Le petit roi

Après avoir lu le très beau roman de Mathieu Belezi Attaquer la terre et le soleil (voir dans un récent billet) qui, après un prix du Monde, a reçu cette année le prix Inter, j’ai eu envie de découvrir le tout premier roman de cet auteur dont le Tripode a entrepris toute la réédition.
Le petit roi n’est pas un livre d’une grande gaîté. Mais d’une grande poésie mariée à une très belle écriture, fluide et concise en même temps.
Ici un jeune ado de douze ans est largué par sa mère dans la vieille ferme de son grand-père, au trou du cul du monde. La vie est sobre pour ne pas dire âpre, par exemple l’hiver où il fait tellement froid dans cette maison rustique non chauffée qu’ils dorment tous deux dans le lit d’hiver près de l’âtre. Papé est un homme simple, peu expansif mais attentif à son petit-fils. Il ne l’oblige à rien mais fait comme il peut pour que le gamin aille bien à l’école. Qu’il déteste. Il ne se fait pas d’amis, mais se choisit un souffre-douleur. Car toute la violence qu’il a accumulée durant ses premières années, quand son père frappait sa mère et que celle-ci, ne se laissant pas faire, recevait des torgnoles supplémentaires, toute cette colère, il faut qu’elle rejaillisse. C’est d’abord sur le chat puis sur les poules, et ensuite sur les petites bêtes.
Dans les interstices de cette vie pauvre et rurale s’insinuent les relents de sa vie d’avant, où il avait toujours peur que ça explose. Tellement mal à l’aise qu’il ne peut pas ne pas détester sa mère qui l’a abandonné. Il jette le peu de courrier qu’elle envoie, sans le lire, mais lorsqu’une fois elle vient sans prévenir, il se pelotonne dans ses bras comme un petit chaton chagrin. Le père ? On n’en saura rien. Mais ce livre ne se terminera forcément pas très bien, c’est le mieux que je puisse écrire.
C’est court, c’est simple, c’est joli.

Le petit roi de Mathieu Belezi. 1998 chez Phébus puis 2023 au Tripode. 116 pages, 15€.

Texte © dominique cozette

Bienvenue dans l’enfer des colons

Un vendeur (bomec) de chez Joseph Gibert me l’avait conseillé chaleureusement juste avant que ce livre reçoive le prix Inter. Et c’est réellement un livre étourdissant dans la forme comme dans le fond. L’originalité de la ponctuation saute aux yeux, le seul point est le point final, sinon ce sont des points d’interrogation, des virgules et des sauts à la ligne, et aucune majuscule sauf pour les noms propres. Le récit se déroule sans écueils, on a l’impression d’une narration dans un état second tellement ce qui arrive est fort, douloureux, incompréhensible (pourquoi mon Dieu vous nous infligez tout ça ?). Ce qui n’empêche pas la force impérieuse des torrents de sensations qui forment les phrases, avec poésie et ressenti de malaise.
Belezi nous parle de Français pauvres qui ont gobé les promesses d’un gouvernement de la fin du dix-neuvième siècle, à savoir qu’un pays riche et ensoleillé les attend, une belle conquête, des terres productives, des maisons en dur, tout ça pour rien, juste l’audace de quitter leur sol ingrat.
Séraphine y croit, convainc son mari, sa soeur et l’époux de celle-ci, de partir et réaliser ce rêve avec leurs enfants.
Les problèmes commencent à Marseille où aucun bateau ne les attend, on les entasse dans des non lieux, mais ce n’est rien par rapport à ce qu’ils vivent. De maisons, point, que des tentes militaires sans aucun confort, pas d’eau ni de sanitaires bien sûr, et la pluie glaciale qui tombe drue durant les longs jours ingrats de l’hiver qui n’en finit pas dans ce paysage vide et désolé. Séraphine raconte la misère, la puanteur, la vermine mais patience, le printemps changera tout ça. Lui dit-on.
Puis un chapitre sur deux, ce sera un soldat qui racontera. Ces chapitres s’intitulent tous (bains de sang) avec la parenthèse. Un carnage. Des vrais sauvages que ces soldats qui confessent qu’ils ne sont pas des anges. Ils sont là pour combattre la barbarie des Arabes (je n’ose pas inscrire tous les termes racistes accolés à ces gens), donc des barbares, mais on peut se demander qui sont réellement les barbares vu comme ils, les soldats français, y vont vaillamment pour égorger, éventrer, torturer, violer, incendier tout ce qu’ils trouvent, abreuvés de vinasse et de patriotisme mal placé. C’est cru, c’est affreux, c’est la guerre dans toute sa splendeur.
Et pendant ce temps, le choléra s’y met lui aussi, décimant les uns et les autres, bousillant les familles, tuant les enfants, les maris, qu’importe… Que c’est lourd, que c’est dur. Il ne faut pas être à la ramasse pour lire ce livre dont le titre, Attaquer la terre et le soleil, n’évoque rien de bon mais qui resplendit néanmoins d’une beauté extravagante.

Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi, 2023 aux éditions Le Tripode, 160 pages, 17 €

Texte © dominique cozette

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