Celle qui s'enfuyait, sacré thriller !

D’un côté, il y a  Phyllis Marie Mervil. Elle a une soixantaine d’années, est afro-américaine, installée du côté des Cévennes dans une maison totalement isolée, seule, avec son chien qui s’appelle Douze cette année car il a douze ans. Elle parle très bien le français, l’écrit même puisqu’elle est autrice à succès sous deux pseudos qu’elle utilise alternativement. Son éditeur avec qui elle entretient des relations chaleureuses protège l’anonymat qu’elle réclame. Pas de photos, peu de séances de signatures ou très peu, pas de paroles en public. Pourquoi cette discrétion voulue ?
Parce que de l’autre côté, il y a un homme qui la pourchasse depuis longtemps. Elle le sait, pense qu’il s’agit du FBI puisqu’elle a été condamnée par contumace pour des faits politiques, un petit groupuscule foireux auquel elle appartenait et dont elle est une rare survivante. Nous, lecteurs, on a été briefés : le poursuivant est un Italo-américain, frère d’une jeune femme appartenant au même groupuscule. Ce qui n’explique rien.
Philippe Lafitte tisse joliment un portrait détaillé, palpable, de son héroïne et de son emploi du temps. Tous les jours, Phyllis se lève à trois heures du matin, écrit durant trois heures puis part courir longuement sur le Causse avec son chien. Parfois, très rarement, elle se rend à la ville et y retrouve son amant occasionnel. Il est fasciné par cette femme mais elle refuse de s’installer chez lui, en ville.
Un matin, affûté, sûr de son coup, le poursuivant aura le chien mais pas elle. Ratage qu’il doit réparer au plus vite face aux exigences de la vieille Antonella, l’ancêtre de leur famille, celle qui a su construire avec son mari un petit empire à New-York.  Sur la causse, un homme du cru aura été vaguement témoin de l’affaire. Il aura relevé le numéro de la voiture, en fait part à Phyllis qui refuse de le noter.
Nous apprendrons au compte-gouttes — par le biais de carnets intimes que l’héroïne consent à relire pour éventuellement en faire le roman de sa vie — le pourquoi de cette poursuite acharnée, nous savons qu’il se trouve à la fin du livre sans pouvoir deviner ce qu’il va arriver. C’est tout le talent de l’auteur de nous envoyer des indices ici et là comme des clés à l’intrigue.
Thriller très finement mené, personnages forts et attachants, décors savamment peints, tout contribue au plaisir de voir se dérouler une histoire originale qui saute de la nature rugueuse et sauvage des causses à l’agitation d’une certaine jeunesse américaine des années 70.

Celle qui s’enfuyait de Philipe Lafitte, 2018 aux éditions Grasset. 216 pages, 18 €. Et en prime, la discographie du récit.

Texte © dominique cozette

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