Et le bousier, dans tout ça ?

La plus belle femme du monde me fixait d’un oeil torve alors que je lui racontais ce qui me préoccupait le plus sur cette planète : la disparition de la biodiversité, tandis que le maître d’hôtel découpait l’os de la côte sur une épaisse planche en citronnier.
– Le bousier, par exemple. Ah, le bousier ! T’en as jamais vu ? Impressionnant, cette petite bestiole qui pousse, tel Sisyphe, une énorme boule de bouse. Mais il a disparu des pampas australiennes parce qu’en remplaçant le vermifuge naturel qu’on donnait au bétail par des produits chimiques, on a intoxiqué les bouses et tué les bousiers.
– C’est gracieux, tout ça ! Qu’est-ce qu’on en a à foutre des bousiers ?
– Eh bien figure-toi que le bousier est le seul être qui déconstruise la bouse…
– Franchement, c’est passionnant !
– Alors la bouse reste intacte et empoisonne le sol. Et on y voit pousser des refus, des herbes énormes et âcres que les animaux ne veulent pas manger. Et alors la prairie se dégrade et
– Et alors ? Et alors ???
– Et les bactéries du sol disparaissent. Donc plus de sol, plus de bétail, tu vois le topo !
– C’est chiant, ton truc, ta bouse, tout ça, on s’en tape !!! (dit-elle en enfournant un gros morceau de viande)
– Eh bien le gouvernement australien vient de voter un crédit de 15 milliards de dollars
– QUINZE MILLIARDS  DE DOLLARS ????? (Elle s’étouffe, tousse, devient rouge, se ridiculise, je ne l’aime plus, ça y est, je la trouve moche)
– … pour réintroduire le bousier. Tu vois la connerie du monde dans lequel on vit, finis-je vivement en sortant ma pince à billets et en ajoutant bien fort :  Garçon, l’addition, s’il vous plaît !
Et je quittais la table, la laissant perplexe devant cette histoire agro-écologique dont elle n’avait rien à foutre car rien ne l’intéressait hors la marque de ses chaussures, le prix de son sac et le nombre d’étoiles de l’hôtel où quelqu’un de plus con que moi l’aurait invitée à passer la nuit. Merde !

Dessin et texte © dominiquecozette d’après un texte de Philippe Desbrosses, agriculteur, docteur en sciences de l’environnement, université Paris-VII, directeur du centre-pilote de la Ferme de Sainte Marthe et président d’Intelligence verte (association pour la promotion de la biodiversité). In Solutions locales pour un désordre global, le livre de Coline Serreau chez Actes Sud

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