Les salutations révolutionnaires de Carlos

Bien sûr, pas le chanteur, le terroriste officiellement nommé Ilitch Ramirez Sanchez, qui sema la terreur dans les années 70/80 avec de très nombreux attentats qui firent énormément de victimes dont celles du Drugstore Publicis et de la gare Saint Charles, et lui valurent le surnom d’ennemi public numéro un. Salutations révolutionnaires est écrit par la journaliste Sophie Bonnet qui, un beau jour, eut la curiosité de voir ce qu’il pouvait bien y avoir dans la tête d’un terroriste. Condamné à perpétuité sans aucune chance de sortir – lui est persuadé du contraire, il sera un jour président du Venezuela, son pays – il croupit à la centrale de Poissy.
Sophie est d’abord étonnée de voir que cet homme, devenu un vieillard mais toujours élégamment vêtu, croit encore à son influence et à son aura. Il n’a pas intégré sa chute. Beaucoup de femmes lui rendent visite, il en a « baisé » de nombreuses, car dans cette centrale, les parloirs possèdent des boxes individuels où l’on peut s’isoler. Il a d’ailleurs épousé une de ses avocates. Lors de chaque visite, chaque mois durant quatre ans, Carlos tentera sa chance avec Sophie qui ne lui laissera jamais d’espoir mais il la manipulera sans relâche pour créer une sorte d’empathie. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est qu’il se confie, qu’il avoue, qu’il brise sa carapace. Peine perdue, cet homme a une parfaite maîtrise de lui-même. Il parle beaucoup, il possède une vaste culture, adore vanter ses relations avec les dictateurs, présidents, services secrets du monde entier, les fabuleuses sommes d’argent qu’il a reçues pour exécuter certaines mission. Jusqu’alors, il n’a avoué officiellement que peu d’attentats et se voit uniquement comme un révolutionnaire. Il confiera cependant à Sophie que c’est lui qui a envoyé la grenade au Drugstore, en sachant que cet aveu ne vaut rien, c’est juste une des nombreuses façons de se vanter. Et il égrenera d’autres actions.
Dans cette centrale, il est admiré des jeunes des cités, souvent radicalisés, entre autre pour sa haine des Juifs sionistes et pour ses crimes, bien entendu. Il est soutenu par Dieudonné, des groupuscules lointains, des militants turcs d’extrême-gauche, des groupes Facebook  et d’anciens nazis bien que la plupart de ses « collègues » ou riches bienfaiteurs l’aient oublié. Carlos, alias Ilitch (ses frères s’appellent Lénine et Vladimir) est sobre, pas de tabac ni de H qui circule librement. Il ne se sert pas de mobile mais pique une crise quand il n’a plus d’imprimante. Il souffre de diabète mais consomme énormément de saletés sucrées des distributeurs, il est gros.
Pour la journaliste, ces visites deviennent vite pénibles car Carlos joue toujours son numéro de claquettes du mec important, tombeur et au pouvoir démesuré. Il est simplement pathétique. Elle assistera au procès du Drugstore où il se comporte avec elle de façon tellement familière que cela lui interdit tout rapprochement avec les victimes. Enfin, elle doit remettre son manuscrit et le documentaire sur lesquels elle travaille. Elle ne sait pas trop comment annoncer son départ à Carlos mais il n’en est pas plus affecté que ça. Elle sait qu’il la balaiera de sa mémoire immédiatement alors qu’elle gardera de lui un poids de souvenirs tenaces. Et qu’elle n’aura rien appris sur ce qui fait d’un homme un monstrueux terroriste.
Livre passionnant bourré d’anecdotes intimes, familiales, géopolitiques, très instructif sur les conditions carcérales effroyables eu égard à la simple hygiène, au laisser aller de l’administration par rapport aux drogues et aux substances médicamenteuses mais aussi aux simples relations humaines.

Salutations révolutionnaires de Sophie Bonnet, 2018 aux Editions Grasset. 314 pages, 19 €.

Texte © dominique Cozette

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