Un vendeur (bomec) de chez Joseph Gibert me l’avait conseillé chaleureusement juste avant que ce livre reçoive le prix Inter. Et c’est réellement un livre étourdissant dans la forme comme dans le fond. L’originalité de la ponctuation saute aux yeux, le seul point est le point final, sinon ce sont des points d’interrogation, des virgules et des sauts à la ligne, et aucune majuscule sauf pour les noms propres. Le récit se déroule sans écueils, on a l’impression d’une narration dans un état second tellement ce qui arrive est fort, douloureux, incompréhensible (pourquoi mon Dieu vous nous infligez tout ça ?). Ce qui n’empêche pas la force impérieuse des torrents de sensations qui forment les phrases, avec poésie et ressenti de malaise.
Belezi nous parle de Français pauvres qui ont gobé les promesses d’un gouvernement de la fin du dix-neuvième siècle, à savoir qu’un pays riche et ensoleillé les attend, une belle conquête, des terres productives, des maisons en dur, tout ça pour rien, juste l’audace de quitter leur sol ingrat.
Séraphine y croit, convainc son mari, sa soeur et l’époux de celle-ci, de partir et réaliser ce rêve avec leurs enfants.
Les problèmes commencent à Marseille où aucun bateau ne les attend, on les entasse dans des non lieux, mais ce n’est rien par rapport à ce qu’ils vivent. De maisons, point, que des tentes militaires sans aucun confort, pas d’eau ni de sanitaires bien sûr, et la pluie glaciale qui tombe drue durant les longs jours ingrats de l’hiver qui n’en finit pas dans ce paysage vide et désolé. Séraphine raconte la misère, la puanteur, la vermine mais patience, le printemps changera tout ça. Lui dit-on.
Puis un chapitre sur deux, ce sera un soldat qui racontera. Ces chapitres s’intitulent tous (bains de sang) avec la parenthèse. Un carnage. Des vrais sauvages que ces soldats qui confessent qu’ils ne sont pas des anges. Ils sont là pour combattre la barbarie des Arabes (je n’ose pas inscrire tous les termes racistes accolés à ces gens), donc des barbares, mais on peut se demander qui sont réellement les barbares vu comme ils, les soldats français, y vont vaillamment pour égorger, éventrer, torturer, violer, incendier tout ce qu’ils trouvent, abreuvés de vinasse et de patriotisme mal placé. C’est cru, c’est affreux, c’est la guerre dans toute sa splendeur.
Et pendant ce temps, le choléra s’y met lui aussi, décimant les uns et les autres, bousillant les familles, tuant les enfants, les maris, qu’importe… Que c’est lourd, que c’est dur. Il ne faut pas être à la ramasse pour lire ce livre dont le titre, Attaquer la terre et le soleil, n’évoque rien de bon mais qui resplendit néanmoins d’une beauté extravagante.
Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi, 2023 aux éditions Le Tripode, 160 pages, 17 €
Texte © dominique cozette