La décision, le dernier Tuil

Le roman tout juste sorti de Karine Tuil, la Décision, nous fait entrer dans un univers pas si lointain de celui de Les Choses Humaines, son précédent qui traitait du consentement lors d’un prétendu viol disséqué dans un tribunal, et mis en scène par Yvan Attal. Ici, nous somme encore dans le judiciaire, mais dans l’aile ultra-sécurisée du Palais de Justice qui abrite les procès des terroristes. L’héroïne du livre, Alma, est juge d’instruction antiterroriste, un métier extrêmement dangereux, stressant, passionnant. Elle doit juger du sort d’Abdeldjalil Kacem, un très jeune homme qui a épousé une très jeune musulmane, maintenant enceinte de son bébé, qui affirme qu’ils sont partis en Syrie pour lutter contre la guerre, en toute naïveté, sans rien connaître des exactions commises par Etat Islamique. Des extraits de ses interrogatoires émaillent le récit, car il est incarcéré, et il ne demande qu’à ce qu’on croie en sa sincérité quand il repousse toute assimilation à un quelconque terrorisme.
Alma est troublée par l’opinion de l’homme dont elle est tombée follement amoureuse, l’avocat du jeune homme, ce qui créé un conflit d’intérêt interdit par l’éthique et la profession. Elle est en instance de divorce d’avec un écrivain à la ramasse, aigri, qui a connu trop tôt un succès fulgurant et se  raccroche à sa judéité comme à une bouée. Même si elle manque de temps vu la charge de sa profession, elle s’efforce de ménager leurs trois enfants, deux jumeaux ados et une aînée qui vit avec un Arabe, ce qui n’arrange évidemment pas l’ambiance générale.
La décision, titre du livre, est celle qu’elle devra prendre, dont elle se sait seule responsable au finish, concernant la remise en liberté du jeune homme dont certains pensent qu’il est sincère et réinsérable, et d’autres qu’il joue un rôle pour mieux concocter un attentat une fois libre. Enorme enjeu.
Pendant ce procès, elle se fait agresser sauvagement, ça la choque bien qu’elle soit habituée aux menaces de mort et autres violences verbales qui justifient une protection policière non-stop.
A cette décision essentielle se greffe la décision personnelle de vivre son amour, de se battre pour lui, même si cet homme est épris de liberté, pas toujours fiable ou fidèle et qu’il fait équipe avec son ex-femme professionnellement collée à lui, intransigeante, et d’un autre bord qu’Alma.
Ce que j’aime avec les livres de Karine Tuil, c’est qu’elle nous introduit avec précision dans des mondes très fermés, impénétrables. Ici, elle décrit la dureté de  cette profession qui rend presque impossible une vie normale, saine, confiante… elle montre l’implication totale de personnes en charge de défis très lourds, elle  tente de comprendre et de nous faire comprendre l’inhumanité de certains êtres, analyse la difficulté des juges et avocats à devoir trancher en leur âme et conscience, sans plus de preuve ou de convictions : vaut-il mieux libérer un possible coupable extrêmement dangereux pour la société, le considérer comme un innocent à qui donner une seconde chance, ou encore continuer à contraindre un jeune homme victime de sa naïveté en le maintenant en prison où il sera alors radicalisée et encore plus dangereux pour la société.
Ceci n’est que le début d’une histoire qui va se poursuivre avec des rebondissements tragiques, ou pas, des embrasements, un suspense éprouvant… Puissant !

La Décision par Karine Tuil, 2022 aux éditions Gallimard. 300 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

 

 

Le nouveau Karine Tuil, waouh…

Les derniers romains de Karine Tuil, L’Insouciance et L’Invention de nos vies, m’ont secouée à un point tel que je me suis ruée sur celui-ci,  les Choses humaines. Ses titres sont toujours assez vagues, va savoir de quoi ça parle. Le point commun c’est que ce dont ça parle est extrêmement documenté, on s’y croit et on en apprend beaucoup. Ici, il s’agit d’une histoire de viol, ou pas, qui va déchirer la vie de plusieurs personnes dont la réussite n’était plus à faire. Le puissant Jean Farel, venu de rien et étant le journaliste politique le plus aimé, le plus coté, a eu un fils adoré mais qu’il n’a pas très bien traité, avec une femme plus jeune, Claire, essayiste féministe. Leur couple marche bien parce que chacun y mène sa vie à sa guise. Jean en aime une autre depuis longtemps ce qui n’empêche pas des aventures avec les jeunes et jolies, et Claire s’en fiche, jusqu’à ce qu’elle tombe en amour avec un prof au chômage, juif, marié à une juive extrêmement rigoureuse qui élève leurs deux filles selon des principes hyper stricts. L’amour physique et l’attirance fait que Claire et Adam quittent leurs conjoints pour vivre ensemble. Le grand fils de Claire et Jean, Alexandre, fait de très brillantes études à la prestigieuse université de Stanford, Californie, il est promis à un avenir incroyable.
Mais un soir, Mila la juive pudique et Alexandre venu à Paris pour assister à la remise de la Légion d’Honneur de son père, sont plus ou moins obligés de se rendre ensemble à une grande fête estudiantine snob de fils et filles de… , un milieu que Mila ignore. Une sorte de bizutage a lieu et Alexandre y prend part, un peu contre son gré, pour faire comme tout le monde. L’épreuve, une relation sexuelle avec retour de la petite culotte, se fera sur Mila qu’il aura incitée à boire et à fumer… Tandis qu’ailleurs, le père, grisé, se sera laissé aller à coucher avec sa très jeune stagiaire, grande fan de lui,  qui disparaît ensuite.
Au matin, la police a envahi l’appartement de Jean pour une perquisition. Mais qui a violé qui ? Et y a-t-il eu vraiment viol ? Tout le corps du livre est consacré à la recherche de la vérité sous forme d’interrogatoires très précis, très dérangeants, nous emmenant jusqu’au procès deux ans plus tard. Les protagonistes de cette histoire sont essorés, leurs carrières menacées ou liquidées, leurs amours saccagées… C’est vertigineux, addictif, violent. Tout le monde n’est ni tout blanc ni tout noir, on en arrive à se poser la question : qu’est-ce réellement qu’un viol, précisément, chacun des deux contributeurs exposant sa version qui n’est évidemment pas celle de l’autre, et si les deux sont de bonne fois, existe-t-il réellement un coupable et une  victime, les nuances de gris ne sont pas assez nettes pour en définir les contours.
Livre palpitant et qui interroge sur les relations sexuelles, la frontière entre ce qu’on peut et ce qu’on ne doit pas faire, la responsabilité de ce qu’on nomme aujourd’hui la culture du viol où l’homme se doit (se devait) d’être un conquérant fier et viril. Passionnant.
Ici, Karine Tuil parle de son livre.

Les Choses humaines par Karine Tuil, 2019 aux éditions Gallimard. 346 pages, 21 €

Texte © dominique cozette

Karine Tuil, reine du suspense…

Karine Tuil est une très belle femme, très très belle. Ça n’a rien à voir avec son dernier roman, l’invention de nos vies, qui lui n’est pas beau mais complètement ahurissant. Vaste et dense, à l’américaine serais-je tentée de dire, voire à l’ancienne, du temps de la profondeur et de l’analyse. Mais en même temps urgent, haletant, stressant même. C’est un pavé de saisissement, de suspense, de portraits incisifs, de personnages inattendus, de situations instables avec toujours cette impression non fallacieuse de marcher — de voler — au bord du précipice.
Car le précipice est là, et Samir, feignant de l’ignorer, continue à gravir la pente vers les sommets où son intelligence, son talent d’avocat, sa brillance, le mènent.
Né Samir dans une cité, élevé par une mère femme de ménage qui voulait juste qu’il devienne un bon musulman, mais très ambitieux, il réussit ses études, il est le meilleur même sauf qu’au moment de trouver un cabinet, il se heurte à de cuisants refus. La discrimination raciste, croit-il. Par le biais du hasard, devient Sam. Sam Tahar, qui peut aussi vouloir dire qu’il est juif. Sans problème, il est engagé par Pierre Lévy, un très gros cabinet parisien, grimpe les échelons et va monte son cabinet à New-York. Réussite totale puis mariage avec la fille d’un des plus influents industriels, un Juif strict très à cheval sur les principes et les valeurs. Sam vit donc dans l’imposture. Il fait partie de l’élite new-yorkaise et personne ne sait d’où il vient puisqu’il tait sa véritable identité, utilise les éléments de bio de son ex meilleur ami, Samuel. Rien ne doit transpire.
Lors de leurs études communes, Samuel était en couple avec la superbe Nina, tellement superbe que Samir couche avec lorsque Samuel va enterrer ses parents. Il en tombe raide dingue et c’est partagé. Pour la récupérer, Samuel  joue avec sa vie et gagne. Fin de ces amitiés. Silence radio. Samir se volatilise.
Jusqu’au jour où Nina tombe sur un portrait du french lawyer tellement successful. Samuel, aigri car ayant raté sa carrière d’écrivain, est scié par le mensonge de l’ex-ami. Pour se venger, il exige de Nina qu’elle joue à un jeu ultra-dangereux dans lequel personne ne peut gagner.
Le roman est très complexe, de nombreux éléments nourrissent sa trame. Le héros ne rien fait pour simplifier les choses. Jouisseur, sûr le lui, arrogant et séducteur, il saute sur tout ce qui bouge, fait des tas de compromis avec la réalité, coupe pratiquement les ponts avec sa famille dont un demi-frère incontrôlable. Quand on sait qu’aux Etats Unis le mensonge est un crime, on s’attend au pire. Sauf que le pire n’est rien au regard de ce qui va sa passer. Ses origines arabes, ses aventures, ses liens, comment pourra-t-il organiser sa défense ?
Un des meilleurs romans que j’aie jamais lus. Aucune baisse de rythme, aucun répit, aucun repos, il vous absorbe totalement, la langue pendante, le coeur battant, les sens affûtés. Un livre totalement emballant, à lire absolument !
Vous pouvez voir une interview de Karine Tuil lors de son passage au 7/9 d’Inter. Et son site.

L’invention de nos vies de Karine Tuil, 2013, aux éditions Grasset. 492 pages, 20,90 euros.
Sur la liste de différents prix dont le Femina, l’Interallié et le Goncourt.

Texte © dominique Cozette

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