Vous qui travaillez, qui mettez entre deux et trois heures à aller chercher ce putain de pognon qui glisse entre vos mains, vous qui , pour des motivations alimentaires, subissez des patrons atrabilaires, des clients patibulaires, des collaborateurs valétudinaires, des coups de blues hebdomadaires, des pulsions démissionnaires, des effets secondaires terribles sur votre sexualité légendaire et votre caractère débonnaire, l’abandon de vos rêves de millionnaire, de vieilles envie de devenir fonctionnaire, des pulsions sanguinaires ou à tout le moins suicidaires…donc, vous, travailleurs, imaginez une seconde et demie que cette thune chèrement gagnée se mette à tomber du ciel, à voler au vent, à s’amonceler sur les trottoirs, et à finir dans des feux de joie, sans que personne ne s’en indigne.
Ça s’imagine mal. C’est pourtant ce que doivent ressentir beaucoup de peuples du sud (comme on dit aujourd’hui) à l’égard de l’eau. Cette eau rare que les femmes vont chercher à des kilomètres de chez elles et qu’elles rapportent dans des seaux sur leur tête, quand il y en a encore dans le puits. Que pensent ces gens qui voient cette eau couler à flot d’un geste de notre main, cette eau qui nous sert à laver des voitures, des sols, nettoyer des caniveaux, remplir des piscines, et finir dans les chiottes, d’un coup de chasse d’eau. Mais jamais dans nos verres, bien qu’éminemment potable. Car cette bonne eau ne l’est pas assez pour nous. Il nous faut du plastique autour, du marketing, du logo, de l’image, du coût. Cette eau du robinet qui ne coûte pas grand chose, elle n’a forcément aucune valeur.
Tout cela, on le sait, et pourtant, en bien ou en mal, le monde ne cessera jamais de m’étonner.
Texte et dessin © dominiquecozette