C’est une frêle personne, Catherine Poulain, mais avec un courage d’acier. Elle a vécu de drôles de choses, a fait de drôles de boulots, en tout cas, a passé dix ans à pêcher avec les foutus marins sur des foutus bateaux en Alaska. Et si vous n’avez jamais vu ces redoutables reportages de pêche dans les conditions extrêmes, où on risque de périr chaque jour en glissant sur un pont chargés de sang et de viscères, d’être emporté par une monstrueuse vague, accroché par un hameçon géant, déséquilibré par un énorme flétan, empoisonné par les épines d’un poison redoutable ou fatigué de n’avoir pas assez dormi, car on ne dort que très peu, d’avoir trop bu ou pris trop de dope, ou tout ça ensemble, vous découvrirez ce que c’est que ce cauchemar auquel les pêcheurs et elle sont accros. Pourquoi ? Parce qu’ils fuient, parce qu’ils ne savent pas faire autre chose, parce qu’ils kiffent la décharge d’adrénaline qui les cuirasse, qu’ils se sont habitués à ce satané corps à corps avec la mort qui les rend insensible à la souffrance, à la crasse, au froid, au danger et qu’ils n’attendent souvent qu’une chose : se bourrer la gueule à mort pour dormir enfin.
Ce premier roman couronné de nombreux prix raconte ce que cette femme insensée a vécu en dix ans. Une héroïne qui refuse d’être considérée comme une demi portion, refuse souffrance, douleur, peur, tout ce qui pourrait l’empêcher de faire comme les hommes qu’elle côtoie. Elle rencontre son double, le grand marin, un homme brisé par la vie qui ressuscite à son contact. Mais l’amour tranquille n’est pas un projet. Coûte que coûte, elle continuera à chevaucher la mer, le retrouvant peut-être au hasard des bateaux qui les emploient.
Formidable bouquin, d’un inconfort total, formidable portrait d’une femme extraordinaire qui sait se faire respecter.
Le grand marin, par Catherine Poulain. 2016 aux Editions de l’Olivier. 374 pages. Existe en poche.
Texte © dominique cozette