La terroriste de Deauville

Vanessa Schneider, grand reporter au Monde, retrace une partie de la vie de Joëlle Aubron, activiste, terroriste et meurtrière durant les années 80, dans le giron du groupuscule d’extrême-gauche Action Directe dont le projet général était de mettre à bas le capitalisme. Si elle a intitulé son livre La Fille de Deauville c’est parce que Joëlle Aubron avait reçu la mission d’y entrer en contact avec le célèbre terroriste Carlos. Issue d’un milieu bourgeois, contrairement à ses collègues Rouillan et Ménigon, elle présentait bien et pouvait passer inaperçue quand les circonstances l’exigeaient.
Joëlle est donc une jeune fille bien mais, après échecs au bac, dépitée, elle plaque ses parents pour vivre dans des squatts, les plus pourris de Paris ou d’ailleurs. C’est là que commence sa grande aventure, en se liant avec des activistes confirmés qui vont la former au combat puis au maniement des armes. De hold-up en actions diverses en passant par la calamiteuse distribution de tracts qui valident leurs idées, leur vie est une fuite permanente pour échapper à la traque. Ils ont un lieu de repli, une vieille ferme en pleine campagne, tellement isolée qu’il est difficile voir impossible pour la police d’y accéder discrètement.
N’empêche que, arrêtée une première fois pour détention d’armes, Joëlle se retrouve en prison où elle serre les dents. Elle est une guerrière oui ou non ? Puis lorsqu’elle ressort, Action Directe se radicalise. On passe aux choses sérieuses, on tue des militaires de haut rang, on assassine des capitaines d’industrie.
La traque, c’est un policier qui la mène depuis des années. Ce groupuscule le met en rage et il est obsédé par cette fille, gracieuse, qu’il ne comprend pas. Il sacrifie sa vie entière, ses loisirs, ses amours, ne la lâche pas même si parfois sa hiérarchie s’intéresse moins à eux. Non, lui, il ira jusqu’au bout. Ce flic est un héros fictif mais tout le reste est vrai, bien que romancé. Les crises, les relations entre les membres, leur état d’esprit est soigneusement documenté et le résultat est autant un livre de suspense qu’un roman vaguement sentimental. Il se termine lorsque les participants d’Action Directe, ils sont très peu, sont arrachés de leur ferme. Joëlle sera condamnée à la perpétuité mais, atteinte d’un cancer à la tête, sera libérée dix ans plus tard avant de s’éteindre. Elle n’aura pas beaucoup parlé.

La Fille de Deauville de Vanessa Schneider 2022 aux Editions Grasset. 268 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Le Tango maudit de Maria

Tu t’appelais Maria Schneider n’est pas la biographie à proprement parler de cette merveilleuse actrice à visage d’angelot et corps de diablesse, c’est ce dont se souvient Vanessa Schneider, sa cousine, ses apparitions, ses rencontres, ce qu’en dit la famille, ce qu’elle en sait. Elle n’est pas allée farfouiller sur Internet, ou peut-être, mais elle a surtout interrogé ses propres archives, les bouts de journaux découpés, des pages de magazines arrachées, un amas de photos, des dessins etc. très précieusement gardés. Vanessa était une petite fille, pas naïve puisque chez ses parents – famille de foldingues avec une rigueur issue d’une grande bourgeoisie tombée dans le hippy – on disait tout, rien n’était caché aux enfants. Donc forcément, les histoires de drogues, de manque. Maria fut recueillie chez eux car sa mère, mal-aimante et brindezingue, l’avait fichue dehors, à l’âge de quinze, là où tout se forme ou se déforme. Tout le monde sait que le père de Maria était le séduisant Daniel Gélin, papillon de la nuit, amateur de femmes et d’ivresses jusqu’à la dope aussi. C’est pas qu’il reniait la belle enfant, c’est que la loi interdisait aux hommes mariés de reconnaître les enfants adultérins, comme on disait. Mais très vite, il l’a emmenée chez Castel où, jusqu’au bout de la nuit, ils faisaient les fous. Pas d’école le lendemain, bien sûr.
Ce livre est impressionniste, un puzzle d’émotions et de bulles du passé qui remontent en produisant parfois d’indigestes vapeurs. On sait moins que les deux plus grosses stars et beautés du cinéma lui ont servi de parrain et marraine jusqu’à ses obsèques; Brigitte Bardot chez qui elle a vécu deux ans, et Alain Delon, qui a lu la lettre que BB a écrite pour la dernière cérémonie.
La petite fille, puis la jeune fille n’a vu que les naufrages de Maria puisqu’elle venait lorsqu’elle n’avait plus où aller. Elle l’a accompagnée dans la dernière épreuve, celle du cancer où elle ne se nourrissait que de champagne, rien d’autre ne passait, où elle ne ressemblait plus à elle-même avec ses cheveux coupés et blancs et son beau visage disparu sous les baffes de l’héro, des joints, de l’alcool et de la clope. Pauvre âme.
On apprend que le grand Marlon soi-même resta en contact, abusé lui même par ce que Bertolucci lui fit jouer. Qui a fini par s’excuser de ce viol assassin trop tard, après sa mort de l’actrice.
Livre sensible et tendrement brodé. Souvenons-nous de la sublime Maria dans Profession : reporter d’Antonioni que j’ai revu l’autre jour, toujours sidérée par le charme irracontable de cette femme-enfant et la magie toujours prégnante du film.

Tu t’appelais Maria Schneider de Vanessa Schneider, 2018 aux éditions Grasset. 252 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

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