L'énorme bûche de Ken Kesey

Suite de ma plongée dans les 60’s où je vous reparle de Ken Kesey, le protagoniste « joyeux luron » (Merry Pranksters) du bus psychédélique (voir mon article sur Acid test de Tom Wolfe). Avant de faire ce trip bourré de came, Ken Kesey avait déjà écrit Vol au-dessus d’un nid de coucou avec le succès que l’on sait et ce mahousse roman Et quelquefois j’ai comme une grande idée, son meilleur selon lui.
C’est un engin énorme, lourd, dense, foisonnant mais pas du tout dans la veine hallucinatoire, bien que quelques passages écrits sous champignons bizarres. C’est une terrible épopée dans le noyau dur des bûcherons de l’Oregon qui se battent jour et nuit contre les éléments, les pluies diluviennes, la marée qui remonte le courant du fleuve, le froid, le relief pentu, les accidents de travail pour vendre leurs grumes, autrement dit les arbres qu’ils débitent dans cet Oregon quelque peu inhospitalier.
En scène une famille de mecs ultra burnés —  où un doigt tranché est aussi insignifiant qu’une piqûre de libellule  — qui résiste au puissant syndicat et à ses appels à la grève. Dans ce lieu trou-du-cul-du-mondesque  où les caractères les plus trempés (c’est le cas de le dire) se défient à mort, on va assister à l’affrontement de deux frangins, demi-frères, l’un une vraie brute de décoffrage, fort comme trois Turcs et l’autre, un étudiant de la ville sans cals aux mains, revenu au pays pour filer son aide. Officiellement. En fait pour dézinguer son frère après ce qu’il lui a fait jadis. Et pas que jadis. De la grosse merde, quoi. Et qui, malgré sa délicatesse d’intello, va se révéler opiniâtre et barjot.
Autour de cette famille (où vivent d’autres figures mémorables dont la femme du premier, jolie, non soumise, intello aussi) gravite un monde de brutes, de femmes larguées, de types starbés, qui se retrouvent dans le bar local pour se mettre minables et se foutre des danses.
Le vieux père des frères, sorte de Kirk Douglas recousu de partout, fort en gueule, n’est pas encore fini. D’ailleurs, le livre ouvre sur son bras arraché suspendu à une corde, faisant un doigt d’honneur à la communauté. On saura pourquoi.
C’est un roman sylvestre, tronc, écorce, engins qui pètent, os broyés, sang qui gicle mais aussi extraits de chanson du cru (des années 50 souvent),  poésie, citations de shakespeare ma chère ! et une ribambelle de noms d’oiseaux, de petites bêtes, de végétaux dont je ne suis pas sûre d’avoir entendu parler. Du Jim Harrisson puissance x.

Donc un bouquin énorme, formidable, lourd (1200 g. je l’ai pesé) dans les deux sens du terme, bourré de mousses (lichen et bibine), d’odeurs de terre, de flotte, de  maisons emportées par des ruptures de berges.  Il paraît qu’un film en a été tiré, faut voir…
L’éditeur, Monsieur Toussaint l’Ouverture, en a bavé. Si vous voulez savoir pourquoi, lisez cet article de Libé ici. Pareil pour le traducteur ! Et le lecteur n’est pas en reste car il y a très souvent des enchaînements non signalés d’un personnage à l’autre, des « je » qui se suivent dans des bouches différentes. Kesey nous aide parfois en ajoutant des parenthèses ou en mettant des italiques. Mais ce n’est pas la règle générale. Idem pour les glissements d’époques, comme dans les rêves où l’hier et l’aujourd’hui se fondent. Mais on s’en sort !
Bref, un travail de titan, un monstre de littérature.

Et quelquefois j’ai comme une grande idée, de Ken Kesey chez Monsieur Toussaint l’Ouverture. Edité en 64 sous le titre Sometimes a Great Notion, et en 2013 en France, traduit par Antoine Cazé, couverture réalisée par Blexbolex. 800 pages, 160 mm sur 235 sur 40 mm d’épaisseur. 24,50 euros.

Texte © dominique cozette

Dans la famille beat generation, je demande le bus…

Sur ma lancée des années beat qui se transforment peu à peu en années hippies, je continue avec cette histoire hallucinigène du bus des Merry Pranskers. Quel rapport ? Cassady, toujours. L’inénarrable Neal Cassady  que l’on retrouve au volant de cet improbable moyen de locomotion. Mais que fait-il là ? Le con, comme d’hab. Et puis il conduit, sans les mains, sans les yeux, sans les pieds. Comme tout le monde est camé à l’intérieur, ça baigne.
C’est Babbs et Ken Kesey, vous savez, celui qui a écrit le formidable vol au-dessus d’un nid de coucou qui a eu cette idée, après avoir expérimenté diverses drogues et constaté que le LSD, tout nouveau, ouvre l’esprit complètement. Quoi de mieux que de le faire savoir à tout un chacun ? Voilà le pourquoi de ce bus scolaire qu’il a racheté et, avec toute sa bande de farfelus explosifs, relooké aux couleurs psychédéliques et fluos des amateurs de champignons. Avec des aménagements insensés, toit ouvert pour y mettre l’orchestre, principalement les Grateful Dead, son hyper sophistiqué pour tout entendre, faire entendre partout, avec écho etc…, lumières, caméras (un film de 40 h. a été tourné). Le convoi s’ébranle pour semer la pagaille avec ses shows d’acid test un peu partout où chaque volontaire reçoit un diplôme.

Celui qui raconte cette folie, c’est le journaliste et romancier Tom Wolfe (le bûcher des vanités) qui fait accessoirement partie de la troupe, qui s’est aidé des films, des écrits, des enregistrements et témoignages des nombreux participants. Je ne dis pas que c’est facile à lire à moins (peut-être) d’être stone soi-même tant l’écriture est parfois confuse et allumée.
Néanmoins, cette épopée où les Merry Pranksters (joyeux lurons) ont rallié les terribles et impitoyables Hell Angels à leur cause ainsi que bien des populations, est assez rigolote. C’est quand même toute cette équipe qui a lancé le mouvement hippy et le graphisme psychédélique.
Pour échapper à ses condamnations pour usage de marijuana, Ken Kesey a dû se suicider avant de s’enfuir au Mexique pour retrouver le bus et continuer les tournées. L’histoire du suicide raté est à tomber. Comme son retour clandestin. Puis tout ça finira en Californie pour cause de flicage et peut-être d’usure normale.
Cassady, pour en revenir à lui, passe son temps à jongler avec un marteau, une masse de 2 kg qu’il lance et rattrape sans regarder, à longueur de temps, comme on mâche un chewing-gum. Outre sa conduite complètement délétère. Et ses excès de substances que le bus fournit en abondance. Document très intéressant. Enfin pour moi.
Au fait, quelqu’un a-t-il lu l’autre livre de Kesey Et quelquefois j’ai comme une grande idée, pavé de 800 pages paru en France récemment ?

texte © dominique cozette

Acid test par Tom Wolfe écrit en 68. Traduit par Daniel Mauroc en 78. Dans la collection Points. 534 pages, 8,30 €

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter