Dernière sommation de David Dufresne est un roman. Mais c’est le roman de ce que nous avons vécu depuis le début des Gilets Jaunes et des ronds-points. Le narrateur, Etienne Dardel (qui a emprunté beaucoup à son auteur) est un lanceur d’alerte. Il a quitté le journalisme complaisant depuis « le meurtre de Malik Oussekine« , un traumatisme pour lui, pour se refaire une santé mentale au Canada et il revient en pleine insurrection sociale. Son ADN pro ne fait qu’un tour : face aux premières violences policières dont il ne sait pas encore qu’elles vont s’intensifier, il filme tout, il poste tout. Il a ouvert un compte pour cela. Bien sûr, il devient une tête de turc de la police et du pouvoir mais rien ne l’arrête, tant le nombre de blessures le hante, les yeux crevés, les mains arrachées, les trous provoqués par les LBD, le matraquage, l’arrestation de manifestants pacifiques etc.
Il ne reconnaît plus la France et cette police qui ose tout et le dénie, ce pouvoir qui réfute le terme de violence policière, et toutes les bavures adjacentes. L’auteur, David Dufresne, journaliste indépendant, a signalé au total 860 cas de brutalités et de manquements à la déontologie policière sur son compte Twitter en interpellant le ministère de l’Intérieur via son célèbre et provocateur « Allô, @place_beauvau, c’est pour un signalement ». Il a repris cette forme d’action dans son roman.
Les péripéties du héros, ses rencontres clandestines avec un flic de pouvoir, sont entrecoupées de chapitres qui donnent la parole à d’autres protagonistes : une militante à la main arrachée devant l’Assemblée Nationale, sa mère qui fait les ronds-points dans le Tarn et passe du PS au RN, le directeur de l’ex-quai des orfèvres, le Préfet de Paris. On y croise d’autres personnages, on y entend parler des flics énervés, des gardes du corps incontrôlables, des éditorialistes compromis, et des choses que personne n’a dites clairement mais dont tout le monde sait qu’elles existent : « ni consigne ni ordre, juste un climat« , « pour un de touché (par un tir de LBD), mille qui désertent » (les manifs). On y entend aussi Castaner, on se souvient du jeune Steve « tombé » dans la Loire pendant la fête de la musique. Defresne évoque la formation du BRAV, aka Brigades de Répression de l’Action Violente, sorte de refonte des voltigeurs, flics à moto qui frappent et s’enfuient sous couvert d’être des anti-casseurs.
David Dufresne sait de quoi il parle. Si c’est son premier roman, c’est son énième livre, écrit comme un journal, au jour le jour, alimenté par tout ce qu’il filme, haletant. Formidable !
Dernière sommation de David Dufresne, 2019 aux éditions Grasset. 228 pages – 18€
Texte © dominique cozette