L’année 56 racontée à mes blecteurs*

Marie-José Neuville

C’est officiel : la naissance du terme teen-agers a lieu dans un bar de Soho. C’est bondé mais faites  gaffe à pas écraser mes blue suede shoes, man…
Les popotins commencent à se remuer sur des airs pas catholiques : Elvis the Pelvis entre au hit-parade avec « heartbreak hotel » et BB fait exploser la bien-pensance avec sa danse démoniaque de « et Dieu créa la femme », sous l’oeil connaisseur du racé Curd Jurgens. Ça n’empêche pas une drôle de dame de dire à Johnny « fais-moi mal », c’est Magali Noël,  qui n’a pas peur des bleus. Dalida s’intéresse plus à un petit  Bambino qu’elle trouve finalement trop jeune, et une collégienne de la chanson, Marie-Josée Neuville,  raconte de pures histoires de pépères pervers dans le métro et de petites salopes qui t’empoisonnent la vie, mais, ses nattes coupées, elle intéressera moins et se mariera. Marilyn itou, qui choisit  les bras longs et maigrelets d’Arthur, l’autre Miller des lettres américaines, tandis que Grace, qu’on dit froide mais qui est chaude bouillante,  se frotte à la drue moustache d’un prince de Rocher légèrement replet.
Henri Cording, alias Salvador, chante « va t’faire cuire un oeuf, man », premier disque de rock français, paroles de Vernon Sinclair, alias Boris Vian. Outre-Atlantique, le guitariste aux cheveux gras, Gene Vincent Craddock (son nom réel) lance « be-bop a lula ». Ça déchire. Mais les « rappelés » en Algérie seront privés de trois ans de jeunesse et de rock effréné, ils ne verront pas non plus la sortie de « la traversée de Paris » avec ses répliques cultes, Monsieur Janvier et Salauds de pauvres, puisque, s’ils vont au cinoche durant les rares perm’s, ils seront occupés à des traversées de lingerie un peu plus excitantes.
La vignette auto, censée servir la cause des vieux, ornera tristement les pare-brise, dont celui de la Dauphine, reine des petites cylindrées.
Les seins de Jayne Mansfield, entourés de la crème des jeunes rockers, crèvent l’écran dans « la blonde et moi ».  Pas (encore) ceux de Romy qui incarne la sage Sissi alors que Cousteau et Louis Malle nous dévoilent les dessous de la mer dans leur monde du silence.
Romain Gary ferre son premier Goncourt avec « les racines du ciel » et Tintin fête ses dix ans.
Mistinguett se fait la malle en tenant la main d’Irène Jolliot-Curie, celle sans qui Curie ne serait rien. Léautaud (qui n’est pas l’ancêtre de Léotard) s’envole en laissant éplorées ses braves bêtes, cependant que Bertold entame sa résistible ascension vers un monde meilleur, en la rythmique  compagnie d’Art Tatum.
A la radio française, on peut entendre Bécaud, Piaf, Annie Cordy, les Compagnons mais aussi, parfois, Fats, Elvis, Gene et les Platters.
Quant à moi, j’ai une belle dartre au coin de la bouche sur la photo de classe : c’est d’un chic !

L’année 55 ici

* Blecteurs = lecteurs de blogs

Texte et dessin © dominiquecozette. Source : Les années Rock’nRoll de Rodolphe, éditions Chronique. 2008 (Chouette bouquin bourré d’images ).

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