Le malheur des épouses

Les Impatientes de Djaïli Amamdou Amal a reçu, entre autres récompenses, le prix Goncourt des lycéens 2020, c’est un très bon baromètre qui révèle toujours d’excellents ouvrages. C’est le cas ici avec ce roman, sorte de document qui décrit le malheur de beaucoup de femmes du Sahel, élevées dans la tradition du respect absolu de l’homme, qu’il soit époux, oncle ou père. Une fille ne décide de rien. Si un de ses oncles a besoin de s’allier à une famille de commerçants pour faire ses affaires, il donne sa nièce à l’homme qui la réclame. Peu importe l’âge, le physique, la moralité de l’homme, la jeune fille lui doit obéissance quoiqu’il arrive. Ici, la polygamie y est banale, les familles sont sans cesse ramifiées par l’arrivée de co-épouses jeunes qui vont elles aussi procréer. De ce fait, les enfants ont des dizaines de cousins et cousines qu’ils peuvent épouser.
Dans ce livre, l’autrice qui fut mariée de force à 17 ans, répudiée et remariée, sait de quoi elle parle. Dans le livre de fiction, elle conte le sort de trois femmes proches.
Ramla a dix-sept ans, elle est amoureuse d’un ami de son frère et c’est réciproque, ils savent qu’ils vivront ensemble. Sa famille est d’accord. Mais voilà qu’un riche négociant, monogame convaincu et marié, est tombé fou amoureux d’elle en la voyant et l’a demandé en mariage. C’est un tellement beau parti qu’il serait fou de le refuser. Mais l’homme de cinquante ans, aussi riche soit-il, dégoûte la jeune fille. Elle sera cependant obligée de se soumettre et d’entrer dans la vie de cet homme en qualité de seconde épouse.
Ça se passera très mal avec la première épouse, Safira, qui a vécu confortablement une vingtaine d’année avec cet homme aimant qui a su la couvrir de cadeaux et l’emmener parfois en voyage. Safira ne supporte pas l’idée d’être supplantée dans le cœur de son époux, ne tolère pas que ses enfants, dont la fille aînée est plus âgée que Ramla, puissent un jour être spoliés de l’héritage à cause d’autres enfants. Elle est tellement malheureuse qu’elle en devient haineuse, cruelle, et fera tout pour éliminer la rivale. On découvre ici l’importance des marabouts et des remèdes magiques, des sorts jetés aux ennemis, de tout ce qui se trame pour obtenir ce qu’on veut.
La troisième,Hindou, est la demi-sœur de Ramla, elle aussi était amoureuse d’un garçon de son âge quand son oncle et son père l’ont poussée de force dans les bras du cousin le plus toxique de la famille. Il est jeune mais c’est un voyou qui fume, boit, se drogue et passe toutes ses nuits dehors. Incapable de travailler, rebelle et violent. Le mariage a lieu en même temps que celui de Ramla. La première nuit, la nuit de noce, est une épreuve terrible pour la jeune fille. Comme elle avait refusé ses avances, il se venge cruellement, il la frappe, la violente, la viole, la dézingue. Dans cette société, personne de lui sera d’aucun secours car ça ne se fait pas de se refuser à son mari. Elle a semé la honte en criant toute la nuit et ses blessures qui la contraignent à aller à l’hôpital n’émeuvent personne. Comme toutes les femmes musulmanes, elle doit faire preuve de patience. Patience est le conseil le plus courant qu’on leur assène au moindre problème comme au plus grave. Elle ne s’y fera pas, sera de plus malheureuse, son mari l’humiliera et continuera à la maltraiter, à tel point que sa grossesse et son bébé ne lui seront d’aucun réconfort. Elle sombre dans la léthargie.
Très émouvantes descriptions et analyses de ces vies de soumission vécues par des êtres qu’on infériorise, sans aucun droit sauf celui de la fermer. Si je puis dire.

Les Impatientes de Djaïli Amamdou Amal, 2020 aux éditions Emmanuelle Collas. 250 pages, 17 €.

Texte © dominique cozette

 

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