Et ces êtres sans pénis !

Ne croyez pas que j’ai titré ainsi mon papier pour attirer votre regard lubrique. Non. C’est le titre du livre avec son point d’exclamation, Et ces êtres sans pénis !, de Chahdortt Djavann, romancière et essayiste iranienne, féministe, vivant en France après avoir fui son cher pays dévasté par les ayatollahs. Elle y a même fait de la prison à treize ans. Treize ans !
Pourquoi avoir appelé son livre comme ça ? Parce que sa naissance « sans pénis » a été une erreur. Une faute terrible que sa mère n’a jamais pardonnée. Imaginez : Avant elle, la mère avait un petit garçon magnifique, un ange, elle l’adorait. mais il est mort à onze mois. Drame absolu. Lorsqu’elle se retrouve enceinte, la mère est persuadée que c’est son petit ange qui revient. Elle est tellement heureuse dans cette attente. Hélas, il ne naît qu’un être sans pénis, autrement dit une fille. Premier drame de l’autrice. Et drame récurrent puisqu’en Iran, si tu n’as pas de pénis, tu as raté toute ta vie. Et même ta mort.
Ce livre douloureux, mais plein d’esprit, d’allusions au beau langage persan, nous conte le terrible destin de femmes iraniennes. Car une Iranienne n’a aucun droit. Quoi qu’il lui arrive, c’est sa faute. Les hommes, les flics, les maris, les frères, peuvent la frapper, la mutiler, la violer et la tuer, il n’y a pas mort d’homme, ce n’est donc pas grave. Dans ce pays où l’écrasante majorité des êtres sans pénis, dans son enfance, son adolescence ou sa jeunesse, a été violée ou a subi des attouchements sexuels; dans ce pays où aucune voix n’ose publiquement parler des abus sexuels, du viol ou de l’inceste; dans ce pays où des enfants sans pénis, dès l’âge de neuf ans, sont mariées avec des êtres avec pénis quatre fois plus vieux, sans que quiconque qualifiât cela de pédophilie; dans ce pays où les lois écrasent les êtres sans pénis, leur font porter un voile dès l’âge de sept ans pour ne pas exciter les hommes...
Chahdortt Djavann nous parle des émeutes où les mollahs ont coupé immédiatement l’Internet afin que rien ne transpire de la terribles répression où les gardiens du pouvoir étaient exortés à tirer à vue sur les manifestants. Rien n’a été dit ou vu sur les réseaux, de ces milliers de morts.
Chahdortt Djavann nous parle d’une jeune femme qui refusa d’être mariée (vendue) à un maire pour le bénéfice de son père, qui s’enfuit, vécut une histoire d’amour avec une femme sur laquelle l’homme humilié se vengea en projetant de l’acide pour dissoudre son visage. L’homme ne fut pas puni.
Chahdortt Djavann nous parle de cette ado de quatorze ans qui s’amusait avec ses copines autour d’une fontaine. Bien que voilée, mais rétive, elle fut embarquée violemment et punie puis cloîtrée par ses parents car en cas de récidive, on leur confisquerait leur appartement.
Chahdortt Djavann nous raconte aussi cette jeune fille qui, par bravade comme le font certaines, grimpa sur un poteau et ôta son voile. Elle fut attrapée, frappée et violée sauvagement par trois hommes, gardiens des lois.
Bien que grande amoureuse de la France, Chahdortt Djavann écrit : Je me sens coupable de vivre tranquillement en France qui a accueilli Khomeiny  — l’homme qui changea la face du monde. Je me sens coupable lorsque la France, l’Europe se mettent à table avec les dirigeants criminels de l’Iran. Le silence assourdissant du gouvernement français me fait mal. Le Pays de Droits de l’Homme ne dit mot.
Alors, pour alléger sa honte, sa peine ou sa colère, elle écrit un dernier chapitre où elle s’affranchit de toute règle littéraire (puisque nul ne suit de règles) une histoire en forme de conte mais d’un réalisme hallucinant où elle revient au pays, elle retrouve deux cousines guerrières déterminées avec tout une organisation révolutionnaire à mettre ce régime à terre. C’est dur, puissant et porteur d’un tel espoir !
Superbe livre qui aurait beaucoup à apprendre à celles qui, en France, décident de porter le foutu voile, ceux qui les obligent ou les y encouragent et beaucoup qui n’y voient qu’une histoire de colifichet.

Et ces êtres sans pénis !, de Chahdortt Djavann. 2021 aux éditions Grasset. 226 pages, 19,50 €

Texte © dominique cozette

Les Fessebouqueries #478

Il y a des fois où on a trop de restes et quelques petits produits frais mais pas assez pour en faire un plat, alors on mitonne un fourzytou, c’est pas mauvais. Cette semaine, on a une queue de Matzneff, des résidus de Trump, un gros déchet de Caca-rente, des débris de pièces jaunes, des bouts de matraques, un noyau d’avocat, un fond de pension de retraites, un surplus de sushi à la libanaise, le tout sur feu vif australien. Ah, flûte, un cheveu dans la soupe ! Celui de Dessange sûrement. Que cela ne vous coupe pas l’appétit pour passer un super week-end !
– JM : Quel monde merveilleux où les escrocs se font exfiltrer pendant que les lanceurs d’alertes croupissent en prison.
– AdN : On se fout des aborigènes qui brûlent en Australie parce qu’ils sont 3% alors pourquoi ici on se fatigue à gueuler contre les régimes « spéciaux » qui sont 3% aussi ?
– JE : L’ACTU DU JOUR : La Ministre des Sports annonce que la France organisera le « championnat du monde de coups de matraque » en 2021.
– CEMT : Le Paris-Dakar en Arabie Saoudite, une idée sympa pour conjuguer mépris de l’environnement et mépris des droits de l’homme, avec un peu de chance ils pourront assister à la décapitation d’un écologiste avant le départ.
– RR : Mon assureur m’a souhaité bonne année mais ça manquait de franchise.
– GB : On se dirige vers une conférence du financement suivi d’un Grenelle sur l’âge pivot à laquelle succèderont une table ronde de la pénibilité et un livre blanc sur la décote couplés à un grand débat sur les régimes spéciaux et l’émission de pin’s sur l’année 1975.
– NP : Hanouna qui accuse Intervilles de faire de la merde c’est un peu comme si Jean-Luc Lahaye accusait Matzneff d’être pédophile…
– OM : On n’est pas foutu de savoir qui a poussé un mec dans la rivière mais on va s’occuper de résoudre la 3ème guerre mondiale…
– GD : Ma foi, il ne manque plus que l’avis d’Alain Finkielkraut sur l’affaire Matzneff pour réussir le Grand Chelem de la moisissure cérébrale contemporaine.
– PR : Ça fait plaisir de voir les actionnaires du CAC40 s’en mettre plein les fouilles. Au moins, on sait où va l’argent. Dans un monde en perte des repères, c’est déjà ça. C’est rassurant.
– CV : On vient d’apprendre la mort du coiffeur Jacques Dessange à l’âge de 94 ans. La police ne serait pas impliquée dans ce décès. On va quand même vérifier.
– ES : Jacques Dessange s’en est allé : vous voulez dire, de manière permanente ?
– PE : Avec les exploits des forces de l’ordre, on est un peu comme dans Les Experts : on apprend du vocabulaire médical à chaque nouvel épisode : Fracture du Larynx, Nécrose cérébrale, Énucléation, Amputation d’extrémité de membre, Fracas maxillo-facial et dentaire, Traumatisme cranio-cérébral  Etc…
– ML : Janvier 2015 : j’ai embrassé un flic. Janvier 2020 : un flic m’a étouffé.
– NP : C’est bizarre ce silence de Trump après les frappes iraniennes… Est ce qu’on imagine deux secondes Roosevelt dire « Je suis crevé ce soir, on verra ça demain matin. » après Pearl Harbor?
– CC : Le préfet de Police rappelle que la présomption d’innocence est une garantie démocratique qui vaut pour tous, y compris pour les policiers. Sauf pour les mecs un peu typés, les gilets jaunes, les manifestants, les livreurs, les… on ne reconnaît plus votre sens de la démocratie « d’un bon œil ».
– OK : J’imagine des extraterrestres qui recherchent ailleurs dans l’univers, une forme de vie intelligente. NOUS SOMMES PEINARDS !
– CEMT : Le mec est en cavale et il a droit à deux heures sur toutes les chaînes info pour se défendre, Xavier Dupont de Ligonnès peut revenir il craint plus rien.
– CB : — « Mais bordel, j’en peux plus de mes avocats, y font chier! » — « Qu’est ce qui se passe? » — « Ben, je veux changer leur régime de retraite, je double leurs cotisations et je nique leur pension de retraite d’un tiers, je comprends pas pourquoi ils font la gueule »
– CC : J’avais raté ça : Ghosn compte faire valoir ses droits en France, il n’aurait jamais démissionné de Renault et de Nissan. En gros le mec compte aller aux Prud’hommes puis réclamer ses droits à la retraite (et ça va pas être 1000 balles hein..).
– DJ : Jusqu’ici, les responsables de Gallimard publiaient un journal qu’ils ne lisaient pas.
– IS : 2020, Brigitte a une vraie idée…. Mendier nos pièces jaunes pour sauver l’hôpital… Elle a mis son tailleur Vuiton, qu’elle a assorti avec des pompes à 5000 et un petit sac à 10 000 puis elle s’est déplacée en personne pour nous expliquer la profondeur de son projet…. « Vous avez les tirelires, vous les remplissez à ras bord et vous les rapportez avant le 14 février ! ».
– SD : S’il vous reste une petite pièce. Quand la charité se fout de l’hôpital
– MK : Solidarité pour l’Australie : le « Slip français » veut réintroduire le kangourou !
– CC : Ce matin, je devais me faire livrer des meubles à dix heures. Par chance, les livreurs sont arrivés avec un peu d’avance, vers midi et demie.
– OM : Je me demande combien de temps Nicolas Sarkozy va résister à la grève des avocats…
– NP : — Mais concrètement ça fera quoi sur nos retraites la réforme ? — Ben on le saura plus tard quand on aura voté la loi. — Donc on doit vous faire confiance ? — Ben oui. Pourquoi ? Vous avez des doutes ?
– ES : J’ai lu un livre qui s’appelle « Développez votre emmental », mais je ne sais plus de quoi ça parle, j’ai des trous.
– MH : Je viens de relire les mémoires de Champollion, le célèbre archéologue, en livre de pioche. L’éditeur a du s’en mettre plein les fouilles.
– CEMT : « D’accord, l’Australie est en train de brûler, mais moi j’ai vu un kangourou au zoo de Vincennes et il allait très bien ! »
– CC : pour échapper aux juges, Sarkozy va se barrer en Hongrie. Dans un vanity-case.
– NP : Bref un vieux con c’est quelqu’un qui trouve que notre époque est pourrie parce qu’on ne peut plus : 1- être raciste ou 2- harceler les femmes ou 3- coucher avec des enfants ou 4- pourrir la planète tranquillement. Et pour les plus graves les 4 en même temps.
– CEMT : Arrêtez de dire du mal des policiers ! Regardez, celui-là essaye d’apprendre une position de yoga compliquée à un journaliste pendant que son collègue piétine son matériel pour qu’il ne se laisse pas distraire.
– CC : Du côté de LVMH, on habille gratuitement madame Macron (conseillée sur son style par Delphine Arnault) qui eut l’heureux bonheur d’enseigner aux 3 fils de Bernard Arnault. On ne reviendra pas sur sa magnifique fondation payée grâce à l’argent public !
– CV : Résumé des épisodes précédents : en un an et demi de mandat, Macron et ses sbires se sont mis à dos : les pauvres, le personnel médical, les cheminots, les pompiers, tout Radio France, l’Opéra de Paris, les chômeurs, les profs, les précaires et j’en oublie. Dans son camp, ne restent que les ultra-riches et les flics. Ah oui, et les trolls aussi.
– TC : Les gars se colettent avec des crocodiles toute l’année mais ils trouvent les dromadaires dangereux
– OM : Donc des Canadiens nous disent que des Iraniens ont abattu un avion ukrainien en voulant se venger des Américains… C’est pas beau la mondialisation ?
– CEMT : Non mais ça va ! Ils s’excusent ! Et puis qui n’a jamais abattu un Boeing 737 et tué 176 personnes par erreur ?
– NP : Maintenant qu’on sait que, contrairement à la légende, les avocats ne sont pas à poil sous leur robe, on demande la même chose avec les infirmières. Pour la science.
– ST : Est-ce qu’en 2020 on peut arrêter les soirées qui débutent à 23h30 et faire un petit 18h-22h pépère svp, on est vieux merci.

FESSEBOUQUERIES RAPPEL : Je collecte au long de la semaine les posts FB et les twitts d’actu qui m’ont fait rire. Les deux lettres sont les initiales des auteurs, ou les 2 premières lettres de leur pseudo. Illustration d’après photo web © dominique cozette. On peut liker, on peut partager, on peut s’abonner, on peut commenter, on peut faire un tour sur mon site ici. Merci d’avance.

Désorientale c'est époustouflant !

Ecrit par Négar Djavadi, ce livre est un pur moment d’enchantement. Mais un enchantement très bousculé : drames, meurtres, trahisons, amour, révolution… tout y est. La narratrice, tout comme l’autrice, est née en Iran puis a émigré clandestinement en France à 10 ans, avec sa mère et ses deux sœurs. A Paris, où s’était déjà planqué son père pour échapper aux rétorsions du shah dont il était un farouche opposant. Puis un aussi farouche opposant à Khomeini. Kimiâ est né le jour où Nour, la grand-mère adulée de sa grande famille, est morte. Elle est en quelque sorte sa réplique, une fille pas comme les autres, adorée de son père qui ne voulait pas d’enfant. On ne peut pas résumer ce livre qui nous raconte les trois générations d’Iraniens, les oncles Sadr appelés par leur numéro, l’arrière-grand-père qui possédait un important harem et ne voulait que des enfants aux yeux bleus.
Négar nous embarque dans l’immense fresque des régimes d’après Perse, les drames orientaux engendrés par les politiques, les Usa, le pétrole, la guerre Irak-Iran vu à travers le prisme de cette famille, zigzaguant très habilement entre présent et passé, retardant toujours le moment d’évoquer « l’événement », cet immense drame familial, puis leur installation à Paris. Au départ, elle n’aime pas le français — elle dépend d’ailleurs les Parisiens sous un jour peu flatteur, tels qu’ils sont, pénibles —, elle ne reconnaît plus ses sœurs et ses parents qui tous, ont été transformés par l’exil. Elle ne sait pas qui elle est, un garçon aux attributs féminins mais pas trop. C’est le spleen, elle se débrouille au lycée, s’emmerde royalement,  jusqu’au jour où elle découvre U2. Tout s’éclaire pour elle, sa vie est là, dans cette musique. Elle entreprend une vie décousue, punk, marginale, s’autorise tous les excès, toutes les expériences. On sait, puisque c’est le début du livre (j’allais dire du film tellement on voit les images) qu’elle va se faire inséminer, que le père de l’enfant n’est pas son compagnon et qu’il est séropositif.
Son écriture est imagée, brillante, voire éblouissante. Les vies successives de l’héroïne y sont relatées avec humour et réalisme, les traits de caractère des intervenants sont tranchés, vifs et précis comme dans une bible de série (elle est scénariste et a réalisé), les péripéties sont inattendues et le style très personnel, nous prenant parfois à partie de façon cavalière.
Le moment le plus difficile est celui de la dernière page. Quoi ? C’est fini ? Et nous alors ? Hé oui, l’histoire est bouclée, avec un immense talent. Quel joie, ce livre ! Il a reçu vingt prix !

Désorientale de Négar Djavadi, 2016 aux éditions Liana Lévi. 356 pages. (prix occulté parce qu’on me l’a offert.)

Texte © dominique cozette

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