suis plus propriétaire de ma récolte. PLUS PROPRIÉTAIRE DE MA RÉCOLTE ! martela-t-il. Celle-ci appartient au propriétaire du brevet des OGM. C’est comme ça que des paysans américains et canadiens ont été ruinés ces dernières années par Monsanto. Vous connaissez forcément Monsanto. Imaginez si Lavoisier avait déposé un brevet sur l’azote et sur la carbone et que plus aucun scientifique n’ait pu travailler dessus ! Où en serait-on ? »
Il éclata de nouveau d’un rire obscène au moment où le comédien déchargeait un tube de lait Nestlé sur le ventre de la nana.
 » Moi, je vous raconte ça mais je m’en tape ! J’ai pas de gosses, la planète de toute façon elle continuera sans nous, alors les OGM, les pesticides et tout ça, moi, c’est la thune qui m’intéresse, pas vrai ? »
Intérieurement, je m’en voulais de m’être encore trompée d’histoire d’amour. Enfin, je n’avais qu’à monter dans le véhicule précédent, une vieille bétaillère conduite par un vieux bonhomme sans dents.

Texte d’après Philippe Desbrosses, agriculteur, docteur en sciences de l’environnement, université Paris-VII, directeur du centre-pilote de la Ferme de Sainte Marthe et président d’Intelligence verte (association pour la promotion de la biodiversité). In Solutions locales pour un désordre global, le livre de Coline Serreau chez Actes Sud.
Dessin poussif © dominiquecozette

Et le bousier, dans tout ça ?

La plus belle femme du monde me fixait d’un oeil torve alors que je lui racontais ce qui me préoccupait le plus sur cette planète : la disparition de la biodiversité, tandis que le maître d’hôtel découpait l’os de la côte sur une épaisse planche en citronnier.
– Le bousier, par exemple. Ah, le bousier ! T’en as jamais vu ? Impressionnant, cette petite bestiole qui pousse, tel Sisyphe, une énorme boule de bouse. Mais il a disparu des pampas australiennes parce qu’en remplaçant le vermifuge naturel qu’on donnait au bétail par des produits chimiques, on a intoxiqué les bouses et tué les bousiers.
– C’est gracieux, tout ça ! Qu’est-ce qu’on en a à foutre des bousiers ?
– Eh bien figure-toi que le bousier est le seul être qui déconstruise la bouse…
– Franchement, c’est passionnant !
– Alors la bouse reste intacte et empoisonne le sol. Et on y voit pousser des refus, des herbes énormes et âcres que les animaux ne veulent pas manger. Et alors la prairie se dégrade et
– Et alors ? Et alors ???
– Et les bactéries du sol disparaissent. Donc plus de sol, plus de bétail, tu vois le topo !
– C’est chiant, ton truc, ta bouse, tout ça, on s’en tape !!! (dit-elle en enfournant un gros morceau de viande)
– Eh bien le gouvernement australien vient de voter un crédit de 15 milliards de dollars
– QUINZE MILLIARDS  DE DOLLARS ????? (Elle s’étouffe, tousse, devient rouge, se ridiculise, je ne l’aime plus, ça y est, je la trouve moche)
– … pour réintroduire le bousier. Tu vois la connerie du monde dans lequel on vit, finis-je vivement en sortant ma pince à billets et en ajoutant bien fort :  Garçon, l’addition, s’il vous plaît !
Et je quittais la table, la laissant perplexe devant cette histoire agro-écologique dont elle n’avait rien à foutre car rien ne l’intéressait hors la marque de ses chaussures, le prix de son sac et le nombre d’étoiles de l’hôtel où quelqu’un de plus con que moi l’aurait invitée à passer la nuit. Merde !

Dessin et texte © dominiquecozette d’après un texte de Philippe Desbrosses, agriculteur, docteur en sciences de l’environnement, université Paris-VII, directeur du centre-pilote de la Ferme de Sainte Marthe et président d’Intelligence verte (association pour la promotion de la biodiversité). In Solutions locales pour un désordre global, le livre de Coline Serreau chez Actes Sud

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