Des boulots à 70 km…

J’ai fini mes études, bac + 5. Nous nous sommes installés à la campagne juste après notre mariage, c’est lui qui en avait envie, j’ai suivi sans trop me poser de questions. Et puis il m’a fallu trouver du travail, mais le travail, c’est pas à la campagne, faut aller à la ville. Et pour aller à la ville, faut une voiture. J’ai trouvé une vieille Dauphine pas trop nase, mais vieille et mal suspendue (qu’est-ce qu’on en a à foutre de la suspension quand on a 25 ans !). Et puis une vacation de psychologue à Nantes, c’est à dire une journée par semaine, à 60 km de chez moi. Comme ce n’était pas assez et qu’il n’y a rien d’autre à Nantes, j’ai trouvé un temps partiel dans un ImPRO à la Roche/Yon, soit deux jours par semaine, à 70 km de chez moi. Pour trouver une maison avec un minimun de confort, ça n’a pas été facile car en Vendée, pas loin de la mer, il n’y a que des locations d’été sans chauffage. On a fini par dégotter une maison avec air pulsé, mais on a toujours froid, on ne peut pas se coller les fesses sur une source de chaleur. Et c’est cher à chauffer. Je suis enceinte, j’ai dit au bébé : accroche-toi bien, les routes sont pas terribles, mais après, on va se marrer ensemble. Il n’y a rien dans le coin, la première maternité est à Nantes, 60 bornes donc, et mon mari travaille la nuit, dans une discothèque. Donc,  le jour J, ou la nuit N plutôt, je me suis démerdée, je suis allée à la gendarmerie vers minuit, j’ai crié devant pour que quelqu’un se réveille, ils ont appelé un taxi et voilà. Le bébé est né, tout va bien.
Ceci se passait au début des années 70. je viens de lire un article sur Libé racontant la vie de ménages urbains modestes (c’est pas que nous étions réellement modestes, mais on avait besoin de mon travail) qui s’installent à la campagne pour vivre mieux et ça ne marche pas. J’ai tendance à penser que je vivais plutôt bien mais c’est vrai qu’il y avait moins de circulation sur les routes, moins de luxe étalé dans les journaux, moins de frustration par rapport à ce qu’on pouvait espérer. Mes parents et mes soeurs n’appelaient presque jamais de Paris parce que ça coutait cher, on fabriquait des habits de bébés multicolores et des tapis-touff.  On avait quatre poules qui nous fabriquaient des oeufs.
On n’aurait jamais imaginé qu’une vie comme la nôtre pût être considérée, un jour lointain, comme précaire, et qu’une telle absence de communication deviendrait un handicap socio-professionnel. Ceux qui vivent comme ça aujourd’hui, je les plains de tout coeur, réellement. On est tellement facilement ringard, nase ou nul à chier quand on n’a pas « tout » qu’il faut être très fort pour pour ne pas en être affecté.

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