L’euphorie de Sylvia Plath

L’Euphorie est écrit par une autrice suédoise, Elin Cullhed, couronnée par le prestigieux prix August pour cet ouvrage, qui imagine la dernière année de Sylvia Plath avec avertissement en début d’ouvrage qui nous prévient bien qu’il s’agit d’une fiction bien que tous les personnages soient réels. Sylvia Plath est considérée comme une des plus grandes poétesses américaines.
Elle est mariée à un homme qu’elle adore, Ted Hugues, poète lui-même, anglais, et elle quitte son Amérique chérie pour vivre la Grande Passion consacrée par la naissance d’une fillette adorable puis la conception de leur petit garçon.
Tous deux décident de quitter Londres pour s’épanouir dans le Devon, un trou perdu et rustique mais si romantique, les fruits et légumes du jardin, le feu, la nature. Elle se consacre avec opiniâtreté au bonheur de sa famille, laissant Ted lui piquer sa place d’écriture dans le grenier et même sa place de notoriété puisqu’il en profite pour écrire des textes qu’il va lire à la BBC, prétexte pour lui de se dégager de la passion étouffante et exagérée de sa femme. Elle n’écrit plus, se force à inviter des voisins ploucs puis un jour, des gens plus illustres venus de Londres. Elle a commis l’erreur d’introduire le loup dans la bergerie, le loup étant une jeune femme snob et sophistiquée devant laquelle va baver Ted. Et plus que baver.
Peu à peu, le bonheur qu’elle voulait parfait se dégrade, les tâches ménagères lui paraissent écrasantes, elle en veut au monde entier d’en être là, à son père mort quand elle avait huit ans, à sa mère qui ne l’a jamais aimée et surtout à Ted.
Raconté comme ça, c’est banal, mais n’en croyez rien. L’écriture d’Elin mêlée au talent de la traductrice en fait un livre à déguster avec force gourmandise même si parfois le gâteau est trop crémeux, mais tout ce qu’elle nous raconte nous laisse entrevoir les affres de la condition féminine lorsqu’elle se soumet à un amour qu’elle croit immarcescible. Elle y met aussi pas mal de suspense, ce qui est étonnant vu la platitude de la réalité vécue par Sylvia. L’important ici n’étant pas ca qu’elle vie, mais les pensées qui l’assaillent, le rôle excessif qu’elle attribut à l’amour et qui lui fait exiger l’impossible de son mari. C’est une sacrée chieuse en fait, le contraire de cool.
Moi, ça m’a passionnée.
Une citation rigolote : Il était neutre comme un jambon de comptoir.
(J’apprends en off que Sylvia Plath s’est suicidée au bout de cette histoire, à 31 nas, malgré l’amour démesuré qu’elle portait à ses deux petits dont elle fait deux très jeunes orphelins.)

L’Euphorie par Elin Cullhed, 2021, traduit du suédois par Anna Gibson. Chez 10/18.

Texte © dominique cozette

Ecrire c’est mourir un peu

Franck Courtès nous livre un document super intéressant avec A pied d’œuvre, son dernier ouvrage où il raconte ce qu’est devenue sa vie depuis qu’il a décidé de se consacrer à l’écriture. Avant ça, il était un photographe connu et reconnu qui allait partout dans le monde tirer le portrait des people de toutes sortes. C’était un boulot lucratif, mieux que ça, une vraie passion. Et comme souvent la passion, ça s’éteint. les rencontres superficielles lui ont paru tellement vaines ! Lorsqu’il a compris que l’écriture était une vocation à nulle autre pareille, il a tout lâché. Il a même refusé de faire du clic-clac alimentaire. C’eût été facile pourtant. Mais non. Il a préféré trouver des « petits boulots » comme on dit légèrement quand on ne s’y est jamais frotté. Surtout à cinquante balais.
D’abord, il s’est rendu compte qu’il ne savait pas faire grand chose, qu’il était piètre bricoleur et que surtout, personne ne voulait confier de travail à ce mec plus très jeune alors que des précaires étrangers étaient prêts à accepter n’importe quoi à n’importe quel bas prix. Des exploités. Je sais, ça ne se dit plus plus, on dit des auto-entrepreneurs, des mecs qui n’ont aucun recours en cas d’accident, qui ne cotisent rien, qui sont sous-payés et ne sont pas couverts par les conventions et autres codes du travail. Et ne peuvent même pas se grouper car ils sont indépendants, ayant pour seul chef la plateforme malveillante, ogresse avide de fric sans aucune pitié.
Et pourtant, il s’y est mis, il a bousillé son dos, ses doigts, ses genoux, ses relations sociales, ses rêves, ses maigres économies et ses illusions. Il s’est fait payer des misères pour descendre des gravats, monter des frigos, tondre sans tondeuse, bien des choses qu’il a acceptées sans savoir à quoi il s’engageait, le principal étant de coûter moins cher que les jeunes précaires.
Il a perdu aussi l’estime de ses deux enfants partis vivre avec leur mère au Canada, abandonnés donc par ce foutu père incapable de leur payer quoi que soit.
Le plus intéressant dans cette affaire, c’est sa belle écriture qui nous décrit l’enfer de cette nouvelle société qui écrase les petits pour le confort des plus aisés. Les galères. L’infernale chasse au trésor (quel trésor) pour quelques sous qui ne paient que de la merde à manger. Et surtout la peur d’être privé de l’immonde travail qui fait tant de mal. Et l’empêche même parfois d’écrire tellement il est épuisé, rincé, vidé, tellement il pèle de froid, tellement il a faim.
Quelques extraits :
« Achever un texte ne veut pas dire être publié, être publié ne veut pas dire être lu, être lu ne veut pas dire être aimé, être aimé ne veut pas dire avoir du succès, avoir du succès n’augure aucune fortune.« .
« La Plateforme est la réalisation fourbe et géniale d’une logique industrielle : utiliser une masse ouvrière réduite au silence, dont on n’exploite plus le produit du travail mais le droit de travailler lui-même. [•••] J’attends avec les autre ces missions au rabais comme on attend à l’arrière d’un restaurant la sortie des poubelles. [•••] Je passe d’un cocktail dans un hôtel particulier au Lidl de mon quartier, du jacuzzi surchauffé d’un ami à la glaçante température de mon studio, sans qu’à aucun moment on juge déplacée ma présence dans un luxe que je ne pourrais m’offrir. Entre mon métier d’écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis« .
Et avant-dernière page, et alors que son nom est inscrit dans la liste d’un des prix Goncourt de printemps « Je vous contacte de la part d’une amie qui m’a dit beaucoup de bien de votre travail. Pourriez-vous venir au 23, rue Jouffroy-d’Abbans ? Chasse d’eau cassée. Et deux ou trois bricoles, une tringle décrochée ». « Je peux être là dans trente minutes; est-ce que vingt-cinq euros vous conviennent ?« 
La dernière page est une sorte de CV de ce qu’il peut faire. Croquignolet. Espérons que le succès de ce livre, qui n’est pas le premier, lui permettra de travailler dans plus de confort. Et d’épater ses enfants.

A pied d’œuvre de Franck Courtès, 2023 aux Editions Gallimard. 190 pages, 18,50 €

Texte © dominique cozette

Son mari

Mon mari de Maud Ventura est un très grand succès, j’ai attendu qu’il soit en poche pour l’acquérir. Au début, j’ai trouvé ça un peu moyen, cette femme toujours tellement amoureuse de son mari au point de se pourrir la tête avec des questions sur son amour à lui… Ils ont deux enfants mais elle, ça ne l’intéresse pas, ce qu’elle veut, c’est qu’ils aillent ait fissa pour que la soirée en tête à tête avec son mari puisse commencer. Pourtant, ils mènent une vie exemplaire, tout le monde envie leur couple, ils ont réussi, elle est traductrice et lui a une très bonne situation. Une belle maison, des amis sympas et ils sont tous les deux très beaux. Cela suffirait à son bonheur si elle n’était pas aussi opiniâtre à décoder TOUS les gestes, mots, actes de son mari. Le pire est arrivé lorsqu’il a comparé, lors d’un jeu chez des amis, sa femme à une mandarine, ce petit fruit ordinaire et sans panache. Depuis, elle rumine, elle en pleure. Elle pense qu’elle ne représente plus rien pour lui alors qu’il est tout pour elle. Elle tente de lui prendre la main, elle lui reproche intérieurement de ne plus lui rouler des pelles, l’appeler trois fois par jour pour lui dire qu’il l’aime. Etc. Alors parfois elle prend un amant d’un jour pour se détendre et elle sait que son mari, le soir-même, lui fera l’amour avec frénésie.
Au fur et à mesure de la lecture, on se dit que cette femme est vraiment pénible, chiante voire totalement malade. Maniaque et dépressive car elle pleure très souvent. Et on sent que ça va mal se terminer.
Mais la fin est très inattendue. Et assez rigolote.

Mon mari de Maud Ventura, 2021, 268 pages.

Texte © dominique cozette

La tondue

Le livre Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclés est, comme la plupart aujourd’hui, ceint d’un bandeau sur lequel apparaît une célèbre photo réalisée à la libération par Robert Capa, montrant une femme au crâne rasée, portant son bébé, injuriée et maltraitée par la foule parce qu’elle a couché avec un « boche ». L’autrice s’est inspirée de cette image pour imaginer une histoire, celle d’une adolescente vivant à Chartres entre une mère alcoolique, un père transparent, une sœur protectrice et des voisins malveillants. Elle a déjà perdu sa meilleure amie qui a fui sans laisser de traces peu avant la guerre car elle était juive, alors elle ne veut pas moisir dans cette petite ville sans ambition.
C’est un peu pour ça qu’elle admire le Reich, tout est droit, organisé, fier et fort. Elle va s’arranger pour se faufiler après de l’admibistration allemande qui occupe la ville pour travailler avec eux. Son point fort : intelligente et bosseuse, elle a eu son bac avec mention très bien mais surtout, elle parle un allemand impeccable car elle aime la langue de Goethe. Tout cela, au grand dam de sa famille qui voit ce projet comme une trahison.
Quelques temps avant l’occupation, elle a eu une histoire avec le fils de sa prof d’allemand, un très beau garçon qui rêve d’aller au front pour défendre son pays et casser du boche. Il l’a prise, sans aucun égard, pour ce qu’elle n’est pas, une fille facile, elle qui croyait à l’amour et ne connaissait pas la brutalité des viols. Enceinte, avortement secret, rejet du garçon. Ne veut plus croire aux sentiments.
Elle finit par trouver sa place comme traductrice et dans cet environnement adulte auquel elle n’était pas préparée, ses yeux se dessillent sur la façon qu’ont certaines de se hisser au sommet. Elle ne veut surtout pas faire pareil et ça va lui causer quelques problèmes.
Puis coup de foudre avec un bel officier allemand, anti-guerre, extrêmement droit et correct, qui voudra l’épouser. En temps de guerre, tout ça est très compliqué, tabou, voire interdit. Ce sera son histoire…
Oui, ce premier roman a eu les honneurs de beaucoup de critiques, c’est vrai qu’il est intéressant mais j’ai été très gênée par le fait que la fille, la narratrice, s’exprime dans un langage non seulement crapoteux, mais aussi avec des expressions d’aujourd’hui (« ça m’a foutu les poils », et bien d’autres). Quel intérêt ? D’accord, elle vient d’une famille de « prolos » mais elle a travaillé pour avoir son bac, elle adore la beauté de la langue allemande, son amoureux adore la langue française, je ne vois pas d’explication. Une écriture classique aurait rendu ce roman plus authentique et tellement plus élégant. Dommage.

Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclés, 2023 aux éditions JCLattès. 384 pages, 20,90 €

Texte © dominique cozette

Un chien à ma table

Ce n’est pas un chien stupide qui débarqua un jour chez John Fante (dont le film qui en fut tiré est très au-dessous du livre), c’est une petit chienne qui débarque chez un vieux couple retiré au fin fond du trou de cul de l’est de la France. Un chien à ma table est un roman de Claudie Hunziger qui nous amène dans un coin presque encore inviolé de la forêt loin de tout, une vieille baraque, où ces deux énergumènes finissent leur vie. Lui, c’est Grieg, ou le Grigou, cheveux gris, bandana rouge, ridé, fumeur, qui passe ses nuits à lire dans sa chambre alors qu’elle se réveille plutôt dès matines et qu’elle écrit. Ils s’adorent depuis soixante ans, elle nous expose les écroulements du corps et de la santé liés à l’âge mais aussi la beauté presque perdue d’une nature généreuse, merveilleuse, consolante.
La petite chienne qu’elle va appeler Yes a subi visiblement les sévices d’un sale type, elle s’est enfuie, sa chaîne est rompue. Puis elle disparaît. Est-elle retournée chez son tortionaire ? Non, elle revient et s’installe auprès du couple. C’est une affectueuse, une lécheuse, une tendre. Notre héroïne va l’adorer plus que tout, va trembler pour elle lorsqu’elle verra passer des drôles de bonshommes sur le GR proche de chez eux.
Cette écri-vaine, comme l’appelle son vieux compagnon, va à la ville présenter son dernier bouquin, comme à la guerre : des pompes énormes, les mêmes que celle de Brigitte Fontaine sur une photo, et sa vieille parka.
Puis un jour, Grieg voudra redormir avec elle, alors elle construira un grand lit avec, pour sommier, tous les Monde qu’ils n’ont jamais jetés, dans un cadre en bois. La pièce à vivre deviendra la chambre des trois, eux deux plus la chienne.
Il ne se passe pas énormément de choses dans ce livre si ce n’est la narration d’un amour immense pour cette nature que détruit l’homme, la menace que tout s’arrête et aussi la peur de la mort de l’un d’eux. On apprend des noms d’arbres, de fleurs, des petites vies de bêtes et on partage des moments de pure simplicité avec eux. Et on a peur, nous aussi, que cette harmonie très roots ne vole subitement en éclats.
Très beau livre, poignant, d’une magnifique écriture.

Un chien à ma table de Claudie Hunziger, 2022, chez J’ai lu. 288 Pages, 7,80 €

Texte © dominique cozette

Triste tigre

Triste Tigre est un texte surprenant parce qu’il ne cesse de questionner, nous comme son autrice Neige Sinno, sur le mécanisme du viol, celui qu’elle a subi durant des années, et ses suites. Il ne se lit pas d’une traite, il demande réflexion, il comporte beaucoup de digressions proches du sujet mais s’en éloigne parfois. C’est impressionnant. Une fois n’est pas coutume, je vous livre le « résumé » que Babelio en a fait car je ne pourrai pas dire mieux :

« Il disait qu’il m’aimait. Il disait que c’est pour pouvoir exprimer cet amour qu’il me faisait ce qu’il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l’aime en retour. Il disait que s’il avait commencé à s’approcher de moi de cette manière, à me toucher, me caresser c’est parce qu’il avait besoin d’un contact plus étroit avec moi, parce que je refusais de me montrer douce, parce que je ne lui disais pas que je l’aimais. Ensuite, il me punissait de mon indifférence à son égard par des actes sexuels. »
Entre 7 et 14 ans, la petite Neige est violée régulièrement par son beau-père. La famille recomposée vit dans les Alpes, dans les années 90, et mène une vie de bohème un peu marginale. En 2000, Neige et sa mère portent plainte et l’homme est condamné, au terme d’un procès, à neuf ans de réclusion. Des années plus tard, Neige Sinno livre un récit déchirant sur ce qui lui est arrivé. Sans pathos, sans plainte. Elle tente de dégoupiller littéralement ce qu’elle appelle sa « petite bombe ». Il ne s’agit pas seulement de l’histoire glaçante que le texte raconte, son histoire, une enfant soumise à des viols systématiques par un adulte qui aurait dû la protéger. Il s’agit aussi de la manière dont fonctionne ce texte, qui nous entraîne dans une réflexion sensible, intelligente, et d’une sincérité tranchante. Ce livre est un récit confession qui porte autant sur les faits et leur impossible explication que sur la possibilité de les dire, de les entendre. C’est une exploration autant sur le pouvoir que sur l’impuissance de la littérature. Pour se raconter, la narratrice doit interroger d’autres textes, d’autres histoires. Elle nous entraîne dans une relecture radicale de Lolita de Nabokov, ou de Virginia Woolf, et de nombreux autres textes sur l’inceste et le viol (Toni Morrison, Christine Angot, Virginie Despentes). Comment raconter le « monstre », « ce qui se passe dans la tête du bourreau », ne pas se contenter du point de vue de la victime ? Jusqu’à reprendre la question que le poète William Blake adressait au Tigre : « Comment Celui qui créa l’Agneau a-t-il pu te créer ? » (The Tyger). Le récit de Neige Sinno nous fait alors entrer dans la communauté de celles et ceux qui ont connu « l’autre lieu », celui de la nuit et du mal, qui ont pu s’en extraire mais qui en sont à jamais marqués, et se tiennent ainsi à la frontière des ténèbres et du jour. Nulle résilience. Aucun oubli ni pardon. Juste tenter de tenir debout, écrire son récit comme une « petite bombe artisanale qu’on fait exploser tout seul chez soi, dans l’intimité de la lecture. Elle a l’intensité et la fragilité des choses conçues dans la solitude et la colère. Elle en a aussi la folle et ridicule ambition, qui est de faire voler ce monde en éclats. »

Triste tigre de Neige Sinno, aux éditions P.O.L. 288 pages, 20 €.

Texte © Babelio

La foudre du dernier Pierric Bailly

Le dernier opus de Pierric Bailly, La Foudre, est beaucoup plus épais que les précédents. Etoffé. C’est qu’il y en a à raconter. D’abord, et toujours chez cet auteur, la nature jurassienne dans toute sa beauté, ou sa dureté, ou sa variété. Le héros a pris le nom de son taiseux de grand-père, John, l’homme qui lui a tout appris sans mot. Il est mort mais toujours là, dans le cœur de John, le jeune. Pour l’instant, il est berger pendant plusieurs mois, il garde les brebis d’Anna-Marie qui ne veut plus monter. Il vit de peu, dans son abri sans grand confort, avec ses deux chiens adorés plus les deux patous qui protègent le troupeau des bêtes sauvages. Pour allumer son feu, il dispose d’une pile de vieux journeaux qu’il parcourt distraitement. Il n’a pas de Wifi, ni de portable. Il est vraiment coupé du monde. Il a cependant une amoureuse depuis quelques années qui a formé un beau projet pour eux deux : aller vivre à la Réunion et y faire un bébé. Elle est enseignante et n’aura aucun mal à trouver du boulot. Elle ira dès la rentrée des classes pour y trouver le lieu et la maison et lui la rejoindra une fois les brebis redescendues.
Mais soudain, bim, à la une d’un vieux journal, il apprend qu’Alex, un ami d’internat, vient de tuer un chasseur. Alex est un non-violent, certes il n’est pas très chasse, vegan plutôt et il sauve tous les animaux abîmés depuis qu’il est petit. Alex, c’était un sacré personnage, un charme fou, un charisme tel que John a copié son grand rire et l’a pris longtemps pour modèle dans sa tête. En plus, il sortait avec Nadia dont John était très épris.
Pour en savoir plus sur ce mystère qui le touche de près, il réussira à joindre Nadia avant de partir. Mais elle vit dans un tel désarroi avec ses deux petits mômes et son mec en prison, pas encore jugé alors qu’il s’agit vraiment d’un accident, que John fait tout ce qu’il peut pour la soutenir, l’aider, lui permettre enfin de libérer sa parole car son mari, le meurtrier, est devenu tabou auprès des autres, donc elle aussi. John n’a aucune arrière pensée en agissant ainsi. Dt impossible de ne pas assister au procès, il veut aller jusqu’au bout, et pour cela, il recule son arrivée à la Réunion.
Le roman va devenir tendu, on se doute qu’il ne va pas échapper à ce bon vieux dilemme : Héloïse ou Nadia, tout en sachant qu’Alex n’est pas mort, qu’il va peut-être revenir bientôt, libre, aimer sa femme, s’occuper de ses marmots.
Entre temps, on se promène dans ces paysages magnifiques où l’auteur ne se prive pas de citer plantes et animaux qu’il aime tellement, odeurs et bruissements.
Un très beau livre, sentimental parfois, c’est la spécialité de l’auteur qui a taxé son dernier opus, le Roman de Jim, de mélodrame. Il le fait très bien.

La Foudre de Pierric Bailly, 2023 chez P.O.L. 460 pages, 24 €.

Texte © dominique cozette

Eloge de la plage

Le livre de Grégory Le Floch, Eloge de la plage, nous embarque dans un lieu que nous connaissons tous, dont nous rêvons tous, lieu magique où nous aimerions nous téléporter quand nous n’y sommes pas : la plage. Et pourtant, il y a très peu de temps que l’humain jouit de ce splendide bord de mer. Jadis, au contraire, il était craint ou ignoré. Les villages se construisaient loin des plages, ou dos à elles, sauf les ports, et seuls les fous et les malades y étaient emmenés pour soins. « Les premiers à fréquenter les plages sont les fous et les névrosés. Cela peut paraître étrange mais je ne suis pas surpris. Les fous ouvrent vraiment la voie. Ce sont eux qui débusquent la beauté, traquent les visions, malaxent et triturent la vie au péril de la leur jusqu’à ce que nous y percevions, nous autres, une petite trace de lumière. »
Que l’on se rassure, il ne s’agit pas d’un historique mais bien d’un ensemble de réflexions, de souvenirs et de références qu’a inspirés ce lieu. L’auteur cite nombre d’écrivains et d’artistes qui s’y sont illustrés comme Paul Morand, Eric Rohmer, Marcel Proust, Eugène Boudin le peintre, Brigitte Bardot, la liste est longue et savoureuse. Il se plaît à nous raconter les plages du monde qu’il a sillonnées ou adoptées avec son compagnon, celles qui disparaissent ou qui réapparaissent sous la furie des vagues ou par la bêtise des hommes.
Peuvent-ils le croire, les jeunes gens, que les hippies suivaient un circuit des plages pour aller jusqu’à Katmandou : on passait par Ibiza, Matala en Crète, Goa etc. Infaisable, bien sûr, de nos jours.
Il nous emmène dans des petites criques grecques, ou sur la plage que Jane Campion a choisie pour La Leçon de piano. Puis sur l’île d’Elbe, en Calabre. Il nous fait rencontrer Hermann Hesse adepte du nudisme. Et nous fait revivre quelques épisodes du débarquement.
Mais, car il y a toujours un mais, il nous attriste avec ce que nous faisons de ces lieux idylliques, les pollution de toutes sortes, les saletés que nous laissons traîner, les mines dont les truffent les guerres et surtout, surtout, l’énorme trafic mondial de sable : car le sable nous est indispensable pour fabriquer le ciment, le verre, l’asphalte, les routes etc. Les mégapoles qui se construisent en plein désert en sont avides car hélas, le sable du désert, trop rond, est inutilisable. Alors on pioche dans le patrimoine mondial, mers et rivières, on bouscule la diversité, on détruit, on vole, on fait des trous tellement énormes dans la mer que les plages finissent pas y disparaître. Sans parler de l’érosion, la bétonisation, la montée des océans… Des milliers de kilomètres de plages sont en train de disparaître irrémédiablement. D’autres sont devenues de vrais cimetières pour migrants. Le rêve devient cauchemar.
Puis la mer efface tout, la plage redevient vierge. Ce que nous souffle l’auteur : profitons encore des moments si beaux passés dans ces magnifiques endroits, ça nous rendra un bel éclat de vie.

Eloge de la plage de Grégory Le Floch, 2023 aux éditions Payot&Rivages, 236 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

Sacré Fab Cacaro !


Fan depuis le premier jour de Fab Caro, puis de Fabrice Caro, auteur de Zaï zaï zaï zaï dont a été tiré un film hilarant, rencontré plusieurs fois lors de signature donc vérifié que c’est un mec bien, drôle et tout, bouche bée devant son humour ravageur, je viens de m’offrir son tout dernier opus intitulé Journal d’un scenario qui, comme son nom l’indique, narre les affres d’un auteur aux prises avec une prod de film.
Comme de bien entendu, notre héros, Boris, est un loser. Inhibé, ayant une conscience fléchissante de lui même, néanmoins sûr de son talent créatif, il vient de finir Les Servitudes silencieuses, un scénar prout prout (c’est le cas de le dire) ambitieux, qui sera tourné en N&B et dont les deux héros seront Louis Garrel et Mélanie Thierry, conditions sine qua non à la négo de son futur succès.
Le producteur trouve son idée super, alors, il est fou de joie, et, cerise, rencontre à une soirée une jeune femme férue de ciné à laquelle il va confier tous les détails de sa créations. Elle en connaît un rayon car elle étudie le cinoche. Ils ne parlent plus que de ça, ciné, ciné, ciné.
Yann, son ami qui vient de subir une rupture, lui envoie son fils, un glandu style dilettante, qui lui fera un magnifique projet d’affiche. Boris ne sait pas dire non.
Il ne dit pas non non plus lorsque le producteur lui propose avec une insistance bienveillante et positive un autre comédien, puis un autre couple, un truc qui n’a mais alors rien à voir. Et qu’ensuite les financiers concernés développeront eux-mêmes des idées d’une vulgarité sans nom pour gagner les faveurs d’un public en quête d’humour. Car ils s’y connaissent en film et en humour.
Ces changements qui le mettent à bas, il est bien obligé de les accepter mais il continue à jouer la comédie devant la jeune femme dont il est amoureux, elle-même très amoureuse de Louis Garrel.
Je n’en dis pas plus… Personnellement, je n’ai pas vraiment aimé les gags grossiers des financiers, mais sinon, c’est un bon moment à passer, d’autant que Fabrice nous fait réviser des dizaines de films-cultes dans sa recherche de comparaisons à sa douleur de voir se diluer son idée.

Journal d’un scenario de Fabrice Caro, 2023 chez Gallimard Sygne, 190 pages, 19,50 €.

Texte © dominique cozette

La Péremption

Les pièges de ce livre de Nicolas Fargues, La Péremption :
– 40 ans. Nicolas Fargues n’a pas 40 ans comme il est exclamé sur le bandeau, mais ce sont les éditions P.O.L créées par feu l’incroyable Paul Otchakovsky-Laurens, mort lors d’un regrettable accident pendant ses vacances, qui les ont cette année. L’auteur, lui, a 51 ans, comme son héroïne Zélie.
Le Masque et la Plume ont encensé le bouquin dans un de leurs conseils.
– Le mec est un très bel homme après avoir été un très beau jeune auteur talentueux, donc oui, on aime lire du beau.
– le style est actuel, pour une vieille comme moi, il réfère beaucoup aux tics et éléments de langage qui habillent tous les billets et se déversent du bec de tous les sachants.
– C’est du P.O.L donc c’est du bon.
Et puis j’ai lu quelques-uns de ses titres de jeunesse où il se racontait avec aisance. Puis j’en ai lu un qui m’a déçu en mal. Donc je n’ai plus lu. Sauf que je m’y suis remise pour celui-ci, la preuve.
L’histoire n’est pas d’une grande originalité, c’est une femme sur le retour, comme on ne dit pas des hommes, donc fraîchement ménopausée, comme on ne dit pas des transgenres, qui prend une retraite précoce suite à un petit héritage et un désir de créer. Voilà-t-y pas qu’elle fait connaissance « par hasard » — comme on dit pompeusement trop souvent — lors d’une fête, un tout jeune homme issu de la diversité, très branché, « dreadlocks courtes aux pointes teintées de blond », qui se fait appelé Shock, Séraphin pour l’état civil, et se dit entrepreneur. Une histoire se noue, la vieille riche aisée et le jeune black en plein développement qui veut monter un élevage de je ne sais plus quoi dans son pays d’origine, la RC.
Ce livre est aussi agréable à lire qu’une satire de notre temps avec nos manies stupides, nos idées à la con, nos manières d’être ridicules, nos snobisme à la noix et nos références semi-culturelles vérifiées sur Wiki . Fargues s’amuse à les dézinguer avec grâce, il faut bien le reconnaître, et c’est très plaisant. Après ça, vous arrêterez peut-être de dire que vous êtes sur Paris.
Comme je suis d’humeur flemmarde, je te vous colle deux bonnes citations piquées dans Babelio :
« Une génération venue au monde avec une maîtrise innée du montage vidéo à coupe franche, de l’usage de la touche lecture rapide de la télécommande et des mots-consonnes de trois lettres. Hermétique aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes. […] Pour faire la conversation à Darel – et, par là, pour faire plaisir à Furio à qui je n’osais demander si lui et Darel étaient également amants, j’avais hasardé le nom d’Hervé Guibert. Darel m’avait toisée avec cette compassion amusée qu’on pouvait réserver, de mon temps, à un admirateur du violoniste André Rieu ou du saxophoniste Kenny G. J’avais pensé rectifier le tir en lançant celui de Guillaume Dustan moins consensuel. Lui, c’est vrai, on peut pas complètement nier qu’il a eu sa part dans le mouvement global, m’avait concédé Darel avec mansuétude. Mais je dirais qu’il reste quand même assez peu challengeant, vu l’importance du contexte, avait-il ajouté pour que je ne me fasse pas trop d’illusions non plus sur la pertinence de mes références archaïques. […] Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m’intéressaient. »
« Avec les réseaux sociaux qui, depuis quinze ans, avaient donné la parole au peuple dans son ensemble, les rapports de force étaient désormais inversés. le peuple et ses goûts pas toujours sélectifs, on n’entendait plus que lui. »
Comme quoi la forme peut aussi faire la rue, ça mange pas de pain si on manque de fond (vieilles expressions des musicos du milieu du XXème siècle).
Bref, la sémantique bien maniée peut amuser des esprits simples comme le mien à la mi-août.
J’oubliais : les prénoms aussi font la rue Michel : Elle c’est Zélie, son fils Furio, son ex Alessandro, Shock son amant alias Séraphin, Darel un pote etc.

La Péremption de Nicolas Fargues, 2023 aux éditions P.O.L. 190 pages, 19 €, ce qui nous fait la page à dix centimes exactement, et la couv en cadeau.

Texte © dominique cozette hors le passage Babelio.

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