Conçu par des parents charcutiers, le garçon aurait dû se prénommer Michel. Il était attendu comme le messie après les huit fausses couches de sa mère. Il aurait été un enfant sans histoire, comme le sont les futurs assassins qui savent cacher leur jeu. Le problème, c’est le refoulement d’une jalousie maladive énorme à l’encontre de son frère Alain, son cadet de deux ans, Alain qui était le plus joli garçon qu’on ait jamais vu. Michel aurait donc suivi docilement ses études de viande pour plaire à son père qui en attendant était un enfoiré de première, il aurait repris le petit commerce qu’il aurait agrandi avec la boucherie voisine et aurait été ainsi le roi du quartier. Mais son frère Alain lui pourrissait la vie. D’abord, il l’avait plus longue (vous savez de quoi je parle), mais surtout, les filles que lui-même avait un mal fou à draguer s’enflammaient dès qu’elles voyaient Alain, puis elles n’avaient de cesse de réclamer. Bien sûr, il en profitait, couchait avec les unes et les autres en leur promettant son frère, mais ça lasse. Quand Alain entra dans le cinéma avec le succès que l’on sait, ce fut la goutte de sang qui fit déborder le boudin : un soir, très tard, Michel empoigna un couteau à désosser et lui fit la peau. Ce fut simple : il le débita et le prépara comme un cochon. Par la suite, il se réjouit des réflexions des clients qui félicitaient son père pour ces excellentes tripes, ce succulent jambonneau, ces sublimes rillettes. Mais ce jour n’arriva jamais car Dieu, tombé amoureux par avance d’Alain, empêcha la naissance du méchant Michel qui chut dans les toilettes à la turque de la charcuterie au fond de la courette, à à peine quatre mois de développement foetal.
Texte et photo © dominiquecozette