Sacré Fab Cacaro !


Fan depuis le premier jour de Fab Caro, puis de Fabrice Caro, auteur de Zaï zaï zaï zaï dont a été tiré un film hilarant, rencontré plusieurs fois lors de signature donc vérifié que c’est un mec bien, drôle et tout, bouche bée devant son humour ravageur, je viens de m’offrir son tout dernier opus intitulé Journal d’un scenario qui, comme son nom l’indique, narre les affres d’un auteur aux prises avec une prod de film.
Comme de bien entendu, notre héros, Boris, est un loser. Inhibé, ayant une conscience fléchissante de lui même, néanmoins sûr de son talent créatif, il vient de finir Les Servitudes silencieuses, un scénar prout prout (c’est le cas de le dire) ambitieux, qui sera tourné en N&B et dont les deux héros seront Louis Garrel et Mélanie Thierry, conditions sine qua non à la négo de son futur succès.
Le producteur trouve son idée super, alors, il est fou de joie, et, cerise, rencontre à une soirée une jeune femme férue de ciné à laquelle il va confier tous les détails de sa créations. Elle en connaît un rayon car elle étudie le cinoche. Ils ne parlent plus que de ça, ciné, ciné, ciné.
Yann, son ami qui vient de subir une rupture, lui envoie son fils, un glandu style dilettante, qui lui fera un magnifique projet d’affiche. Boris ne sait pas dire non.
Il ne dit pas non non plus lorsque le producteur lui propose avec une insistance bienveillante et positive un autre comédien, puis un autre couple, un truc qui n’a mais alors rien à voir. Et qu’ensuite les financiers concernés développeront eux-mêmes des idées d’une vulgarité sans nom pour gagner les faveurs d’un public en quête d’humour. Car ils s’y connaissent en film et en humour.
Ces changements qui le mettent à bas, il est bien obligé de les accepter mais il continue à jouer la comédie devant la jeune femme dont il est amoureux, elle-même très amoureuse de Louis Garrel.
Je n’en dis pas plus… Personnellement, je n’ai pas vraiment aimé les gags grossiers des financiers, mais sinon, c’est un bon moment à passer, d’autant que Fabrice nous fait réviser des dizaines de films-cultes dans sa recherche de comparaisons à sa douleur de voir se diluer son idée.

Journal d’un scenario de Fabrice Caro, 2023 chez Gallimard Sygne, 190 pages, 19,50 €.

Texte © dominique cozette

La Péremption

Les pièges de ce livre de Nicolas Fargues, La Péremption :
– 40 ans. Nicolas Fargues n’a pas 40 ans comme il est exclamé sur le bandeau, mais ce sont les éditions P.O.L créées par feu l’incroyable Paul Otchakovsky-Laurens, mort lors d’un regrettable accident pendant ses vacances, qui les ont cette année. L’auteur, lui, a 51 ans, comme son héroïne Zélie.
Le Masque et la Plume ont encensé le bouquin dans un de leurs conseils.
– Le mec est un très bel homme après avoir été un très beau jeune auteur talentueux, donc oui, on aime lire du beau.
– le style est actuel, pour une vieille comme moi, il réfère beaucoup aux tics et éléments de langage qui habillent tous les billets et se déversent du bec de tous les sachants.
– C’est du P.O.L donc c’est du bon.
Et puis j’ai lu quelques-uns de ses titres de jeunesse où il se racontait avec aisance. Puis j’en ai lu un qui m’a déçu en mal. Donc je n’ai plus lu. Sauf que je m’y suis remise pour celui-ci, la preuve.
L’histoire n’est pas d’une grande originalité, c’est une femme sur le retour, comme on ne dit pas des hommes, donc fraîchement ménopausée, comme on ne dit pas des transgenres, qui prend une retraite précoce suite à un petit héritage et un désir de créer. Voilà-t-y pas qu’elle fait connaissance « par hasard » — comme on dit pompeusement trop souvent — lors d’une fête, un tout jeune homme issu de la diversité, très branché, « dreadlocks courtes aux pointes teintées de blond », qui se fait appelé Shock, Séraphin pour l’état civil, et se dit entrepreneur. Une histoire se noue, la vieille riche aisée et le jeune black en plein développement qui veut monter un élevage de je ne sais plus quoi dans son pays d’origine, la RC.
Ce livre est aussi agréable à lire qu’une satire de notre temps avec nos manies stupides, nos idées à la con, nos manières d’être ridicules, nos snobisme à la noix et nos références semi-culturelles vérifiées sur Wiki . Fargues s’amuse à les dézinguer avec grâce, il faut bien le reconnaître, et c’est très plaisant. Après ça, vous arrêterez peut-être de dire que vous êtes sur Paris.
Comme je suis d’humeur flemmarde, je te vous colle deux bonnes citations piquées dans Babelio :
« Une génération venue au monde avec une maîtrise innée du montage vidéo à coupe franche, de l’usage de la touche lecture rapide de la télécommande et des mots-consonnes de trois lettres. Hermétique aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes. […] Pour faire la conversation à Darel – et, par là, pour faire plaisir à Furio à qui je n’osais demander si lui et Darel étaient également amants, j’avais hasardé le nom d’Hervé Guibert. Darel m’avait toisée avec cette compassion amusée qu’on pouvait réserver, de mon temps, à un admirateur du violoniste André Rieu ou du saxophoniste Kenny G. J’avais pensé rectifier le tir en lançant celui de Guillaume Dustan moins consensuel. Lui, c’est vrai, on peut pas complètement nier qu’il a eu sa part dans le mouvement global, m’avait concédé Darel avec mansuétude. Mais je dirais qu’il reste quand même assez peu challengeant, vu l’importance du contexte, avait-il ajouté pour que je ne me fasse pas trop d’illusions non plus sur la pertinence de mes références archaïques. […] Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m’intéressaient. »
« Avec les réseaux sociaux qui, depuis quinze ans, avaient donné la parole au peuple dans son ensemble, les rapports de force étaient désormais inversés. le peuple et ses goûts pas toujours sélectifs, on n’entendait plus que lui. »
Comme quoi la forme peut aussi faire la rue, ça mange pas de pain si on manque de fond (vieilles expressions des musicos du milieu du XXème siècle).
Bref, la sémantique bien maniée peut amuser des esprits simples comme le mien à la mi-août.
J’oubliais : les prénoms aussi font la rue Michel : Elle c’est Zélie, son fils Furio, son ex Alessandro, Shock son amant alias Séraphin, Darel un pote etc.

La Péremption de Nicolas Fargues, 2023 aux éditions P.O.L. 190 pages, 19 €, ce qui nous fait la page à dix centimes exactement, et la couv en cadeau.

Texte © dominique cozette hors le passage Babelio.

Commencer mais comment


Par curiosité, j’ai lu ce livre de Claire Marin, une philosophe dont on parle beaucoup et qui réalise de beaux scores de vente. Ce livre a pour sujet « Les débuts », c’est sont titre avec pour sous-titre Par où recommencer, et balaie le spectre des commencements auxquels nous sommes tous confrontés : notre vie déjà mais quand commence-t-elle ? Nos souvenirs ne sont pas fidèles, nous sont souvent racontés et déterminent notre moi involontairement. Donc où nous commençons-nous ? Le livre s’ouvre sur un début très net avec la naissance de sa fille. Oui, tout commence pour la mère, c’est simple et ça marque un réel tournant dans la vie.
Claire Marin va évoquer l’impatience des débuts, quand l’enfant veut déjà savoir pédaler ou jouer d’un instrument ou lire, par exemple, ou danser. Comme lui, on veut pouvoir exercer nos talents machinalement mais si cela devient une sédimentation, ça va manquer d’imprévu.
Il y a des commencements qui ne sont pas suivis, ou très peu, et à ce titre, engendrent des souvenirs brefs et émouvants. Elle parle de la beauté de l’éphémère. Le plaisir de la nouveauté, la soif de l’inédit, la recherche du jamais vu. Porte à notre connaissance la différence du ressenti de l’instant ou du temps entre Bergson et Bachelard.
Je ne vais pas faire le catalogue des chapitres traités par Claire Marin, toutes les questions philosophique y passent, la mort, le doute, le deuil, la peur… Ce qui est cool, c’est qu’en fait elle nous explique ou nous ré-explique ce que nous pensons savoir, de façon simple, avec des exemple de personnes que nous connaissons, que ce soient les classiques de la philo ou des écrivains comme Annie Ernaux, Perec, Nicolas Mathieu. Très plaisant à lire, pas de prise de tête et un peu de remue-méninges qui ne fait pas de mal.

Les débuts, par où recommencer de Claire Marin, édité chez Autrement, 2023. 190 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

So cute so chic

Voici ce que je peux considérer comme un livre très snob bourré de private jokes, de références chiquissimes, de centaines d’aphorismes et de punch lines parfois vides de sens, hyper cool ou mystérieux ou drôles.
Le livre s’intitule Daimler s’en va, ça signifie qu’il meurt, il va se suicider très jeune parce que la vie n’en vaut pas la peine, il a tout essayé et la dernière aventure qui reste est bien la mort. Mais il ne le prévient pas quand il mettra son projet à exécution.
Une partie du maigre bouquin fait parler son pote qui tente de nous faire comprendre le personnage, car c’est un personnage et il ne nous livrera jamais ses secrets. Ce qui contribue au charme improbable du livre.
L’auteur, Frédéric Berthet, est une sorte de dandy hyper cultivé, ami des Hussards, et déviant par rapport à ce qu’il fallait apprécier dans son milieu intello bourge. Imaginez, il aimait Brautigan ! Il n’a écrit que cinq livres, plutôt des sortes de nouvelles ou compils de fragments de pensées et réflexions, dont ce seul romain composé lui aussi suite de fragments inégaux.
Ce qui est fort, c’est qu’on ne comprend rien ou pas grand chose, mais c’est très agréable quand on aime les mots et les phrases et comme le texte est très court et écrit gros, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Donc Daimler se suicide vers la trentaine comme Berthet se suicidera ou se noiera dans l’alcool, c’est pareil, dans sa cinquantaine. Bref, c’est déconcertant, drôle et désespérant. En pas cher en poche…

Daimler s’en va de Frédéric Berthet, 1988, aux éditions de la Table Ronde, 122 pages, 6,10 €

Texte © dominique cozette

La palourde est-elle légère ?

Sigolène Vinson est une rescapée des attentats de Charlie. Ils l’ont épargnée parce que c’est une femme. Après la tuerie et avant le procès où elle devait témoigner, elle a écrit un livre assez barré (d’après le Monde), comme elle, puis cette fois, elle sort un livre de légèreté, la Palourde. Que je ne trouve pas si léger que ça au niveau du sujet, la planète qu’on bousille, mais très aérien au niveau du style.
L’héroïne est venue s’installer au pied d’une falaise ocre, dominant l’étang de Berre dont elle connaît et cite nombre d’êtres vivants, plantes, mollusques, insectes, poissons… Ses voisins l’apprécient pour son côté primesautier, particulièrement François, un pêcheur sympa et vif. Il lui annonce que si leur voisine Marie, une femme plus âgée, est fantasque, c’est à cause de sa maladie galopante : d’ailleurs , elle considère un de ses paons — qui crie Raoul au lieu de Léon — comme son chien et le promène en laisse. Marie est la femme de Youssef, un autre bienveillant, qui lui conseille de répondre à l’amour de François. Mais elle préfère être furieusement amoureuse de Jean, lui travaille à la centrale hydro-électrique qui détruit l’étang, qui ne l’aimera jamais car il aime sa femme. Et pourquoi pas elle demande-t-elle lors d’un pot au bistro du coin ? Parce que sa femme « est d’ici ». Impossible d’aimer autant les femmes qui ne sont « pas d’ici ». Tant pis, elle décide qu’il sera son dernier amour car elle ne veut plus aimer depuis qu’avec le premier, Pierre, c’était tellement fort qu’ils étaient devenus comme frère et sœur et qu’ils se sont quittés pour ça. Ils sont amis, lui marié, un enfant.
Donc cet étang est en train de mourir à cause du réchauffement et de la centrale, la palourde crève avec plein d’autres êtres vivants, les insectes tombent, rien ne va plus
Un moment, une sorte de vipère des mers desséchée, un syngnathe aiguille qu’elle garde précieusement chez elle, se met à parler à notre héroïne pour la pousser dans ses retranchements car rien de ce qu’elle pense ou fait n’est raisonnable ou du moins justifié.
Ce roman inclassable est en fait un long poème dans lequel il est difficile de scinder fantasme et réalité mais où la nature est peinte avec magnificence, entre l’abstraction et l’impressionnisme. Tout semble beau, même l’odeur puante du coquillage mort et la teinte boueuse de l’eau, les dialogues surtout sont autant surréalistes que saugrenus, en tout cas surprenants, mais où va-t-elle chercher tout ça, et le vocabulaire concernant la nature est d’une immense variété. Sur la couverture du livre, en carton épais, de belle facture, de superbes méduses filandreuses nous en donnent un aperçu.

La palourde de Sigolène Vinson, 2023 aux éditions Tripode. 170 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

M. Je-sais-tout- m’a fait trop rire

M. Je-sais-tout sous titré Conseils impurs d’un vieux dégueulasse est une sorte d’autofiction de John Waters, réalisateur de films scandaleux, outrés, trash, de mauvais goût qui se fout de tout avec une impertinence excessive.
Chaque chapitre évoque un thème précis et ça commence évidemment par le cinéma, les films qu’il a réalisés, les anecdotes qui s’y rattachent, les acteurs/trices et tout ce qu’il faut savoir sur eux et qui est en général très drôle mais jamais méchant, car JW n’est pas un sale type et est plutôt reconnaissant à certains êtres malveillants d’avoir permis son succès. Il parle de son enfance, de ses parents, des disques et chansons de sa jeunesse, et il s’y connaît le bougre, c’est fou ce qu’il cite comme chanteurs et groupes de toutes sortes (dont je n’ai jamais entendu parler, à part Tab Hunter).
Il évoque la littérature et s’y connaît quelque peu, citant beaucoup d’auteurs français, même la Despentes y reçoit ses honneurs, Genêt, beaucoup d’autres. Il expose aussi sa préférence sexuelle, tout le monde sait qu’il est « pédé » mais il abonde sur ce qu’il apprécie, et alors ? Hé bien il est plutôt prude et classique.
Ce bouquin est une somme, l’important n’est pas seulement tous les sujets qu’il aborde (la bouffe, l’architecture, la mort dont la future sienne, un grand chapitre sur la dope car il a tout essayé, les peintres chimpanzés, le sida forcément, la mort de Divine, son acteur fétiche, les débuts de Johnny Depp dans Cry-Baby…) mais sa façon d’écrire, drolatique, généreuse, sans états d’âme, très très libre. Comme c’est classifié par sujet, on peut le poser, le reprendre, le laisser mariner, moi je l’ai lu d’une traite car j’étais trop contente de m’y plonger le soir après une journée harassante (je plaisante).
Quelques citations piquées chez Babelio :
« L’année dernière, quand j’ai été décoré par l’Ordre des Arts et des Lettres sur décision du ministère français de la Culture, j’étais très honoré, mais surtout soulagé qu’aucun de mes anciens producteurs ne se soit incrusté à la cérémonie pour essayer de me voler ma médaille en compensation de ses pertes. »
« Mes tout premiers films en 8 mm qui n’ont jamais bénéficié d’une réelle sortie ont même intégré les collections du MoMA, et, la vache, sept des livres que j’ai écrits continuent à se vendre et deux d’entre eux figurent dans les meilleures ventes du New York Times. Comment est-ce possible ? Comment ? »
Tout est terriblement joyeux. Mais je n’ai pas envie de lire sa dernière fiction Sale Menteuse, ça m’a l’air bien moins drôle que les élucubrations et facéties réelles qui ont rempli sa vie. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir encore plein de projets, à plus de 72 ans, âge de l’écriture du livre.

M. Je-sais-tout, Conseils impurs d’un vieux dégueulasse de John Waters, traduit par Laure Manceau (Mr Know-it-all, the tarnished wisdom of a filth elder, 2019) 2021 chez Actes Sud, en poche chez Babel , 490 pages, 10,90 €.

Texte © dominique cozette

Sacrée Vargas

On l’attend toujours avec impatience, cette chère Fred Vargas et ses flics hauts en couleurs, ses intrigues alambiquées, ses folklores régionaux. En piles immenses dans toutes les librairies comme si c’était l’ouvrage universel, mais ça l’est peut-être. Sur la dalle en est le titre.
Si vous êtes fan, vous serez pas déçu. Malgré des critiques mitigées, j’ai vibré tout au long de la lecture de ce polar bretonnant, pas trop au début remarquez, pendant la lente installation d’Adamsberg dans ce bled où ça tue à tout va, mais après ça dépote. Dans cette bourgade, il y a un dolmen sur la dalle duquel le flic aime à se ressourcer, à retrouver ses effilochées d’idées, de ressentis, d’intuitions dont il est sûr qu’ils vont dans le sens de la résolution des meurtres. Pas faciles, ces meurtres qui ont comme points communs d’être réalisés avec une marque précise de couteaux, portés par la main gauche d’un droitier et dont la victime présente trois ou quatre piqûres de puces récentes. Et parfois, un œuf de poule fécondé — mais pas toujours — brisé dans la main serrée de la victime. Qu’est-ce à dire ? Embryon ? Avortement ?
Pratiquement, tous les hommes d’Adamsberg sont là, dans ce petit bourg, au bons soins d’un aubergiste bienveillant, aidés par le commissaire régional. Mais aussi par quelques villageois comme Chateaubriand dont c’est le vrai nom et qui, de plus, est le portrait craché de son illustre ancêtre et auquel le maire est très attaché car il favorise un tourisme régulier. Or, les indices le désignent. Mais on ne va pas se laisser abuser.
Il y a aussi un flic hyper doué en bidouillage informatique mais dont le défaut est de s’endormir souvent car il est hypersomniaque. On retrouve aussi Danglard, resté à Paris, mais qui apporte sa contribution importante. Et puis surtout la grosse Bertha (c’est moi qui l’appelle ainsi), Violette Retancourt, l’indispensable, capable de pulvériser n’importe quel mâle malfaisant. C’est inattendu et surtout très humiliant pour les mâles par elle aplatis.
Je ne vais pas vous en dire plus, c’est du Vargas, une écriture classique parfois un peu datée mais c’est ce qu’on aime, quelques passages qui nous en apprennent long sur divers sujets, des meurtres pleins d’inventivité et une fin totalement insoupçonnable mais qui se tient.

Sur la dalle de Fred Vargas, 2023 aux éditions Flammarion. 510 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Formidable shit !

Effectivement, comme le souligne la bande du livre, c’est une sorte de Breaking Bad à Besançon. J’ai vraiment kiffé Shit, de Jacky Schwartzmann parce que l’histoire est marrante et haletante et aussi parce que l’écriture en est aussi jouissive que les chroniques les plus drôles de nos plus drôles des chroniqueurs. Avec force références à ce qu’il se passe aujourd’hui. Un plaisir, que dis-je, des plaisirs à chaque page et à chaque début de chapitre vu qu’on ne s’attend jamais à ce qu’il va se passer à la suite d’un cliff hanger.
Notre héros, Thibault, mec normal plutôt effacé et sans ambition est CPE (conseiller d’éduc) dans un collège près de Besançon. Il habite depuis peu dans une cité et son porche est un four, soit l’endroit où se tiennent les dealers et où s’approvisionne tout le petit monde des alentours. Le plus terrible, c’est qu’il lui faut montrer ses papiers et patte blanche au sauvageon qui garde le spot. Un petit caillera sans foi ni loi. Et un jour, bim bim bim, règlement de compte sanglant entre bosses de la dope, kalach à gogo, et les deux frangins albanais qui œuvraient là sont abattus. Une fois l’enquête faite mais non résolue et le four déserté, Thibault se glisse dans le repaire avec une voisine. Il n’y a rien sauf que… ils découvrent une planque tellement astucieuse que même la flicaille n’a rien trouvé. Il y a là des dizaines de kilos de shit. Ça serait dommage de gâcher, se disent Thibault et Myriam, d’autant que cet argent peut servir aux nécessiteux, et dieu sait s’il y en a ! Car ce sont des âmes pures et compassionnelles, ni l’un ni l’autre n’ayant pour objectif de s’enrichir.
Ainsi, armés de louables intentions, nos deux novices vont reprendre l’affaire non sans avoir placé un vrai caillera grassement payé pour faire le job alors qu’il se sait pas du tout d’où viennent les ordres. Et la dope. Et tous les businessboys de la toxicocité de ruser pour piquer le trésor planqué qui représente un pognon de dingue.
Alors bien sûr, tout ne va pas se passer comme sur des roulettes et c’est rien de le dire. Ça foisonne d’idées et de rebondissements, on craint pour la peau de tous nos bienfaiteurs, on a mal pour eux.
Ce livre est vraiment d’une drôlerie totale, je ne m’en remets pas, je regrette de l’avoir lu car je ne pourrai plus le découvrir. Vous voyez ce que je veux dire…

Shit de Jacky Schwartzmann 2023 aux éditions du Seuil, 320 pages, 19,50 €.

Texte © dominique cozette

Le petit roi

Après avoir lu le très beau roman de Mathieu Belezi Attaquer la terre et le soleil (voir dans un récent billet) qui, après un prix du Monde, a reçu cette année le prix Inter, j’ai eu envie de découvrir le tout premier roman de cet auteur dont le Tripode a entrepris toute la réédition.
Le petit roi n’est pas un livre d’une grande gaîté. Mais d’une grande poésie mariée à une très belle écriture, fluide et concise en même temps.
Ici un jeune ado de douze ans est largué par sa mère dans la vieille ferme de son grand-père, au trou du cul du monde. La vie est sobre pour ne pas dire âpre, par exemple l’hiver où il fait tellement froid dans cette maison rustique non chauffée qu’ils dorment tous deux dans le lit d’hiver près de l’âtre. Papé est un homme simple, peu expansif mais attentif à son petit-fils. Il ne l’oblige à rien mais fait comme il peut pour que le gamin aille bien à l’école. Qu’il déteste. Il ne se fait pas d’amis, mais se choisit un souffre-douleur. Car toute la violence qu’il a accumulée durant ses premières années, quand son père frappait sa mère et que celle-ci, ne se laissant pas faire, recevait des torgnoles supplémentaires, toute cette colère, il faut qu’elle rejaillisse. C’est d’abord sur le chat puis sur les poules, et ensuite sur les petites bêtes.
Dans les interstices de cette vie pauvre et rurale s’insinuent les relents de sa vie d’avant, où il avait toujours peur que ça explose. Tellement mal à l’aise qu’il ne peut pas ne pas détester sa mère qui l’a abandonné. Il jette le peu de courrier qu’elle envoie, sans le lire, mais lorsqu’une fois elle vient sans prévenir, il se pelotonne dans ses bras comme un petit chaton chagrin. Le père ? On n’en saura rien. Mais ce livre ne se terminera forcément pas très bien, c’est le mieux que je puisse écrire.
C’est court, c’est simple, c’est joli.

Le petit roi de Mathieu Belezi. 1998 chez Phébus puis 2023 au Tripode. 116 pages, 15€.

Texte © dominique cozette

Ni loup ni chien

Ni Loup ni Chien est encore un conseil de mon vendeur Gibert et je le remercie de cette superbe initiative. Ce récit est écrit (dans la douleur) par Kent Nerburn qui avait déjà commis un ouvrage sur les Indiens. C’est pourquoi il fut appelé, par la petite-fille d’un vieil Indien, pour recueillir le témoignage de ce sage qui avait vécu la colonisation de leur territoire et de leur culture par les hommes blancs.
Lorsqu’il écrit son premier jet à l’aide d’une caisse de notes et de documents précieusement gardés par Dan le vieil indien après duquel il s’est installé, l’ami de celui-ci exprime une critique acerbe : tout cela semble écrit par un homme blanc qui veut se mettre dans la peau d’un des leurs. Aïe. Donc ça n’a rien à voir avec ce que Dan voudrait exprimer sur leur existence. Point final.
L’auteur, qui était venu sans savoir où le conduirait cette aventure, jette ses brouillons.
Quelques temps après, la jeune fille le rappelle, il doit venir d’urgence. Même s’il n’a pas que ça à faire, ses activités professionnelles plus femme et enfants avec qui partager son temps, il revient et découvre le vieil Indien devant un feu : il brûle tout ce que contenait la caisse. Et alors, il propose à Kent de rester quelques temps avec eux afin qu’il lui « parle ». Les Indiens n’ont pas le sens du temps qui passe, ni de la propriété, ni de la valeur qu’on accorde aux choses matérielles, leur philosophie c’est juste se plier à l’instinct et à la voix de la nature. Et de rester extrêmement humble.
Lui, Dan et l’ami indien vont partir en road trip avec la vieille chienne et Kent va peu à peu découvrir l’histoire (très dure) de Dan. Mais c’est un petit-enfant de Dan qui lui apprendra la chose la plus hallucinante sur le vieil Indien épris de traditions : il a jadis épousé une femme blanche dont il a eu des enfants.
Tout le récit récolté par l’auteur est éminemment passionnant sur ce qi’ils ont vécu durant la construction des Etats-Unis : spoliation des natives, endoctrinement des enfants arrachés à leurs parents, traitements horribles infligés par les conquérants etc. Et tout cela, raconté sans aménité. L’Indien est (était) un peuple d’une grande bonté et avait cru que l’homme blanc voulait partager cette douceur de vivre avec lui.
Passionnant.

Ni loup ni chien (Neither Wolf nor Dog, 1098-2002), traduit par Charles Pommel, 2003 aux éditions du Sonneur. 440 pages, 24,50 €

Texte © dominique Cozette

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