Comment être veuve

On ne peut pas dire que ce livre de Joyce Carol Oates, Respire, soit d’une gaité folle. J’avais beaucoup aimé son roman Les Chutes, j’ai pris celui-ci chez mon libraire parmi les poches, je dois dire que le sujet, bien qu’universel, le fait de perdre son mari et de survivre sans lui, n’est pas des plus joyeux.
Gerard, le mari est invité au Nouveau-Mexique, pour une mission scientifique, avec elle bien sûr, pour plusieurs mois. Elle est enseignante. Hélas, à peine installé, il chope un virus ou autre chose que les médecins n’identifient pas assez vite et il s’enfonce peu à peu dans une agonie insurmontable.
Sa femme, qui a organisé un atelier d’écriture, est terriblement affectée par le déclin de celui qu’elle aime et qui est sensé la protéger de tout. Elle l’assiste constamment, dort avec lui à l’hôpital, l’enveloppe de ses bras pour l’empêcher de disparaître et l’enjoint de respirer.
Dans la première partie du livre, elle se remémore leurs joies, leur rencontre, leurs passions, leur vie. Parallèlement, elle en veut à beaucoup de cette situation dramatique, notamment aux petits dieux hopis qui décorent la maison, auxquels elle prête des pouvoirs sorciers. Elle lutte comme elle peut, elle en veut aussi à son mari mourant de partir, elle s’en veut à elle-même de ne pas avoir pu, ou eu le courage d’avaler des comprimés pour partir avec lui. Elle le garde contre lui et rien que pour elle, raconte aux proches et amis qu’il ne veut pas qu’on le voie ainsi, elle ne veut personne près de lui. Et il meurt.
La deuxième partie, qui est parfois longue, nous fait entrer dans son déni, sa folie, ses fantasmes insensés. Elle sait que Gerard est là, pas mort, qu’il la regarde. Elle confond des hommes avec lui, elle n’arrive à rien. Elle ne peut plus s’occuper des affaires courantes, même de la cérémonie, il n’y en aura pas, elle récupèrera juste l’urne et les restes de son amour. Elle ne sait que faire avec ça car ce n’est pas lui. Elle ne veut ni quitter cette maison prêtée avec son trop plein de vent brûlant, de soleil assassin, ni retourner chez eux dans le Massachusetts, elle ne pourra pas affronter cette demeure sans lui. Elle envisage différente forme de suicide car elle en est sûre, Gerard l’appelle et elle veut le rejoindre.
La seconde partie est redondante, la narratrice radote quelque peu mais c’est un effet du veuvage qu’elle tente de repousser, deux chapitres sont particulièrement fournis quand elle visite les endroits que Gerard avait décidé de voir… on n’est pas obligé de les lire en entier.
Très riche récit sur la douleur de la perte, ce livre lui a été inspiré par sa vie personnelle et la perte de son second époux — elle avait déjà écrit sur celle du premier — mais il est assez dur, un peu long bien que le temps soit la mesure du chagrin de cette femme.

Respire par Joyce Carol Oates, 2021, traduit par Claude Seban. 400 pages aux éditions Points.

Texte © dominique cozette

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