Dans la famille Beat, je demande Carolyn (Cassady)

Résumé pour ceux qui n’ont pas suivi : Kerouac a écrit sur la route en s’inspirant de son ami Neal Cassidy, un frappadingue de première (voir mon article sur la route le rouleau original, sorti récemment, non censuré donc). J’ai lu dans la foulée la correspondance de Neal Cassidy. (Deux superbes livres, l’un ici , et l’autre ici). Explosif, complètement déjanté. Des histoires insensées. Bien que marié (parfois bigame), notamment avec Carolyn, fille cultivée, de bonne famille, dingue de lui malgré ses absences, infidélités, humiliations, dilapidation. Et cette Carolyn a écrit  Sur ma route, donc l’histoire de son point vue à elle. Introuvable en commande, quelques exemplaires sur Amazon, dans aucune médiathèque parisienne, mais à Montélimar. Je fonce. Un pavé qui, effectivement, raconte de façon moins décousue leur histoire qui n’est vraiment pas triste.
Malgré ses frasques infernales, Cassady s’est beaucoup soucié de ce foyer (il en avait un autre à New-York) et adorait ses trois enfants. Première déconvenue de cette fille éduquée de façon bourgeoise : la tôle. Car son mari n’est pas un enfant de coeur. Deuxième déconvenue : le sexe, qu’il pratique de façon désagréable et brutale alors que c’est un garçon attentionné et tendre par ailleurs. Troisième déconvenue : sa bougeotte. Cassady est monté sur ressorts, tous ses amis le disent, il soutient des conversations à trois niveau, il a une soif inextinguible de connaissance et de connaissances aussi, c’est un embobineur, il séduit tout le monde, il fait se qu’il veut de sa vie sans aucune contrainte, c’est l’être le plus libre qui soit. Sauf qu’il a des périodes de doute, de manque (son père et sa mère trop vite disparus) et surtout d’excès, drogues, alcool et sexe, autre déconvenue pour l’épouse qui tente d’élever ses enfants aux normes, en dépit d’un père trop fantasque.
Quand les enfants sont encore tout petits, il fera plus de deux ans de tôle pour usage de drogue, en fait des joints qu’il avait filé à des types qui étaient flics. Condamnation très lourde, personnalisée. Carolyn ne veut pas payer la caution en vendant la maison, c’est la seule chose qu’ils possèdent, échaudée par une trahison récente de son mari : il a fait passer sa nouvelle maîtresse pour sa femme pour claquer la grosse somme d’argent qu’il venait de toucher en indemnités d’un accident de travail. Elle aura du mal à lui pardonner.
Après accalmie de sortie de prison, il retrouve sa vie dissolue. Alors ce sont les flics qui passent tous les dimanches matins pour tenter de l’arrêter. Plus tard, il déserte puis débarque dans la maison familiale avec des hipsters, sa nana du moment, penseurs, alcoolos, junkies et hippies très tendance comme les Grateful Dead. Pour le plus grand plaisir de leurs ados.
Elle explique dans ce livre sa love story avec Kerouac, encouragée par Neal lui-même. Qui s’est traduite par un ménage à trois très harmonieux. Ils se sont tous aimés jusqu’au bout sauf qu’à la fin de leur courte vie, Kerouac et Cassady se détruisaient tellement que le dialogue ou même le contact devenaient difficiles. Neal est est mort à 46 ans, en 68 et Jack un an plus tard.

Elle qui vivait sainement et malgré cette ébullition permanente, elle est morte à 90 an, en 2013. Et a écrit ce livre bien après la mort de ses deux amours. Elle cite beaucoup d’extraits de lettres d’eux, d’Allen Ginsberg aussi et d’autres. C’est donc bien après la mort de Neal qu’elle a découvert l’étendue de la vie de patachon de son mari. Mais n’empêche qu’elle s’est toujours arrangée pour voir le bon côté des choses et éviter à ses gosses d’être mêlés à tout ça.
Lire les différentes versions d’existences réelles est toujours passionnant. Outre les abondants courriers qu’ils écrivaient tous, je suppose qu’elle remplissait régulièrement son journal tant fourmillent les détails de leur histoire mais aussi de leurs discussions philosophiques. C’était quand même tous des intellos qui suivaient nombre de conférences, se refilaient des titres de livres ou de philosophes à suivre, les philosophies orientales, en particulier.
Lorsque Neal est mort, à 42 ans — elle n’en a connu les circonstances que beaucoup plus tard — c’est sa dernière maîtresse qui l’a fait incinérer au Mexique à la requête de Carolyn (d’après le souhait de Neal). Carolyn a eu un mal fou à récupérer les cendres puis devant le harcèlement de la nana plusieurs mois durant, elle a fini par lui consentir une cuillerée de cendres que la jeune femme a déposées dans le caveau de Kerouac.

Sur ma route, ma vie avec Neal Cassady, Jack Kerouac, Allen Ginsberg et les autres, par Carolyn Cassady. Titre original off the road, 1990. Traduit en 2000 par Marianne Véron, pour les éditions Denoël et Ailleurs. 556 pages, 149 francs.

Texte © dominique cozette

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