Pourquoi tu n’es pas né ?

abortion # 4

A toi, le frère que je n’ai jamais eu car ma pauvre mère les perdait tous en route alors que les filles proliféraient, cette petite pensée une veille de nativité : tu te serais appelé Marc, tu aurais été probablement blond aux yeux bleus comme nous tous, le cheveu fin et les traits réguliers. Tu aurais peut-être fait Assas pour plaire à notre père et prendre sa succession, et tu serais  au bord de la retraite, aujourd’hui, profitant de ta fin de carrière pour réunir tes trois soeurs, leurs compagnons, tes quatre nièces et les enfants de celles-ci, bref, une grosse affaire de famille dans une belle propriété que tu aurais gagnée à la sueur de tes clients. Et puis ta femme nous aurait préparé de bonnes choses et tes enfants…???  Ou alors, tu aurais hérité de talents artistiques dont j’ai mal tiré parti et tu serais devenu le rival de Johnny, une sorte d’Higelin tom-waitsien, je t’aurais écrit des textes et ça aurait trop fort ! A l’heure actuelle, on serait tous en train de lever nos verres à ta tournée d’adieu. Mais voilà, mon Marco Cozette, tu n’es pas né, tu ne sais rien de notre famille et c’est drôlement con !

Texte et photo © dominiquecozette

2 réflexions sur « Pourquoi tu n’es pas né ? »

  1. Très émouvant. J’ai eu un petit frère qui n’a vécu que quelques semaines, résultat nous sommes restées deux gamines, l’une avant, l’autre après, avec ce vide au milieu qui s’appelait Eric. Mes parents n’en parlaient jamais. Nous avons dû en prendre notre parti. Moi l’aînée réinvestie dans le rôle du garçon absent, ma soeur, une vie après la mort. Tout le monde la prenait pour un garçon, la pauvre tellement elle n’avait pas un poil sur le caillou. J’aurais tellement voulu avoir un frère que je n’ai vu que des frangins dans tous les hommes que je rencontrais. Moi aussi, je voulais qu’on l’appelle Marc. C’est rigolo : Marco Cozette. Très joli ce texte. Bravo

  2. J’en connais une (ma mère, enfant « non désirée » née pdt la guerre), née après un « Marco » râté aussi: j’te raconte pas le boulet qu’elle se promène, la pauvre, que dis-je, la bombe à retardement, à fragmentation même, qui nous pète à la gueule à chaque enterrement ou autre… Ses frangins plus jeunes l’ont toujours « tuée ».
    Vaste sujet bien boulesque.
    Well done et merci Dominique pour ce beau texte courageux.
    J
    PS: le sorbet au gingembre, c’est très bon

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