Vol au-dessus d'un livre

Je tournais et retournais devant Vol au-dessus d’un nid de coucou, le livre, qui me tendait les bras depuis différentes tables de différentes librairies. A l’occasion du centenaire de la naissance de Jack Kerouac, probablement. Pourquoi ne l’achetai-je point ? Parce que je connaissais tellement le film joué divinement et magistralement par Jack Nicholson que je craignais de ne rien découvrir de plus. Pourquoi en avais-je envie, alors ? Parce que Ken Kesey est un monstre de la littérature de l’époque beat, un monstre aussi de rigolade et de vivacité, un bouffeur de vie, un excessif total avec ce bus qu’il a créé pour prôner l’usage du LSD, soutenu par tout une bande de cinglés dont Cassady, je ne vais pas tout vous redire, c’est dans mon blog, vous tapez Ken Kesey et il y a tout ce qui le concerne. Notamment, son pavé J’ai quelquefois comme une grande idée (voir mon article)
Finalement, j’ai craqué, c’est un Poche, ça ne va pas me ruiner.
Alors oui, le film de Milos Forman est tellement bien adapté qu’il n’y a pas vraiment de surprise à lire le livre. Sauf que. Sauf que déjà c’est de la super bonne littérature, bien moins déjantée que l’autre livre. Là, ce sont les personnages qui le sont, dans cet asile rigide régi par une infirmière impitoyable, ex de l’armée, d’où son autoritarisme sans faille qui fait régner la terreur sur tous, même les médecins qui n’osent pas s’opposer à ses décisions.
On y retrouve McMurphy, celui joué par Nicholson, sauf que j’ai eu du mal à l’ajuster car ici il est roux/rouge, velu, bouclé. Il réussit à se fait admettre dans cet établissement pour échapper à la prison et aux travaux agricoles, se faisant passer pour inadapté. L’indien immense qui fait semblant d’être sourd-muet pour avoir la paix. Et l’infirmière, moins sexy que dans le film, la cinquantaine rigide aux énormes seins. Et tout le petit monde des fous et des soignants dans cet univers oppressif où les punitions vont de l’électro-choc à la lobotomie pour les plus rétifs.
Malgré tout, j’ai poursuivi la lecture jusqu’au bout car il y a beaucoup plus de détails et d’informations que dans le film sur les soins, les traitements, le règlement, les brimades. Et puis je voulais revoir comment le héros s’y prend pour tenter de redonner confiance et dignité aux prisonniers, revivre ses bras de fer avec la matonne, l’épisode complètement foutraque de la pêche au saumon et tout ça m’a bien tenue. Et je voulais savoir si c’était la même fin.
Roman super intéressant sur la façon dont étaient traités (et hélas, le sont encore) les malades mentaux dans les années 60. Petit plus : plein de croquis de personnages par l’auteur au fil des pages.

Vol au-dessus d’un nid de coucou de Ken Kesey. (One flew over the cuckoo’s nest, 1962.) Traduit par Michel Deutsch et révisé par Virginie Buhl. Edité au Livre de Poche. 476 pages. 8,40 €

Texte © dominique cozette

Dans la famille beat generation, je demande la toute jeune LuAnne

Dans le livre Sur la route de Jack Kerouac, Marylou (de son vrai nom LuAnne dans l’édition rétablie et plus récente du rouleau voir ici ) est une très jeune fille de seize ans, en fait l’épouse toute fraîche de Neal Cassady qui l’a connue dans leur ville de Denver. Lui a eu une enfance malheureuse puis une adolescence auprès d’un père alcoolique vivant dans des squatts. Il a appris à voler, il fallait bien manger, a fait de la prison mais est tombé amoureux des livres. C’est un feu follet, toujours en mouvement, toujours sur des plans, des idées plus ou moins recommandables, des projets de fuite ici et là. Folle de lui, LuAnne le suit à New-York où ils rencontreront Kerouac et d’autres principaux acteurs de la Beat Generation, Allen Ginsberg par exemple.
L’auteur de ce « roman » , Jean-François Duval, est un cinglé de cette épopée et il sillonne depuis des années les Etats-Unis pour en retrouver toutes les traces, tous les personnages, tous les lieux. Il a écrit plusieurs livres sur le sujet et celui-ci est directement issu de sa rencontre avec LuAnne en 97 (je crois), décédée en 2007. Je ne sais pas pourquoi ce livre paraît si tard.
Le style du livre est extrêmement vivant. Il comporte beaucoup de citations en anglais afin de respecter le parler de LuAnne. Elle se prête avec fraîcheur et humour et une sacrée mémoire à cette interview hors norme et donne une nouvelle vision de cette époque déjantée. Elle n’a pas été mariée très longtemps à Cassady, mais est restée en contact et a revécu des bouts d’aventure avec lui. Très vite, encore marié, il tombe fou amoureux de Carolyn, qui deviendra sa deuxième femme et la mère de ses enfants. Elle a aussi écrit son livre sur toute cette épopée passionnante.
Duval et LuAnne, qui vivait toujours du côté de Frisco, racontent plus l’histoire de l’incroyable héros que fut Cassady qui représente l’essence même du livre de Kerouac. Il ne tient pas en place, il vole des dizaines et des dizaines de superbes caisses américaines pour foncer d’un bout à l’autre des Etats-Unis et du Nord au Sud, sans craindre quoi que ce soit car il est vraiment fondu de conduite avec toute sa petite cour collé à lui sur les banquettes, fumant, buvant et prenant des substances. Retrouvant une de ses femmes, la laissant pour une autre, y revenant avec un tel pouvoir de séduction qu’elles ne pouvaient pas lui claquer la porte au nez. Lorsqu’il vit avec Carolyn, il bosse comme serre-freins dans une compagnie de trains. Et il continue à écrire à LuAnne. Il écrit aussi, parfois, de longues heures. Ses textes et ses lettres ont été publiés.
Kerouac est décrit par LuAnne comme un type timide et peu entreprenant. Quand il n’est pas sur la route, il vit avec Mémère, sa maman qu’il adore. Le troisième larron évoqué par LuAnne est Allen Ginsberg, complètement dingue de Cassady. Il fait tout ce qu’il peut pour le séduire (il est homo mais a réussi à coucher avec lui) et on le retrouve aussi par étapes dans une ville ou une autre. Ce qui rend le livre si vivant, c’est que LuAnne demande aussi à Duval (qu’elle appelle Jerry) de lui ce que lui ont dit les autres car elle ne s’est pas fixée sur cette aventure et apparemment, n’en connaît que ce qu’elle a vécu. Elle se permet aussi de rectifier des anecdotes, d’en clarifier ou d’en ajouter. C’est très plaisant de s’y retrouver avec elle comme guide.

Puis LuAnne évoque comment les choses ont changé quand Sur la Route est paru, des années plus tard (en 57). La célébrité est montée à la tête de Cassady qui ne se sentait plus. La bohême était morte, Jack Kerouac, désemparé de son côté, détestant cette notoriété, buvait pour se donner du courage avant chaque interview. Il est devenu alcoolo. Envolé, le clochard céleste, le mec high des années de jeunesse !
Quant à Neal Cassady, toujours sur la brèche, il s’est ensuite associé à Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucous, et ensemble, ils sont aller porter la bonne parole à bord d’un bus rose, conduit par Cassady bien sûr, sans les mains, ni les pieds ni parfois les yeux, avec une tripotée d’excités, les Merry Pranksters, et le Grateful Dead jouant sur le toit. Drogues, musique à fond, orgies diverses, ils ont semé le bazar pour promouvoir le LSD, entre autres. C’est Tom Wolfe qui raconte cette épopée dans Acid Test (voir ici).
Tout au long du récit, il est beaucoup question du livre de Carolyn Cassady (voir ici), introuvable mais que j’ai dégoté à la médiathèque de Montélimar, sur laquelle LuAnne fait quelques mises au point. Le livre de Carolyn est passionnant, alimenté de détails dus à la tenue de son journal et aux lettres que tous s’écrivaient.
Et ce livre de LuAnne, en me replongeant dans l’aventure extraordinaire de cette bande d’allumés, m’a passionnée. Je ne crois pas qu’il faille avoir lu Sur la route pour l’apprécier tellement il est explicite. (Pour les amateurs, il y a toute une liste de documents qui renseignent sur l’aventure Beat à la fin du livre)

LuAnne sur la route avec Neal Cassady et Jack Kerouac de Jean-François Duval, 2022 aux éditions Gallimard. 346 pages, 21 euros.

Texte © dominique cozette

L'énorme bûche de Ken Kesey

Suite de ma plongée dans les 60’s où je vous reparle de Ken Kesey, le protagoniste « joyeux luron » (Merry Pranksters) du bus psychédélique (voir mon article sur Acid test de Tom Wolfe). Avant de faire ce trip bourré de came, Ken Kesey avait déjà écrit Vol au-dessus d’un nid de coucou avec le succès que l’on sait et ce mahousse roman Et quelquefois j’ai comme une grande idée, son meilleur selon lui.
C’est un engin énorme, lourd, dense, foisonnant mais pas du tout dans la veine hallucinatoire, bien que quelques passages écrits sous champignons bizarres. C’est une terrible épopée dans le noyau dur des bûcherons de l’Oregon qui se battent jour et nuit contre les éléments, les pluies diluviennes, la marée qui remonte le courant du fleuve, le froid, le relief pentu, les accidents de travail pour vendre leurs grumes, autrement dit les arbres qu’ils débitent dans cet Oregon quelque peu inhospitalier.
En scène une famille de mecs ultra burnés —  où un doigt tranché est aussi insignifiant qu’une piqûre de libellule  — qui résiste au puissant syndicat et à ses appels à la grève. Dans ce lieu trou-du-cul-du-mondesque  où les caractères les plus trempés (c’est le cas de le dire) se défient à mort, on va assister à l’affrontement de deux frangins, demi-frères, l’un une vraie brute de décoffrage, fort comme trois Turcs et l’autre, un étudiant de la ville sans cals aux mains, revenu au pays pour filer son aide. Officiellement. En fait pour dézinguer son frère après ce qu’il lui a fait jadis. Et pas que jadis. De la grosse merde, quoi. Et qui, malgré sa délicatesse d’intello, va se révéler opiniâtre et barjot.
Autour de cette famille (où vivent d’autres figures mémorables dont la femme du premier, jolie, non soumise, intello aussi) gravite un monde de brutes, de femmes larguées, de types starbés, qui se retrouvent dans le bar local pour se mettre minables et se foutre des danses.
Le vieux père des frères, sorte de Kirk Douglas recousu de partout, fort en gueule, n’est pas encore fini. D’ailleurs, le livre ouvre sur son bras arraché suspendu à une corde, faisant un doigt d’honneur à la communauté. On saura pourquoi.
C’est un roman sylvestre, tronc, écorce, engins qui pètent, os broyés, sang qui gicle mais aussi extraits de chanson du cru (des années 50 souvent),  poésie, citations de shakespeare ma chère ! et une ribambelle de noms d’oiseaux, de petites bêtes, de végétaux dont je ne suis pas sûre d’avoir entendu parler. Du Jim Harrisson puissance x.

Donc un bouquin énorme, formidable, lourd (1200 g. je l’ai pesé) dans les deux sens du terme, bourré de mousses (lichen et bibine), d’odeurs de terre, de flotte, de  maisons emportées par des ruptures de berges.  Il paraît qu’un film en a été tiré, faut voir…
L’éditeur, Monsieur Toussaint l’Ouverture, en a bavé. Si vous voulez savoir pourquoi, lisez cet article de Libé ici. Pareil pour le traducteur ! Et le lecteur n’est pas en reste car il y a très souvent des enchaînements non signalés d’un personnage à l’autre, des « je » qui se suivent dans des bouches différentes. Kesey nous aide parfois en ajoutant des parenthèses ou en mettant des italiques. Mais ce n’est pas la règle générale. Idem pour les glissements d’époques, comme dans les rêves où l’hier et l’aujourd’hui se fondent. Mais on s’en sort !
Bref, un travail de titan, un monstre de littérature.

Et quelquefois j’ai comme une grande idée, de Ken Kesey chez Monsieur Toussaint l’Ouverture. Edité en 64 sous le titre Sometimes a Great Notion, et en 2013 en France, traduit par Antoine Cazé, couverture réalisée par Blexbolex. 800 pages, 160 mm sur 235 sur 40 mm d’épaisseur. 24,50 euros.

Texte © dominique cozette

Dans la famille beat generation, je demande le bus…

Sur ma lancée des années beat qui se transforment peu à peu en années hippies, je continue avec cette histoire hallucinigène du bus des Merry Pranskers. Quel rapport ? Cassady, toujours. L’inénarrable Neal Cassady  que l’on retrouve au volant de cet improbable moyen de locomotion. Mais que fait-il là ? Le con, comme d’hab. Et puis il conduit, sans les mains, sans les yeux, sans les pieds. Comme tout le monde est camé à l’intérieur, ça baigne.
C’est Babbs et Ken Kesey, vous savez, celui qui a écrit le formidable vol au-dessus d’un nid de coucou qui a eu cette idée, après avoir expérimenté diverses drogues et constaté que le LSD, tout nouveau, ouvre l’esprit complètement. Quoi de mieux que de le faire savoir à tout un chacun ? Voilà le pourquoi de ce bus scolaire qu’il a racheté et, avec toute sa bande de farfelus explosifs, relooké aux couleurs psychédéliques et fluos des amateurs de champignons. Avec des aménagements insensés, toit ouvert pour y mettre l’orchestre, principalement les Grateful Dead, son hyper sophistiqué pour tout entendre, faire entendre partout, avec écho etc…, lumières, caméras (un film de 40 h. a été tourné). Le convoi s’ébranle pour semer la pagaille avec ses shows d’acid test un peu partout où chaque volontaire reçoit un diplôme.

Celui qui raconte cette folie, c’est le journaliste et romancier Tom Wolfe (le bûcher des vanités) qui fait accessoirement partie de la troupe, qui s’est aidé des films, des écrits, des enregistrements et témoignages des nombreux participants. Je ne dis pas que c’est facile à lire à moins (peut-être) d’être stone soi-même tant l’écriture est parfois confuse et allumée.
Néanmoins, cette épopée où les Merry Pranksters (joyeux lurons) ont rallié les terribles et impitoyables Hell Angels à leur cause ainsi que bien des populations, est assez rigolote. C’est quand même toute cette équipe qui a lancé le mouvement hippy et le graphisme psychédélique.
Pour échapper à ses condamnations pour usage de marijuana, Ken Kesey a dû se suicider avant de s’enfuir au Mexique pour retrouver le bus et continuer les tournées. L’histoire du suicide raté est à tomber. Comme son retour clandestin. Puis tout ça finira en Californie pour cause de flicage et peut-être d’usure normale.
Cassady, pour en revenir à lui, passe son temps à jongler avec un marteau, une masse de 2 kg qu’il lance et rattrape sans regarder, à longueur de temps, comme on mâche un chewing-gum. Outre sa conduite complètement délétère. Et ses excès de substances que le bus fournit en abondance. Document très intéressant. Enfin pour moi.
Au fait, quelqu’un a-t-il lu l’autre livre de Kesey Et quelquefois j’ai comme une grande idée, pavé de 800 pages paru en France récemment ?

texte © dominique cozette

Acid test par Tom Wolfe écrit en 68. Traduit par Daniel Mauroc en 78. Dans la collection Points. 534 pages, 8,30 €

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter