Karine Tuil est une très belle femme, très très belle. Ça n’a rien à voir avec son dernier roman, l’invention de nos vies, qui lui n’est pas beau mais complètement ahurissant. Vaste et dense, à l’américaine serais-je tentée de dire, voire à l’ancienne, du temps de la profondeur et de l’analyse. Mais en même temps urgent, haletant, stressant même. C’est un pavé de saisissement, de suspense, de portraits incisifs, de personnages inattendus, de situations instables avec toujours cette impression non fallacieuse de marcher — de voler — au bord du précipice.
Car le précipice est là, et Samir, feignant de l’ignorer, continue à gravir la pente vers les sommets où son intelligence, son talent d’avocat, sa brillance, le mènent.
Né Samir dans une cité, élevé par une mère femme de ménage qui voulait juste qu’il devienne un bon musulman, mais très ambitieux, il réussit ses études, il est le meilleur même sauf qu’au moment de trouver un cabinet, il se heurte à de cuisants refus. La discrimination raciste, croit-il. Par le biais du hasard, devient Sam. Sam Tahar, qui peut aussi vouloir dire qu’il est juif. Sans problème, il est engagé par Pierre Lévy, un très gros cabinet parisien, grimpe les échelons et va monte son cabinet à New-York. Réussite totale puis mariage avec la fille d’un des plus influents industriels, un Juif strict très à cheval sur les principes et les valeurs. Sam vit donc dans l’imposture. Il fait partie de l’élite new-yorkaise et personne ne sait d’où il vient puisqu’il tait sa véritable identité, utilise les éléments de bio de son ex meilleur ami, Samuel. Rien ne doit transpire.
Lors de leurs études communes, Samuel était en couple avec la superbe Nina, tellement superbe que Samir couche avec lorsque Samuel va enterrer ses parents. Il en tombe raide dingue et c’est partagé. Pour la récupérer, Samuel joue avec sa vie et gagne. Fin de ces amitiés. Silence radio. Samir se volatilise.
Jusqu’au jour où Nina tombe sur un portrait du french lawyer tellement successful. Samuel, aigri car ayant raté sa carrière d’écrivain, est scié par le mensonge de l’ex-ami. Pour se venger, il exige de Nina qu’elle joue à un jeu ultra-dangereux dans lequel personne ne peut gagner.
Le roman est très complexe, de nombreux éléments nourrissent sa trame. Le héros ne rien fait pour simplifier les choses. Jouisseur, sûr le lui, arrogant et séducteur, il saute sur tout ce qui bouge, fait des tas de compromis avec la réalité, coupe pratiquement les ponts avec sa famille dont un demi-frère incontrôlable. Quand on sait qu’aux Etats Unis le mensonge est un crime, on s’attend au pire. Sauf que le pire n’est rien au regard de ce qui va sa passer. Ses origines arabes, ses aventures, ses liens, comment pourra-t-il organiser sa défense ?
Un des meilleurs romans que j’aie jamais lus. Aucune baisse de rythme, aucun répit, aucun repos, il vous absorbe totalement, la langue pendante, le coeur battant, les sens affûtés. Un livre totalement emballant, à lire absolument !
Vous pouvez voir une interview de Karine Tuil lors de son passage au 7/9 d’Inter. Et son site.
L’invention de nos vies de Karine Tuil, 2013, aux éditions Grasset. 492 pages, 20,90 euros.
Sur la liste de différents prix dont le Femina, l’Interallié et le Goncourt.
Texte © dominique Cozette