Commencer mais comment


Par curiosité, j’ai lu ce livre de Claire Marin, une philosophe dont on parle beaucoup et qui réalise de beaux scores de vente. Ce livre a pour sujet « Les débuts », c’est sont titre avec pour sous-titre Par où recommencer, et balaie le spectre des commencements auxquels nous sommes tous confrontés : notre vie déjà mais quand commence-t-elle ? Nos souvenirs ne sont pas fidèles, nous sont souvent racontés et déterminent notre moi involontairement. Donc où nous commençons-nous ? Le livre s’ouvre sur un début très net avec la naissance de sa fille. Oui, tout commence pour la mère, c’est simple et ça marque un réel tournant dans la vie.
Claire Marin va évoquer l’impatience des débuts, quand l’enfant veut déjà savoir pédaler ou jouer d’un instrument ou lire, par exemple, ou danser. Comme lui, on veut pouvoir exercer nos talents machinalement mais si cela devient une sédimentation, ça va manquer d’imprévu.
Il y a des commencements qui ne sont pas suivis, ou très peu, et à ce titre, engendrent des souvenirs brefs et émouvants. Elle parle de la beauté de l’éphémère. Le plaisir de la nouveauté, la soif de l’inédit, la recherche du jamais vu. Porte à notre connaissance la différence du ressenti de l’instant ou du temps entre Bergson et Bachelard.
Je ne vais pas faire le catalogue des chapitres traités par Claire Marin, toutes les questions philosophique y passent, la mort, le doute, le deuil, la peur… Ce qui est cool, c’est qu’en fait elle nous explique ou nous ré-explique ce que nous pensons savoir, de façon simple, avec des exemple de personnes que nous connaissons, que ce soient les classiques de la philo ou des écrivains comme Annie Ernaux, Perec, Nicolas Mathieu. Très plaisant à lire, pas de prise de tête et un peu de remue-méninges qui ne fait pas de mal.

Les débuts, par où recommencer de Claire Marin, édité chez Autrement, 2023. 190 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

So cute so chic

Voici ce que je peux considérer comme un livre très snob bourré de private jokes, de références chiquissimes, de centaines d’aphorismes et de punch lines parfois vides de sens, hyper cool ou mystérieux ou drôles.
Le livre s’intitule Daimler s’en va, ça signifie qu’il meurt, il va se suicider très jeune parce que la vie n’en vaut pas la peine, il a tout essayé et la dernière aventure qui reste est bien la mort. Mais il ne le prévient pas quand il mettra son projet à exécution.
Une partie du maigre bouquin fait parler son pote qui tente de nous faire comprendre le personnage, car c’est un personnage et il ne nous livrera jamais ses secrets. Ce qui contribue au charme improbable du livre.
L’auteur, Frédéric Berthet, est une sorte de dandy hyper cultivé, ami des Hussards, et déviant par rapport à ce qu’il fallait apprécier dans son milieu intello bourge. Imaginez, il aimait Brautigan ! Il n’a écrit que cinq livres, plutôt des sortes de nouvelles ou compils de fragments de pensées et réflexions, dont ce seul romain composé lui aussi suite de fragments inégaux.
Ce qui est fort, c’est qu’on ne comprend rien ou pas grand chose, mais c’est très agréable quand on aime les mots et les phrases et comme le texte est très court et écrit gros, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Donc Daimler se suicide vers la trentaine comme Berthet se suicidera ou se noiera dans l’alcool, c’est pareil, dans sa cinquantaine. Bref, c’est déconcertant, drôle et désespérant. En pas cher en poche…

Daimler s’en va de Frédéric Berthet, 1988, aux éditions de la Table Ronde, 122 pages, 6,10 €

Texte © dominique cozette

La palourde est-elle légère ?

Sigolène Vinson est une rescapée des attentats de Charlie. Ils l’ont épargnée parce que c’est une femme. Après la tuerie et avant le procès où elle devait témoigner, elle a écrit un livre assez barré (d’après le Monde), comme elle, puis cette fois, elle sort un livre de légèreté, la Palourde. Que je ne trouve pas si léger que ça au niveau du sujet, la planète qu’on bousille, mais très aérien au niveau du style.
L’héroïne est venue s’installer au pied d’une falaise ocre, dominant l’étang de Berre dont elle connaît et cite nombre d’êtres vivants, plantes, mollusques, insectes, poissons… Ses voisins l’apprécient pour son côté primesautier, particulièrement François, un pêcheur sympa et vif. Il lui annonce que si leur voisine Marie, une femme plus âgée, est fantasque, c’est à cause de sa maladie galopante : d’ailleurs , elle considère un de ses paons — qui crie Raoul au lieu de Léon — comme son chien et le promène en laisse. Marie est la femme de Youssef, un autre bienveillant, qui lui conseille de répondre à l’amour de François. Mais elle préfère être furieusement amoureuse de Jean, lui travaille à la centrale hydro-électrique qui détruit l’étang, qui ne l’aimera jamais car il aime sa femme. Et pourquoi pas elle demande-t-elle lors d’un pot au bistro du coin ? Parce que sa femme « est d’ici ». Impossible d’aimer autant les femmes qui ne sont « pas d’ici ». Tant pis, elle décide qu’il sera son dernier amour car elle ne veut plus aimer depuis qu’avec le premier, Pierre, c’était tellement fort qu’ils étaient devenus comme frère et sœur et qu’ils se sont quittés pour ça. Ils sont amis, lui marié, un enfant.
Donc cet étang est en train de mourir à cause du réchauffement et de la centrale, la palourde crève avec plein d’autres êtres vivants, les insectes tombent, rien ne va plus
Un moment, une sorte de vipère des mers desséchée, un syngnathe aiguille qu’elle garde précieusement chez elle, se met à parler à notre héroïne pour la pousser dans ses retranchements car rien de ce qu’elle pense ou fait n’est raisonnable ou du moins justifié.
Ce roman inclassable est en fait un long poème dans lequel il est difficile de scinder fantasme et réalité mais où la nature est peinte avec magnificence, entre l’abstraction et l’impressionnisme. Tout semble beau, même l’odeur puante du coquillage mort et la teinte boueuse de l’eau, les dialogues surtout sont autant surréalistes que saugrenus, en tout cas surprenants, mais où va-t-elle chercher tout ça, et le vocabulaire concernant la nature est d’une immense variété. Sur la couverture du livre, en carton épais, de belle facture, de superbes méduses filandreuses nous en donnent un aperçu.

La palourde de Sigolène Vinson, 2023 aux éditions Tripode. 170 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

M. Je-sais-tout- m’a fait trop rire

M. Je-sais-tout sous titré Conseils impurs d’un vieux dégueulasse est une sorte d’autofiction de John Waters, réalisateur de films scandaleux, outrés, trash, de mauvais goût qui se fout de tout avec une impertinence excessive.
Chaque chapitre évoque un thème précis et ça commence évidemment par le cinéma, les films qu’il a réalisés, les anecdotes qui s’y rattachent, les acteurs/trices et tout ce qu’il faut savoir sur eux et qui est en général très drôle mais jamais méchant, car JW n’est pas un sale type et est plutôt reconnaissant à certains êtres malveillants d’avoir permis son succès. Il parle de son enfance, de ses parents, des disques et chansons de sa jeunesse, et il s’y connaît le bougre, c’est fou ce qu’il cite comme chanteurs et groupes de toutes sortes (dont je n’ai jamais entendu parler, à part Tab Hunter).
Il évoque la littérature et s’y connaît quelque peu, citant beaucoup d’auteurs français, même la Despentes y reçoit ses honneurs, Genêt, beaucoup d’autres. Il expose aussi sa préférence sexuelle, tout le monde sait qu’il est « pédé » mais il abonde sur ce qu’il apprécie, et alors ? Hé bien il est plutôt prude et classique.
Ce bouquin est une somme, l’important n’est pas seulement tous les sujets qu’il aborde (la bouffe, l’architecture, la mort dont la future sienne, un grand chapitre sur la dope car il a tout essayé, les peintres chimpanzés, le sida forcément, la mort de Divine, son acteur fétiche, les débuts de Johnny Depp dans Cry-Baby…) mais sa façon d’écrire, drolatique, généreuse, sans états d’âme, très très libre. Comme c’est classifié par sujet, on peut le poser, le reprendre, le laisser mariner, moi je l’ai lu d’une traite car j’étais trop contente de m’y plonger le soir après une journée harassante (je plaisante).
Quelques citations piquées chez Babelio :
« L’année dernière, quand j’ai été décoré par l’Ordre des Arts et des Lettres sur décision du ministère français de la Culture, j’étais très honoré, mais surtout soulagé qu’aucun de mes anciens producteurs ne se soit incrusté à la cérémonie pour essayer de me voler ma médaille en compensation de ses pertes. »
« Mes tout premiers films en 8 mm qui n’ont jamais bénéficié d’une réelle sortie ont même intégré les collections du MoMA, et, la vache, sept des livres que j’ai écrits continuent à se vendre et deux d’entre eux figurent dans les meilleures ventes du New York Times. Comment est-ce possible ? Comment ? »
Tout est terriblement joyeux. Mais je n’ai pas envie de lire sa dernière fiction Sale Menteuse, ça m’a l’air bien moins drôle que les élucubrations et facéties réelles qui ont rempli sa vie. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir encore plein de projets, à plus de 72 ans, âge de l’écriture du livre.

M. Je-sais-tout, Conseils impurs d’un vieux dégueulasse de John Waters, traduit par Laure Manceau (Mr Know-it-all, the tarnished wisdom of a filth elder, 2019) 2021 chez Actes Sud, en poche chez Babel , 490 pages, 10,90 €.

Texte © dominique cozette

Sacrée Vargas

On l’attend toujours avec impatience, cette chère Fred Vargas et ses flics hauts en couleurs, ses intrigues alambiquées, ses folklores régionaux. En piles immenses dans toutes les librairies comme si c’était l’ouvrage universel, mais ça l’est peut-être. Sur la dalle en est le titre.
Si vous êtes fan, vous serez pas déçu. Malgré des critiques mitigées, j’ai vibré tout au long de la lecture de ce polar bretonnant, pas trop au début remarquez, pendant la lente installation d’Adamsberg dans ce bled où ça tue à tout va, mais après ça dépote. Dans cette bourgade, il y a un dolmen sur la dalle duquel le flic aime à se ressourcer, à retrouver ses effilochées d’idées, de ressentis, d’intuitions dont il est sûr qu’ils vont dans le sens de la résolution des meurtres. Pas faciles, ces meurtres qui ont comme points communs d’être réalisés avec une marque précise de couteaux, portés par la main gauche d’un droitier et dont la victime présente trois ou quatre piqûres de puces récentes. Et parfois, un œuf de poule fécondé — mais pas toujours — brisé dans la main serrée de la victime. Qu’est-ce à dire ? Embryon ? Avortement ?
Pratiquement, tous les hommes d’Adamsberg sont là, dans ce petit bourg, au bons soins d’un aubergiste bienveillant, aidés par le commissaire régional. Mais aussi par quelques villageois comme Chateaubriand dont c’est le vrai nom et qui, de plus, est le portrait craché de son illustre ancêtre et auquel le maire est très attaché car il favorise un tourisme régulier. Or, les indices le désignent. Mais on ne va pas se laisser abuser.
Il y a aussi un flic hyper doué en bidouillage informatique mais dont le défaut est de s’endormir souvent car il est hypersomniaque. On retrouve aussi Danglard, resté à Paris, mais qui apporte sa contribution importante. Et puis surtout la grosse Bertha (c’est moi qui l’appelle ainsi), Violette Retancourt, l’indispensable, capable de pulvériser n’importe quel mâle malfaisant. C’est inattendu et surtout très humiliant pour les mâles par elle aplatis.
Je ne vais pas vous en dire plus, c’est du Vargas, une écriture classique parfois un peu datée mais c’est ce qu’on aime, quelques passages qui nous en apprennent long sur divers sujets, des meurtres pleins d’inventivité et une fin totalement insoupçonnable mais qui se tient.

Sur la dalle de Fred Vargas, 2023 aux éditions Flammarion. 510 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Formidable shit !

Effectivement, comme le souligne la bande du livre, c’est une sorte de Breaking Bad à Besançon. J’ai vraiment kiffé Shit, de Jacky Schwartzmann parce que l’histoire est marrante et haletante et aussi parce que l’écriture en est aussi jouissive que les chroniques les plus drôles de nos plus drôles des chroniqueurs. Avec force références à ce qu’il se passe aujourd’hui. Un plaisir, que dis-je, des plaisirs à chaque page et à chaque début de chapitre vu qu’on ne s’attend jamais à ce qu’il va se passer à la suite d’un cliff hanger.
Notre héros, Thibault, mec normal plutôt effacé et sans ambition est CPE (conseiller d’éduc) dans un collège près de Besançon. Il habite depuis peu dans une cité et son porche est un four, soit l’endroit où se tiennent les dealers et où s’approvisionne tout le petit monde des alentours. Le plus terrible, c’est qu’il lui faut montrer ses papiers et patte blanche au sauvageon qui garde le spot. Un petit caillera sans foi ni loi. Et un jour, bim bim bim, règlement de compte sanglant entre bosses de la dope, kalach à gogo, et les deux frangins albanais qui œuvraient là sont abattus. Une fois l’enquête faite mais non résolue et le four déserté, Thibault se glisse dans le repaire avec une voisine. Il n’y a rien sauf que… ils découvrent une planque tellement astucieuse que même la flicaille n’a rien trouvé. Il y a là des dizaines de kilos de shit. Ça serait dommage de gâcher, se disent Thibault et Myriam, d’autant que cet argent peut servir aux nécessiteux, et dieu sait s’il y en a ! Car ce sont des âmes pures et compassionnelles, ni l’un ni l’autre n’ayant pour objectif de s’enrichir.
Ainsi, armés de louables intentions, nos deux novices vont reprendre l’affaire non sans avoir placé un vrai caillera grassement payé pour faire le job alors qu’il se sait pas du tout d’où viennent les ordres. Et la dope. Et tous les businessboys de la toxicocité de ruser pour piquer le trésor planqué qui représente un pognon de dingue.
Alors bien sûr, tout ne va pas se passer comme sur des roulettes et c’est rien de le dire. Ça foisonne d’idées et de rebondissements, on craint pour la peau de tous nos bienfaiteurs, on a mal pour eux.
Ce livre est vraiment d’une drôlerie totale, je ne m’en remets pas, je regrette de l’avoir lu car je ne pourrai plus le découvrir. Vous voyez ce que je veux dire…

Shit de Jacky Schwartzmann 2023 aux éditions du Seuil, 320 pages, 19,50 €.

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Le petit roi

Après avoir lu le très beau roman de Mathieu Belezi Attaquer la terre et le soleil (voir dans un récent billet) qui, après un prix du Monde, a reçu cette année le prix Inter, j’ai eu envie de découvrir le tout premier roman de cet auteur dont le Tripode a entrepris toute la réédition.
Le petit roi n’est pas un livre d’une grande gaîté. Mais d’une grande poésie mariée à une très belle écriture, fluide et concise en même temps.
Ici un jeune ado de douze ans est largué par sa mère dans la vieille ferme de son grand-père, au trou du cul du monde. La vie est sobre pour ne pas dire âpre, par exemple l’hiver où il fait tellement froid dans cette maison rustique non chauffée qu’ils dorment tous deux dans le lit d’hiver près de l’âtre. Papé est un homme simple, peu expansif mais attentif à son petit-fils. Il ne l’oblige à rien mais fait comme il peut pour que le gamin aille bien à l’école. Qu’il déteste. Il ne se fait pas d’amis, mais se choisit un souffre-douleur. Car toute la violence qu’il a accumulée durant ses premières années, quand son père frappait sa mère et que celle-ci, ne se laissant pas faire, recevait des torgnoles supplémentaires, toute cette colère, il faut qu’elle rejaillisse. C’est d’abord sur le chat puis sur les poules, et ensuite sur les petites bêtes.
Dans les interstices de cette vie pauvre et rurale s’insinuent les relents de sa vie d’avant, où il avait toujours peur que ça explose. Tellement mal à l’aise qu’il ne peut pas ne pas détester sa mère qui l’a abandonné. Il jette le peu de courrier qu’elle envoie, sans le lire, mais lorsqu’une fois elle vient sans prévenir, il se pelotonne dans ses bras comme un petit chaton chagrin. Le père ? On n’en saura rien. Mais ce livre ne se terminera forcément pas très bien, c’est le mieux que je puisse écrire.
C’est court, c’est simple, c’est joli.

Le petit roi de Mathieu Belezi. 1998 chez Phébus puis 2023 au Tripode. 116 pages, 15€.

Texte © dominique cozette

Ni loup ni chien

Ni Loup ni Chien est encore un conseil de mon vendeur Gibert et je le remercie de cette superbe initiative. Ce récit est écrit (dans la douleur) par Kent Nerburn qui avait déjà commis un ouvrage sur les Indiens. C’est pourquoi il fut appelé, par la petite-fille d’un vieil Indien, pour recueillir le témoignage de ce sage qui avait vécu la colonisation de leur territoire et de leur culture par les hommes blancs.
Lorsqu’il écrit son premier jet à l’aide d’une caisse de notes et de documents précieusement gardés par Dan le vieil indien après duquel il s’est installé, l’ami de celui-ci exprime une critique acerbe : tout cela semble écrit par un homme blanc qui veut se mettre dans la peau d’un des leurs. Aïe. Donc ça n’a rien à voir avec ce que Dan voudrait exprimer sur leur existence. Point final.
L’auteur, qui était venu sans savoir où le conduirait cette aventure, jette ses brouillons.
Quelques temps après, la jeune fille le rappelle, il doit venir d’urgence. Même s’il n’a pas que ça à faire, ses activités professionnelles plus femme et enfants avec qui partager son temps, il revient et découvre le vieil Indien devant un feu : il brûle tout ce que contenait la caisse. Et alors, il propose à Kent de rester quelques temps avec eux afin qu’il lui « parle ». Les Indiens n’ont pas le sens du temps qui passe, ni de la propriété, ni de la valeur qu’on accorde aux choses matérielles, leur philosophie c’est juste se plier à l’instinct et à la voix de la nature. Et de rester extrêmement humble.
Lui, Dan et l’ami indien vont partir en road trip avec la vieille chienne et Kent va peu à peu découvrir l’histoire (très dure) de Dan. Mais c’est un petit-enfant de Dan qui lui apprendra la chose la plus hallucinante sur le vieil Indien épris de traditions : il a jadis épousé une femme blanche dont il a eu des enfants.
Tout le récit récolté par l’auteur est éminemment passionnant sur ce qi’ils ont vécu durant la construction des Etats-Unis : spoliation des natives, endoctrinement des enfants arrachés à leurs parents, traitements horribles infligés par les conquérants etc. Et tout cela, raconté sans aménité. L’Indien est (était) un peuple d’une grande bonté et avait cru que l’homme blanc voulait partager cette douceur de vivre avec lui.
Passionnant.

Ni loup ni chien (Neither Wolf nor Dog, 1098-2002), traduit par Charles Pommel, 2003 aux éditions du Sonneur. 440 pages, 24,50 €

Texte © dominique Cozette

Bienvenue dans l’enfer des colons

Un vendeur (bomec) de chez Joseph Gibert me l’avait conseillé chaleureusement juste avant que ce livre reçoive le prix Inter. Et c’est réellement un livre étourdissant dans la forme comme dans le fond. L’originalité de la ponctuation saute aux yeux, le seul point est le point final, sinon ce sont des points d’interrogation, des virgules et des sauts à la ligne, et aucune majuscule sauf pour les noms propres. Le récit se déroule sans écueils, on a l’impression d’une narration dans un état second tellement ce qui arrive est fort, douloureux, incompréhensible (pourquoi mon Dieu vous nous infligez tout ça ?). Ce qui n’empêche pas la force impérieuse des torrents de sensations qui forment les phrases, avec poésie et ressenti de malaise.
Belezi nous parle de Français pauvres qui ont gobé les promesses d’un gouvernement de la fin du dix-neuvième siècle, à savoir qu’un pays riche et ensoleillé les attend, une belle conquête, des terres productives, des maisons en dur, tout ça pour rien, juste l’audace de quitter leur sol ingrat.
Séraphine y croit, convainc son mari, sa soeur et l’époux de celle-ci, de partir et réaliser ce rêve avec leurs enfants.
Les problèmes commencent à Marseille où aucun bateau ne les attend, on les entasse dans des non lieux, mais ce n’est rien par rapport à ce qu’ils vivent. De maisons, point, que des tentes militaires sans aucun confort, pas d’eau ni de sanitaires bien sûr, et la pluie glaciale qui tombe drue durant les longs jours ingrats de l’hiver qui n’en finit pas dans ce paysage vide et désolé. Séraphine raconte la misère, la puanteur, la vermine mais patience, le printemps changera tout ça. Lui dit-on.
Puis un chapitre sur deux, ce sera un soldat qui racontera. Ces chapitres s’intitulent tous (bains de sang) avec la parenthèse. Un carnage. Des vrais sauvages que ces soldats qui confessent qu’ils ne sont pas des anges. Ils sont là pour combattre la barbarie des Arabes (je n’ose pas inscrire tous les termes racistes accolés à ces gens), donc des barbares, mais on peut se demander qui sont réellement les barbares vu comme ils, les soldats français, y vont vaillamment pour égorger, éventrer, torturer, violer, incendier tout ce qu’ils trouvent, abreuvés de vinasse et de patriotisme mal placé. C’est cru, c’est affreux, c’est la guerre dans toute sa splendeur.
Et pendant ce temps, le choléra s’y met lui aussi, décimant les uns et les autres, bousillant les familles, tuant les enfants, les maris, qu’importe… Que c’est lourd, que c’est dur. Il ne faut pas être à la ramasse pour lire ce livre dont le titre, Attaquer la terre et le soleil, n’évoque rien de bon mais qui resplendit néanmoins d’une beauté extravagante.

Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi, 2023 aux éditions Le Tripode, 160 pages, 17 €

Texte © dominique cozette

Une invitée bien perturbante

Emma Cline est une très belle jeune femme qui écrit des histoires qui grattent fort. Ici, L’Invitée s’appelle Alex, on n’en sait pas beaucoup sur son parcours sauf qu’elle profite de l’hospitalité (et plus) de Simon, un quinquagénaire richissime maniaque qui ne supporte pas les moindres imperfections, fautes de goût et incivilités. Elle s’en accommode parfaitement, c’est la vie qu’elle a choisie, somptueuse baraque à Long Island avec invités de marque, réceptions de luxe et tout à l’avenant. Suffit à Simon de claquer (discrètement) des doigts et tout se réalise par la magie de son personnel classieux. Oh que la vie est belle, oh que tout est joli dans ce coin de paradis où rien de mal ne peut arriver, surtout la réapparition de Dom, son ex ou son coloc on ne sait pas vraiment, un type louche à qui elle doit une somme impressionnante. Car Alex vole. Son mobile est saturé des SMS de Dom mais elle a disparu du circuit new-yorkais, bien planquée, sans aucune possibilité de traçage, chez ce cher Simon.
Jusqu’à ce qu’elle commette une bourde ridicule. Lors d’une soirée, avec un riche ami de son hôte, elle se lâche bêtement. L’alcool et les drogues médicamenteuses aidant, elle se jette avec lui, tout habillés tous les deux, dans la piscine. Simon, ça ne le fait pas rire du tout. Il va demander à son staff de se débarrasser d’elle, ça veut dire lui filer un billet d’avion pour NYC.
La voilà liquidée, dépitée, avec juste un sac de quelques fringues, son téléphone noyé, et son caractère bien trempé. Elle n’ira pas à NYC, elle reste dans le coin, et se persuade que Simon l’attendra dans sept jours, pour la grande fête annuelle. Le tout, c’est de trouver où dormir, comment vivre avec quelques sous et rester présentable. Et toujours Dom, hyper menaçant, qui remonte sa trace…
Inquiétant !

L’Invitée de Emma Cline (The Guest), 2023, traduit par Jean Esch. Aux éditions de la Table Ronde. 316 pages, 23 €.

Texte © dominique cozette

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