Je viens de réaliser que des milliers de personnes sont actuellement en train de bosser pour moi. C’est énorme. Des milliers, et pas des moindres. Mais aussi des moindres. Je passe sur mon mari qui fait beaucoup pour moi, sur mon homme de ménage tamul parce qu’il est parti au Canada passer ses congés payés, sur ma gynéco et ma dentiste avec lesquelles je dois prendre rendez-vous. Parlons de celles que je ne connais pas : un éleveur de porc bio en Bretagne et toute sa filière (cultivateur, abatteur, boucher, acheteur pour Rungis, transporteur, distributeur etc…), un chercheur sur les problèmes liés à l’âge, au cholestérol, au cancer du col et du sein et filière. Des patrons de presse et de télé qui cherchent à m’agglutiner dans leur audience, avec leur filière, journalistes, assistants, restaurateurs, responsable de la maintenance de la machine à café, fabricant de PQ et filière.
La pub qui aimerait bien me vendre ses cochonneries de sacs, pompes, antirides, poulets, opérateurs téléphoniques, avec filière : responsables projets, directeurs marketing, directeurs clientèle, planeurs stratégiques, créatifs, graphistes, coursiers, fabricants de motos et filière. Mais aussi marchands de fringues, stylistes, fabricants de tissus, chercheurs de matières, cueilleurs de coton, teinturiers, élimeurs de jeans, fabricants de boutons, tondeurs de moutons, fileuses et filières : vendeuses, gérants de magasins, décorateurs, étalagistes….
Romancier(e), je pense à toi aussi, travailleur de l’ombre, dans l’ingratitude générale, permettant à des milliers de gens de vivre sur ton dos : maisons d’édition, magazines, critiques, libraires, bibliothèques, société de dépôt, industriels du bois et de la pâte à papier, encre, stylos, traitement de texte, illustrateurs, graveurs, c’est abyssal !!!
Je me sens tellement solidaire de vous tous et de ceux, des millions non cités comme ces fabricants de tubes de peinture acrylique, de crème, planteurs de riz, ingénieurs toutes tendances, tresseurs de tapis, facteurs/trices, acteurs/trices, scénaristes, travailleurs d’Orange, de Mac, et autres technologies modernes, pilotes d’essai, présentateurs.
Même qui vous savez là-haut, il bosse pour moi, stressant ses 600 commissions et 1100 conseillers pour me niquer de leurs promesses phallussieuses dans leurs futures burnes électorales. Je dis à ceux-là : Vous êtes dispensés. Arrêtez-tout, ne vous donnez pas ce mal, allez cultiver les champignons de votre cerveau nécrosé, névrosé ou ce que vous voudrez qui en tient lieu. Car je ne voterai jamais pour votre lider. Jamais. Quelle que soit la pression, la promesse, la personne face à lui.
Sinon, il y a aussi tous les autres, qui défont, qui bossent aussi mais qui abîment, qui détruisent, qui abaissent ou rabaissent, qui liquident, qui gâchent, qui gaspillent, qui pillent… pour que la société marchande que je représente un peu quelque part participe à leur enrichissement.
Ah, mes amis, mais quelle responsabilité d’être moi !
Texte et dessin © dominique cozette