Drôle de livre que ce roman de Natasha Brown, Assemblage, qui, comme son nom l’indique, est une sorte de collage de petits flashes, courts chapitres ou pas, digressions, comme un puzzle si on veut, qui trace la vie de l’héroïne, une jeune femme britannique noire. C’est assez déstabilisant, cette façon peu linéaire de raconter son histoire, parfois même difficile à comprendre, carrément elliptique, il n’en reste pas moins que c’est un livre très intéressant sur le ressenti d’une femme qui, arrivée à de très hautes fonctions à la City, doit continuer à effacer sa couleur pour être acceptée. Et son genre, bien sûr. Car c’est aussi une femme dans un monde d’hommes dont certains lui reprochent d’en être arrivée là pour satisfaire à des quotas de diversité quand eux-mêmes auraient mieux mérité le poste. Toujours, elle doit rester coite, jamais d’agressivité, toujours du contrôle. Chaque jour une nouvelle opportunité de merder. Chaque décision, chaque réunion, chaque rapport. Il n’y a pas de succès, seulement des échecs évités. L’appréhension […] Un rien pourrait s’avérer la ruine de tout. Son amant, rencontré dans sa boîte, l’admire, il est blanc et il tient à ce qu’elle vienne avec lui à la très chic garden party que donnent ses parents pour leur trente ans de mariage. Elle hésite, sachant qu’elle n’a pas sa place partout, mais s’y rend néanmoins. Et c’est vrai que quoi qu’elle fasse, quelle que soit la fortune qu’elle amasse avec son job, elle ne sera jamais comme ces Anglais aristocratiques ou grands bourgeois qui possèdent leurs terres depuis si longtemps, qui exhibent leurs lignées par des tableaux solennels accrochés dans leurs superbes demeures, et tout à l’avenant, cette vie qu’ils ont toujours connue, jamais frustrés, jamais privés de quoi que ce soit, en partie grâce à eux, les anciens esclaves dépouillés de leurs terres et de ses richesses, spoliés, dominés depuis si longtemps par leurs prédateurs. Oui, très intéressant ce court texte morcelé, impressionniste, déconstruit qui donne à réfléchir, et déjà très encensé par la critique internationale.
Assemblage de Natasha Brown, 2021, traduit de l’anglais par Jakula Alikavazovic, 2023 aux Editions Grasset. 154 pages, 17 €
Oh les belles contradictions dans l’actu de cette semaine ! D’un côté la bossa nova qui swingue sur le Corcovado avec be bop a Lula, de l’autre les penchants morbides des racistes qu’ils soient d’ici bien (r)assis à la chambre ou chez nos amis les Italiens qui ont préféré une grosse blonde bien facha (je mets au féminin). On n’en est pas loin, nous aussi, petits coqs gaulois s’égosillant sur notre tas de fumier. Amplement bassinés par de sales histoires d’O et d’écoterrorisme, dramatiquement consternés par une fiesta Halloween qui pue la mort, attristés par la disparition de l’homme qui voyait tout en noir, déjà atterrés par la COP 27 et son déluge de jets sans aucune compensation carbone, nan mais des fois, c’est le peuple qui compense, nous on pense con, c’est comme ça… pourrait dire aussi le Noiseau Bleu Muské, menaçant de nous piquer du blé contre le droit de l’ouvrir. J’vous jure. Bon, c’est le week-end, on a encore le droit de tirer un coup avant de le boire comme dit le proverbe, alors tchin dearest friends !
– NMB : Je trouvais archi-nulle la nouvelle pub Damart avant de réaliser que c’était un discours d’Élisabeth Borne.
– OVH : 150 fantômes pour Halloween à Séoul. C’est vraiment la fête des morts.
– GD : BolsonarOut.
– MLG : Elle va être belle la COP27 : « Et vous la France, vous faites quoi après les records de canicule, de sécheresse et les incendies de cet été ? — Bah on pompe dans les dernières nappes pour faire du maïs à bétail et on pète la gueule aux paysans et aux écolos qui protestent ».
– PI : Toi aussi, quand on te dit éco-terrorisme tu penses à la déforestation, aux épandages de pesticides ou aux SUV, ou c’est que moi ?
– JD : Ma fille m’a demandé de faire un compost. Un compost à huit ans. Clairement sur la voie de la radicalisation éco-terroriste. Je suis à deux doigts d’appeler Darmanin pour la ficher S.
– DP : Une grossesse abominable qui m’a appris ce qu’était le mot fatigue, un accouchement en mode fusée, pas le temps pour la péri, presque dix mois d’allaitement, zéro nuits complètes. Pour que son premier mot soit « papa ». Ma fille est un troll.
– PA : Apophtegme Quand on voit beaucoup de glands à la télé, faut-il changer de chêne ?
– GM : Apres l’islamogauchisme, Zemmour promeut le francocide et Darmanin l’écoterrorisme. Il doit y avoir un concours de néologismes à l’extrême droite.
– MK : Ouf, c’est Duralex qui suspend son activité et pas Durex !
– OVH : Mon mari m´a fait un somptueux cadeau : dix litres de SP. Yes we jerrycan.
– KR : La nouvelle validation Twitter ça voudra juste dire que t’es un pigeon qui paie huit dollars par mois pour montrer au monde que t’es un pigeon.
– GD : Et voilà, dans un moment d’inattention, j’ai encore failli comparer Gérald Darmanin à du jus de poubelle. (Pardon aux jus de poubelle.)
– CEMT : Donc Pierre Soulages il a peint des trucs noirs toute sa vie et à la fin, ils le collent dans cercueil bleu, quelle indignité.
– RR : Bientôt on fera apprendre aux élèves la table de multiplication de 49.3.
– EL : La maison de Céline (pas la chanteuse) va être restaurée. Chouette ! Bah non, elle va va être louée en Airnb à des inconnus. Vous rêviez d un musée dans la maison qui avait abrité son cabinet médical ?? Et bah non ! Le maire est con ou bien ?
– NMB : N’empêche, depuis qu’Elon Musk a racheté Twitter, on a perdu dix degrés et il fait nuit une heure plus tôt, le pouvoir de nuisance de cet individu est sans limite
– CH : La paléontologie ou la science qui étudie les trucs qui ont été fait par des mecs qui s’appellent pas Léon
– MA : Arrêtez de rendre tout et n’importe quoi à César, il ne sait plus où mettre vos merdes.
– NA : Patient : J’ai un trouble de la personnalité. Psy : Ça se traduit comment ? Patient : I have a personality disorder.
– RR : Présentement en train de rédiger la « Charte du bon neveu stagiaire de 3ème hébergé chez sa tante maniaque ». Le pauvre va retourner en courant chez ses parents.
– LC : Je dis pas que je suis vieille je dis juste que j’ai connu l’époque où quand je répondais au téléphone ça pouvait potentiellement arrêter le téléchargement d’une chanson que j’avais lancée 5h avant.
– ES : On dira ce qu’on voudra, celui qui a écrit les chansons les plus cochonnes c’est quand même Leonard Couenne.
– CEMT : Arrêtez de dire que le gouvernement italien est fasciste, c’est de la diffamation, il est juste nazi.
– AP : Pas moins de 400 jets privés de dirigeants mondiaux vont se rendre au sommet sur le climat de la COP27. Pour expliquer aux pauvres comment rouler en vélo ou en trottinette et arrêter de se chauffer l’hiver pour “sauver le climat”.
– JD : Qu’ils retournent, qu’il retourne.. On est en train de faire des analyses syntaxiques poussées pour les propos d’un raciste notoire, que l’historique de ses tweets confirme.
– DE : Hier soir, je suis monté à 22 degrés dans mon séjour avec mon poêle à granulés. Le GIGN est dans mon salon. Je serai exécuté demain, je vais devoir écouter des interviews de Marlène Schiappa jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ni fleurs, ni couronnes. Merci.
– SA : Salah Abdeslam s’est marié en prison par téléphone avec une femme qu’il ne connaissait pas. Il a aussi tué des gens qu’il ne connaissait pas… Décidément.
– TV : Ah putain… en suivant l’actualité de ces deux dernières journées, je découvre que le Rassemblement National est un parti raciste. Quelle déception. Moi qui pensais qu’ils étaient juste xénophobes.
– SF : Le raciste a été viré quinze jours de l’Assemblée Nationale. Celui qui tabassait sa femme est toujours en arrêt maladie. Nous, on se repose ce week-end avant de reprendre le taf pour payer leurs salaires de dingue. Vive la République !
– CEMT : Gérald Darmanin : « Concernant les chômeurs nés Français, je propose qu’on leur donne une autre nationalité pour pouvoir les expulser, comme ça deux problèmes résolus d’un coup. »
– CC : L’Etat s’apprête-t-il à voler 90 milliards aux retraites complémentaires des salariés du privé ? Même le Medef s’inquiète de ce tour de bonneteau, c’est vous dire.
– GD : Comme quoi, même poliment assis à l’Assemblée et « bien habillé » et propre sur lui, un parti xénophobe fondé par des nostalgiques du IIIe Reich reste un parti xénophobe fondé par des nostalgiques du IIIe Reich.
– SA : Lula élu président quinze ans après son départ. Et me voilà à croire qu’un retour de Lionel Jospin serait possible.
Très étoffée fut l’actu de la semaine mais elle n’a pas toujours prêté à rire, alors voici quelques petites saillies qui feront peut-être votre joie et si vous n’êtes pas content, je vous fais un super 49,3 et alors, vous ferez moins le malin, comme ils disent sous les ors de la république, comme ces autres potentats sénateurs qui jugeant que le droit à l’avortement ça ne fait pas partie des droits de l’homme, diront niet et re-niet pour l’inscrire dans la constitution. Ma parole, on est en Russie ou quoi ? Mais c’est une autre histoire, revenons à notre pouvoir de crachat, les jets privés, les trop gros salaires qu’on se demande qu’est-ce qu’ils font de cet amas de billets qu’ils n’emporteront pas au paradis, et puis une pensée pour la première ministre d’outre-manche qui va quand même se ramasser une sacrée prime pour quelques malheureux jours de boulot. Mais on s’en fout, c’est pas chez nous. Sous-entendu : qu’on verrait ça. Tchin, amigas et amigos, régalez-vous du beau temps avant qu’il nous sorte par les trous de nez.
– AR : Et délivrez-nous de la souffleuse à feuilles mortes !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!
– RR : Je ne dis pas que c’est la crise. Je dis juste qu’avant un inconnu pouvait t’offrir des fleurs et que maintenant il te dit que tu as de beaux yeux en t’offrant un kilo de carottes bio.
– MK : Un gros bourrin me grille la place dans la file au supermarket. Je proteste, il m’insulte, me traitant de « cégétiste ». J’ai jamais été aussi fier d’être pris pour la CGT !
– EG : La valeur d’un repas à la Wauqiez c’est presque ce que je touche par mois, comme beaucoup. Ce soir c’était soupe aux orties, le plus coûteux c’était le gaz pour la cuire.
– NP : Tu reconnais un raciste au fait qu’il veut connaître la nationalité de la victime et du coupable pour savoir si c’est un crime grave ou s’il s’en fout.
– NMB : Comment on passe trop pour des cons avec notre 49.3 alors qu’en Angleterre, en deux mois, ils ont déjà changé deux fois de Premier Ministre et une fois de monarque.
– RT : Le gouvernement va envoyer la gendarmerie réquisitionner les entreprises qui pouvaient augmenter les salaires et ne l’ont pas fait.
– NP : Je crois qu’on peut tous quitter Twitter pour aujourd’hui, on ne pourra pas faire mieux comme blague : « Je sui un salarié comme un autre » assure Carlos Tavares répondant à une question sur son salaire de 19 millions d’euros par an ».
– PAG : Le 49.3 est à la politique ce que la claque est à l’éducation.
– SG : On est d’accord, le 49.3, c’est un viol en réunion démocratique, non ?
– RR : Désolé Sartre hein … mais l’existence ne précède pas l’essence, elle la cherche partout.
– DC : Nos vieux sénateurs refusent d’inscrire l’IVG dans la constitution. Ils se vengent de ne plus pouvoir bander, je suppose.
– RP : Très affecté par le départ de Liz Truss car on va encore avoir droit à une série de tweets nuls sur Manuel Valls à la recherche d’un poste.
– PB : Saluons l’exceptionnelle longévité de Liz Truss, qui a quand même connu deux monarques.
– NMB : Ça rentre et ça sort tellement vite au 10 Downing Street, si j’étais eux, j’installerais une chatière
– RDB : In French, we don’t say « danse de néo-nazis sur le cercueil d’une enfant », we say « débordements », and I think it’s beautiful.
– CEMT : « Il est temps que la pénurie de carburant cesse, Bernard Arnault a dû attendre 5 minutes pour faire le plein de son jet privé, ça devient insupportable. »
– PA : Ce n’est pas la peine de vous disputer pour savoir s’il faut, oui ou non, boycotter le mondial Qatari ! De toute façon, vous n’aurez plus d’électricité pour allumer la télé !
– PE : T’es là, peinarde, à étaler du mitosyl sur le cul rouge de ton bébé et le lendemain, il te demande la copie de tes trois derniers bulletins de salaire et de ton avis d’imposition pour être garant de sa première colocation.
– OB : Quand un médecin vous dit que « Vos douleurs, c’est dans la tête », n’hésitez pas à lui répondre que les dépassements d’honoraires, il les aura dans le cul.
– JPT : Ceux qui se demandent quelle planète ils vont laisser à leurs enfants feraient mieux de se demander quels enfants ils vont laisser à leur planète.
– CC : Cette sensation d’être passée sous un train — mais comme y a la grève, cette sensation d’être passée sous vingt trottinettes électriques débridées.
– JB : Liz Truss déjà périmée : à quoi servent les conservateurs ?
– OR : Il semble que le clonage de Margaret Thatcher a moins bien marché que celui de la brebis Dolly.
L’insouciance est le nouveau grand roman de Karine Tuil — dont j’avais adoré celui d’avant, l’invention de nos vies (lien ici) — un pavé de plus de 500 pages où l’on suit, haletant(e), les pérégrinations ahurissantes d’une poignée de personnages qui vivent des choses pas très ordinaires. On rencontre en premier le lieutenant Romain Roller, dévasté par la perte de ses hommes en Afghanistan. On y découvre les sas de décompression où nos militaires sont priés de passer quelques jours avant de retrouver leur famille. C’est là qu’il se prend d’une passion frénétique et inextinguible pour Marion, journaliste pointue et exigeante. Mais elle est mariée à un très gros et très fringant entrepreneur, Vély (anagramme de Lévy pris par son père qui ne se sentait pas juif). Romain aussi est marié à une femme super et droite mais il n’a plus envie de la voir. Romain a un ami d’enfance de sa banlieue, Osman qui, grâce à son acharnement à s’occuper des moutons égarés de la cité, a été remarqué puis choisi pour être conseiller du président de la république. Dans le cadre de la diversité, il n’en est pas dupe. Car il est noir, assume mal le fait qu’on lui balance souvent ses origines et son manque de diplômes dans ce monde d’énarques dont fait partie sa compagne, noire aussi, qui aurait préféré se marier à un blanc pour son avancement de carrière.
Ces personnages vont se croiser, s’imbriquer parfois, ils vont tous subir de monstrueuses épreuves dont ils vont avoir peine à se remettre, si toutefois ils s’en remettent. Ils vont entrer dans des paniers de crabes, éprouver leurs forces et leurs faiblesses au contact de leur mise en lumière, voire leur pipolisation. Les chapitres sont courts, on y apprends d’horribles choses concernant la ou les guerres, on s’y vautre auprès des petits marquis de l’Elysée, on s’y noie dans les haines et les trahisons, on y côtoie les atrocités du racisme, les errements de l’amour. Ce n’est pas un livre gai mais c’est très agréable à lire car tout y est concis, parfois ça frôle le schématique, bref on y trouve son compte en suivant l’évolution des destinées des protagonistes. Et l’insouciance dans ton ça ? Pfffuittt, morte, assassinée d’un coup de lame tranchante. La vie doit continuer malgré sa chiennerie, ça ne va pas être de la tarte !
L’insouciance de Karine Tuil chez Gallimard. Rentrée 2016. 524 pages 22 €