Des vaches à lait

Ma femme

Ça y est. Il ont réussi à me responsabiliser. Plus. A me culpabiliser. Ils, les medias, les politiques, les scientifiques. Je vis, donc j’abîme, je pollue, je salis, je fous une énorme empreinte écolo sur cette pauvre terre malade de ses presque sept milliards d’êtres humains sans compter les non-humains. En versant mon nuage de lait, l’autre jour, dans mon thé, j’ai pensé : putain ! qu’est-ce que ça doit abîmer la planète de fabriquer cet emballage, tous ces produits chimiques pour l’empêcher de ramollir, de fuir, de pourrir etc. Un emballage en carton pour un lait UHT. Et dans la foulée, j’ai pensée aux usines à produire les emballages, aux autres usines à fabriquer les outils pour les matières premières puis à toutes ces usines à gaz que sont les circuits de production, distribution, consommation, gestion etc… pour faire vivre les employés de ces usines. Sans parler du lait lui-même, de son procédé UHT, de son acheminement jusque chez moi.
Comme j’ai beaucoup de terrain puisque j’habite à la campagne, j’ai dit à ma femme :
– ce serait quand même plus simple d’acheter une vache.
Nos quatre enfants (oui, je sais, c’est mal, d’avoir quatre enfants) ont sauté de joie mais le plus grand d’à peine neuf ans a temporisé :
– Mais, c’est pas mieux, une vache, ça produit tellement de méthane en rotant…
Les trois petits pouffent à cette nouvelle et ma femme, toujours aussi con (mais c’est pour ça que je l’aime, je n’aime pas les femmes intelligentes) :
– Ça rote ? Ah, bon,  je croyais que ça pétait ! (fous rires des petits)
– Réfléchis maman ! (Quand on dit « réfléchis » à ma femme, elle pose ce qu’elle a dans la main, essuie ses mains sur son tablier et  croise ses bras sur ses seins généreux) dit l’ainé, les vaches rotent parce qu’elles ruminent. Ça fait entrer de l’air qui…
– Oui, bon, ça va, le coupè-je, ce petit prétentieux de futur scientifique de mes deux qui a réussi à nous faire installer des toilettes sèches à l’âge de six ans, un système de récupération d’eau de pluie à sept et qui commence à me les brouter. Sans jeux de mots. Que préconises-tu, monsieur je-sais-tout ?
– On peut réfléchir à des moyens d’élever proprement des mammifères non ruminants et d’utiliser leur lait. Y en a plein, les équidés, les canidés, les rongeurs, j’sais pas…
–  Et c’est toi qui va traire les souris tous les matins ?
– Ben non, mais ça n’empêche pas de réfléchir.
– j’ai une idée ! dit ma femme (dont les idées servent le plus souvent à caler le pied de la table de jardin) : on naka (c’est comme ça qu’elle imagine ce mot) acheter du lait concentré Nestlé ! Non ?
Alors j’ai pensé qu’au stade où l’humanité était rendue, il ne serait pas mal qu’un labo se penche sur l’élaboration d’un remède contre la culpabilité.  Si on n’a pas envie de se droguer, se souler ou se faire endoctriner, je ne vois que ça pour continuer à vivre avec un relatif plaisir.

Texte et dessin © dominiquecozette

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