la fin mystérieuse d'un père

J’avais été bouleversée par le très beau « mélodrame » (c’est l’auteur, Pierric Bailly, qui le dit) sorti récemment, le Roman de Jim (voir ici mon billet). Et l’émission qui me l’avait révélé tressait des lauriers à son livre précédent sur son père. La mort de son père, un récit intitulé l’Homme des Bois parce que tel était son père, entre autres dénominations. Le décor est sensiblement le même que celui de Jim, et pour cause, c’est la vie de l’auteur, avec descriptions pointues des lieux, des gens, des objets.
Son père était un homme honnête qui se dévalorisait tout le temps car il trouvait que sa vie n’était pas à la hauteur de ses rêves, de ses idéaux. C’était un homme engagé, inscrit dans des mouvements associatifs, désirant s’élever mais n’ayant pas réussi à quitter son Jura natal, même si, à la fin, il s’est hissé au grade d’infirmier dans un centre de toxicos. Pudique et secret et, bizarrement, se liant extrêmement facilement, recherchant toutes occasions de rencontrer les autres, de partager, d’apprendre. Il fallait voir le nombre de gens venus à son enterrement. Il faut dire que sa mort faisait la une du journal local : on avait retrouvé son corps dans la forêt qu’il connaissait comme sa poche. Il était resté là trois jours, ayant glissé et s’étant fracassé sur la pierre.
Son fils n’a jamais pu élucider le mystère : son père avec des chaussures de ville, glissant d’un rocher de trois mètres… Alors il fait et refait le trajet, et lorsqu’il apprend que le corps a été déplacé de quelques mètres après la chute, il croit comprendre qu’il est alors tombé de la haute falaise. Mais alors, s’est-il suicidé, est-il mort juste après avoir tenté de se relever, a-t-il souffert, si oui, longtemps ? La police n’ayant demandé ni enquête ni autopsie, a juste conclu à une mort accidentelle.
C’est alors que le fils rencontre son père : dans tout ce qu’il a laissé dans son petit appartement d’une HLM : des méthodes ou inscriptions pour apprendre des tas de langues, pour s’initier au tarot divinatoire, à la chiromancie, à la philo, à la vie des Indiens, au jazz. Il a suivi des cours sur les animaux, l’astrologie, les plantes, il a fait des herbiers. Il s’est abonné à des revues littéraires, médicales, musicales dont il recopiait des articles à la main pour les archiver dans des classeurs. Côté professionnel, il s’est formé par correspondance à la naturopathie, la diététique, la phytothérapie, l’ethnomédecine, la PNL … Il a obtenu toutes sortes de diplômes et de certifs. Il assistait à toutes sortes de conférences, la liste est ésotérique, il prenait de nombreuses notes dans des cahiers, il participait aux concerts, festivals, théâtre de rue, manifestations écolo, solidaires, cirque… Il n’arrêtait pas. Sa mémoire, hélas, ne suivait pas. Il oubliait au fur et à mesure.
Quant à sa vie amoureuse, après avoir été larguée par sa femme à cause de son caractère colérique (qu’il refusait d’admettre), il a fait une collectionnite aiguë de Catherine, Sylvie, Françoise, Anna-Marie etc.
Bref, son fils découvre peu à peu toutes ses facettes, tranquillement, rien ne presse pour liquider ses affaires et nous suivons avec lui ce chemin entre l’amour, le chagrin, la perte, le devoir de mémoire. Et celui de lui offrir un départ digne de lui.
C’est joli, c’est poignant, c’est chaleureux, c’est un petit livre qui ne fait pas que l’apologie d’un père mais sait aussi le fustiger pour ses failles et ses manquements.

l’Homme des Bois de Pierric Bailly, 2017. Aux éditions Folio. 128 pages.

Texte © dominique cozette

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